J’adresse cette demande de bourse de recherche au Conseil des arts du Canada dans le but de réaliser une étude extensive de l’architecture et des arts connexe du Japon, de la période pré-bouddhique à nos jours.
Comme l’histoire de la peinture moderne, qui fut (et est encore) influencée par la peinture et la gravure d’art japonaises, l’histoire de l’architecture moderne fut, à un degré encore plus considérable, marquée par l’architecture japonaise. Révélée par Frank Lloyd Wright et plus tard par les pionniers européens du mouvement moderne au début des années 1920, l’architecture japonaise a donné lieu à une grande partie du vocabulaire actuel de l’architecture domestique occidentale : le « plan ouvert », les structures en poteaux-poutres, les cloisons murales légères, les panneaux coulissants, les terrasses surélevées, etc. Le goût pour les finis naturels, les surfaces simples sans ornementation et la légèreté de la construction, particulièrement évident dans l’architecture de côte Ouest de ce continent, tient dans une large mesure son origine du Japon. Pour être plus exact : l’architecture japonaise a inspiré une nouvelle esthétique en Occident, tant en matière d’architecture que dans les écoles de paysagisme. Tout comme leurs homologues des années 1920 et 1930, les architectes de ma génération sont profondément marqués par ce qu’ils perçoivent, même superficiellement, de l’architecture du Japon. Quoique notre architecture ne dérive pas directement de celle du Japon, les similarités entre les deux découlent en fait de motivations, de sensibilités spatiales et de normes architecturales comparables, bien que d’origines foncièrement dissemblables.
Il me semble cependant que, bien que l’on ait été influencé par les formes observées, notre compréhension de ces formes reste insuffisamment approfondie. Cela tient certainement aux différences culturelles fondamentales entre l’Orient et l’Occident, et c’est possiblement en ce sens que l’on a le plus à apprendre. Mon intérêt pour l’architecture japonaise tient à divers éléments, mais parmi eux, j’en trouve trois particulièrement intéressants : la maîtrise de l’espace, la maîtrise de l’art de l’implantation et l’adéquation des formes au climat.
Concernant le premier élément, l’architecture japonaise dénote un degré de subtilité dans la manipulation conjuguée des espaces extérieurs et intérieurs qui n’a pas son égal dans l’architecture occidentale. Pour le second, jusqu’à ce que certains maîtres modernes le redécouvrent — par le biais de l’architecture japonaise —, l’art du site demeura inexistant durant des siècles dans l’architecture occidentale. Cette révérence essentielle pour le site se retrouve uniquement dans l’architecture de la Grèce antique, dont la profonde beauté découle autant de la forme du bâtiment lui-même que du rapport entre le bâtiment et le site. Concevoir des bâtiments sans considération pour la relation avec le milieu naturel et la culture humaine (voir article du Canadian Art, nov. 1960) conduit à la production d’un style à l’aspect temporaire, transitoire.
La relation entre la forme du bâtiment et la nature du climat peut faire l’objet d’une réflexion comparable : un style ne semble pouvoir atteindre sa maturité que lorsqu’il répond aux conditions climatiques de son environnement. Certes, la réponse aux besoins purement pratiques, comme mettre à l’abri de la pluie, ou protéger du froid ou de la chaleur, représente l’un des aspects fondamentaux des formes bâties. Tout aussi importante, bien qu’ignorée de nos jours, est l’harmonie esthétique entre une forme bâtie et les caractéristiques climatiques prédominantes du lieu. Ainsi, le recours aux lignes brisées et au remplage, typique de l’architecture gothique, provient d’un besoin esthétique particulier, lié à la manière dont la masse de tels bâtiments découpe une silhouette sur le fond des ciels gris du Nord; silhouette dont l’effet est bien moins important pour les bâtiments du Sud, dont la masse est ciselée par le soleil.
Chacun de ces éléments est essentiel au développement d’un style, et à moins de les prendre en compte, il semble qu’il ne soit pas possible de donner lieu à un style vernaculaire satisfaisant. Du fait de similarités en matière de climat et d’environnement entre le Japon et la Colombie-Britannique, il serait fructueux pour nous d’étudier l’évolution de l’architecture japonaise. Le fait qu’un style si remarquable ait pu être développé en usant d’un matériau aussi impermanent que le bois, même dans ses bâtiments les plus imposants, et que ces édifices aient perduré depuis le VIIe siècle, présente un intérêt particulier pour tout architecte de la côte Ouest.
Il est évident qu’aucun de ces aspects ne peut être appréhendé sans une étude prolongée sur le terrain. Les documents écrits et les photographies sont informatifs, mais peuvent induire en erreur sans une expérience directe des bâtiments qu’ils présentent. L’essence et le sens d’une culture matérielle nous échappent tant que l’on n’en a pas fait l’expérience. De la même manière que l’architecture baroque est restée un mystère pour moi jusqu’à ce que je prenne connaissance de son environnement immédiat, des bâtiments avoisinants, des lieux et du climat où elle a émergé, l’architecture japonaise m’échappe présentement.
La méthode que j’emploie pour étudier des bâtiments est celle que j’ai mise au point durant mon séjour en Italie en 1950. Il s’agit d’une description minutieuse et exhaustive de chaque bâtiment, à l’aide de croquis si nécessaire. Cette méthode prend beaucoup de temps, mais il s’agit de la seule qui ultimement permet à l’architecte de s’identifier aux bâtisseurs pour tenter de savoir si la raison d’être d’un bâtiment, ainsi que son propos et sa manifestation peuvent véritablement nous être perceptibles. Cinq mois à Florence m’ont à peine suffi pour découvrir les richesses de cette ville; pareillement, trois mois seraient à peine assez pour étudier Kyoto.
Mon plan consisterait à d’abord passer une semaine ou deux à Tokyo afin de prendre mes dispositions et recueillir du matériel de recherche pour le reste de l’été. Je consulterais ensuite les documents au musée en vue de conduire une étude préliminaire de l’art et de l’architecture du Japon. J’établirais ensuite mon quartier général à Kyoto, usant de ma connaissance de la langue pour en apprendre le maximum sur la manière japonaise d’appréhender les choses. De Kyoto, j’organiserais des expéditions vers Ise et Izumo, les sites des premiers sanctuaires pré-bouddhiques, et les premiers vestiges du temple Hōryū-ji à Kyoto, puis me rendrai à Nara, la capitale du pays aux XVIIe et XVIIIe siècles. Kyoto, capitale du Japon jusqu’au douzième siècle et lieu où fut développée la sensibilité esthétique de l’époque, fera ensuite l’objet principal de mes recherches. Je poursuivrais avec une visite de Kamakura, capitale des clans militaires jusqu’au quatorzième siècle, et analyserais l’avènement de l’influence du Zen sur l’esthétique japonaise. Je retournerais enfin à Kyoto, capitale du Japon jusqu’au dix-septième siècle, en prévoyant quelques excursions à Nagoya, Osaka, Mito, Matsushima, Miyajima, etc. Pour le dernier mois, je déplacerais mes quartiers vers Tokyo pour y examiner les bâtiments du début de l’époque d’Edo des Tokugawa à ceux du XVIIIe siècle de l’ère Meiji, jusqu’à nos jours. Je prévois alors communiquer avec certains grands architectes contemporains, tels que Junzō Sakakura, Junzō Yoshimura, Yokado Masukawa et, bien entendu, Kenzō Tange. Durant ces recherches, j’explorerais l’évolution de l’art du paysage tout autant que celui de l’architecture. J’espère alors avoir le temps d’étudier l’architecture vernaculaire des villages, car celle-ci exerça une influence positive sur l’élaboration des styles aristocratiques. J’escompte également pouvoir visiter de tels sites qui inspirent l’esthétique japonaise d’aujourd’hui. La plus grande partie de mon temps sera ainsi dévolue aux bâtiments les plus anciens, car il serait impossible d’évaluer les œuvres contemporaines ou de comprendre un tant soit peu l’esthétique japonaise sans en établir les conditions préalables.
La valeur d’une telle étude serait pour moi inestimable. J’enseigne l’architecture et n’exerce pas mon expertise architecturale dans le cadre d’une entreprise commerciale. Bien que je pratique l’architecture jusqu’à un certain point, je le fais hors de l’activité d’une firme d’architecture, et en l’abordant d’un point de vue purement créatif. À ce titre, j’opère dans le même cadre de référence qu’un peintre ou un écrivain. Je m’attache uniquement à la création, à l’évolution et au perfectionnement d’une œuvre d’art; d’ailleurs, sans participer à un tel processus créatif, il me serait impossible de transmettre cette expérience dans mon enseignement. Ma préoccupation relative au climat, au site, à l’espace, ainsi qu’à un style axé sur l’emploi du bois est reflétée autant dans mon programme d’enseignement que dans ma propre évolution créative. Le style unique et le raffinement de l’architecture japonaise offrent une expérience de grand intérêt pour ces deux aspects de mon travail.
Pour conclure, je voudrais demander au Conseil des Arts du Canada de reconnaître ici l’architecture comme une discipline à part entière des Beaux-Arts, même si celle-ci est peu souvent pratiquée en ces termes. Il s’agit d’une forme d’art au même titre que la peinture ou la sculpture, bien qu’il nécessite d’y déployer une compétence et une expérience supérieures afin de dépasser la fonction purement pratique de l’abri, pour en faire un art d’interprétation. Tant que cela n’est pas reconnu comme un art, cette branche la plus fondamentale de la création — celle qui façonne nos vies par le biais de notre environnement — restera une discipline subalterne malhabile et insuffisamment développée.
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