Le site
Montréal-Nord longe, au nord, la Rivière des Prairies et est limité, au sud, par la voie du chemin de fer du Canadian National. Dans cet arrondissement, le quartier nord-est est un ensemble social et urbain très distinctif, autant par la diversité ethnique et culturelle de ses résidants que par la dislocation inquiétante du paysage urbain de ses limites. Dans ce quartier du nord-est, où la petite échelle semble dominer, on retrouve l’une des plus grandes densités d’occupation du sol dans la ville de Montréal et la population la plus défavorisée de l’arrondissement.
Le site proposé pour cette charrette est le boulevard Léger à l’est, de l’avenue Salk au boulevard Albert Hudon. Le paysage de cette partie du boulevard est principalement résidentiel et il est marqué par de nombreux terrains de stationnement desservant des édifices commerciaux sans grand intérêt architectural. Le boulevard Léger constitue une sorte de frontière entre l’ensemble urbain du nord-est et le quartier en bordure de la rivière.
Théorie / Alterotopia
Pierre Ouellet 1
Le terme Alterotopia, dont on comprend qu’il évoque une recherche d’alternatives aux démarches habituelles de l’urbanisme et de l’architecture, veut dire «autant des espaces autres, et de l’autre, que des espaces construits et partagés avec les autres, avec ceux qui diffèrent de nous et qui nous importent». C’est ainsi que, prolongeant l’idée d’hétérotopie introduite par le grand philosophe Michel Foucault2, les auteurs Petcou et Petrescu proposent d’«agir l’espace» par la rencontre des échelles, des fonctions, des usages et des cultures3.
Les participants à cette 16e édition de la charrette CCA/Universités auront à envisager des interrogations théoriques comme celles qui suivent :
Peut-on transformer un espace sans qualité en un environnement multi sensoriel accueillant?
Peut-on voir la ville autrement en la dessinant, la numérisant, la cartographiant, la marchant, la rêvant?
Dans «la ville éparpillée»4, peut-on imaginer des rencontres improbables entre des espaces séparés par des logiques commerciales, réglementaires ou techniques?
Comment faire de l’étrangeté des marges de la ville, la matière du projet pour une communauté en quête d’une nouvelle identité citadine?
Pratique / Actions
«L’urbaniste est-il en mesure de créer les conditions spatiales de l’urbanité?»6
nous fait douter du pouvoir de l’urbanisme traditionnel pour créer de l’urbanité.
C’est à partir de ces deux constats critiques et paradoxaux que nous mettons au défi les participants de la charrette d’inventer et d’explorer des nouvelles méthodes et des nouvelles figures susceptibles de réaliser un espace public différent.
Peut-on apprendre quelque chose pour oser un véritable urbanisme nouveau en découvrant ou redécouvrant le paysage urbain de Montréal-Nord ? Pour relever ce défi, les participants devront donc plutôt se fier à leur lecture des lieux plutôt qu’à la recherche de solutions providentielles toutes faites. Mettant de l’avant « une approche différente à l’urbanisme »7 et à l’architecture et l’idée du bonheur ordinaire et quotidien, la programmation urbaine, l’emploi du temps, les terrains vacants et les interstices seront, à titre d’exemples, les matériaux les plus utiles à l’imagination de petits ou de grands dispositifs adaptés aux réalités sensibles de ce quartier.
Les projets des participants répondront aux questions pratiques suivantes :
Comment peut-il le faire?
Comment faire voir et partager nos propositions avec ceux qui agissent l’espace au sein duquel ils vivent?
notes
2- Michel Foucault, « Des espaces autres », Architecture, Mouvement, Continuité, no 5, octobre 1984
3- Constantin Petcou et Doina Petrescu, « Agir l’espace », Multitudes, no 31, hiver 2008
4- Jean-Luc Nancy, La ville au loin, Paris, Éditions Mille et une nuits, 1999
5- Bernardo Secchi, Villes sans objets : la forme de la ville contemporaine, Conférence Mellon, Montréal, CCA, septembre 2008
6- Denis Martouzet, « L’urbaniste est-il en mesure de créer les conditions spatiales de l’urbanité ? », in Pierre-W. Boudreault et Denis Jeffrey, dir., Identités en errance, Multi-identité, territoire impermanent et être social, Lévis, Les Presses de l’Université Laval, 2007
7- Mirko Zardini, dir., Sensations urbaines : une approche différente à l’urbanisme, Montréal, CCA; Baden, Lars Müller, 2005. Voir aussi Mirko Zardini et Giovanna Borasi, dir., Actions : comment s’approprier la ville, Montréal, CCA, 2008 ; Zoë Ryan, The good life, new public spaces for recreation, New York, Van Alen Institute, 2006. On pourra faire référence aussi aux ouvrages suivants : Jonathan Hill, Actions of Architecture : Architects and Creative Users, London, Routledge, 2003; Alain Guiheux, Architecture action, une architecture post-théorique, Paris, Sens et Tonka, 2002