Narration en images
Warebi Gabriel Brisibe et Ramota Obagah-Stephen proposent d’« autre » méthodes de recherche sur l’habitat colonial
Pour éviter que les études réalisées en Afrique subsaharienne et à son sujet ne versent dans l’eurocentrisme, il faudrait, dans la mesure du possible, les mener et les diffuser en utilisant les moyens d’expression culturelle et de communication des sociétés précoloniales. Et, parmi ceux-ci, le texte est loin d’occuper la première place. Au contraire, il y a belle lurette que l’héritage culturel de l’Afrique subsaharienne s’enregistre et se partage par le biais de divers médias oraux et visuels : chansons, histoires et chants; sculptures en relief et en ronde-bosse; motifs, signes et dessins sur les textiles, les murs et la peau; croquis. Le recours à de tels dispositifs non textuels comme outils de recherche peut lui-même donner lieu à une étude d’« autres » méthodes – susceptibles de mieux englober les voix, les identités et les systèmes subalternes. Le choix du terme « autre » pour signifier la production de connaissances « autres » nous permet de souligner l’importance de voir, d’imaginer et de connaître le monde en dehors d’une vision occidentale préétablie1. Il s’agit plus précisément d’adapter des méthodologies « autres » – en l’occurrence la narration et le croquis – pour étudier un type particulier de cour résidentielle, couramment construite dans le quartier historique de Port Harcourt Township, au Nigéria, de la fin des années 1940 au début des années 1960. La méthode proposée, appelée narration graphique, collige des variations de deux méthodes traditionnelles orales et visuelles de collecte et d’interprétation des données, afin d’extrapoler et de partager les voix silencieuses des communautés indigènes.
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Morgan Ndlovu, « Coloniality of Knowledge and the Challenge of Creating African Futures », Ufahamu: A Journal of African Studies 40, no. 2 (été 2018) : 95-112. ↩
Centrée sur la fin de la période coloniale et le début de la période postcoloniale au Nigéria, cette recherche relate le cas des constructeurs nigérians qui ont systématiquement remplacé les influences coloniales dans leur propre architecture résidentielle, en intégrant des concepts culturels empruntés aux sociétés voisines ou étrangères. C’est leur refus même de se conformer aux conceptions, spécifications et délais de livraison coloniaux prédéterminés qui fait du développement de cette architecture spécifique un sujet pertinent pour les études plus larges sur les histoires postcoloniales. Cette lutte pour la liberté de construire selon ce que nous dicte notre culture va de pair avec des idées de nationalisme, de libération, et donc avec des processus de décolonisation. En se fondant sur la notion plus large selon laquelle les bâtiments constituent la culture matérielle la plus substantielle de toute société donnée et reflètent par conséquent les idées et les expériences de son peuple à un moment donné, la narration graphique tente de mettre en avant les « autres » perspectives de l’histoire de l’architecture du Nigéria.
La narration comme méthode
Comme nous le savons, la tradition orale est commune à la plupart des sociétés colonisées et donc essentielle pour développer une recherche spécifique au contexte. La littérature orale, ou ce que l’écrivain kenyan Ngũgĩ wa Thiong’o appelle l’orature1 – proverbes, histoires, légendes, poèmes, devinettes, chansons et chants – s’est enracinée dans les sociétés d’Afrique subsaharienne (bien plus que son homologue la littérature) tant pour transmettre l’histoire que pour constituer une pratique culturelle2. Les anciens du Nigéria ont eu couramment recours à la narration pour transmettre l’histoire et les traditions aux jeunes générations, en privilégiant une approche narrative qui s’aide de la voix et du geste pour enregistrer les sentiments, les attitudes et les réponses à l’égard des expériences et de l’environnement vécus3. Ce genre de pratique englobe tout ce qui est dit, sous-entendu et même non dit par un silence intentionnel, ainsi que ce qu’exprime le langage corporel; l’histoire elle-même doit avoir une structure traditionnelle (introduction, corps et conclusion) et inclure des allégories pour renforcer sa signification4. Bien qu’il s’agisse d’abord d’une méthode visant à relayer des expériences réelles, la narration révèle également la façon dont les cultures peuvent être considérées comme naturelles et incontestées parce que ce type de narration englobe tous les aspects du folklore oral5.
Plus important encore, la narration peut être qualifiée de méthode car l’acte de « raconter » met en évidence le processus de narration lui-même et pas seulement le récit en tant que produit. Il s’agit d’une méthode plus précise que l’« histoire orale », qui reste une méthode d’entrevue comme la narration mais qui, contrairement à celle-ci, n’est pas en soi un acte de création culturelle. De plus, alors que les histoires orales livrées à travers des entretiens sont souvent guidées par l’enquêteur, le processus de la narration est entièrement contrôlé par le narrateur. Malgré les bonnes intentions, les histoires orales peuvent donc reproduire des stéréotypes passifs et renforcer les grands récits, hiérarchies, dichotomies et méthodologies eurocentriques. D’autre part, comme l’écrit Judy Iseke, cinéaste métisse et spécialiste de l’éducation, « la narration pratiquée par les cultures indigènes soutient les communautés, valide les expériences et les épistémologies, et entretient les relations et le partage des connaissances6. »
Dans le cas de l’histoire de l’architecture résidentielle dans le quarter de Port Harcourt, la nécessité de valider les expériences et de partager les connaissances s’impose, car les seuls témoignages écrits qui subsistent sont les documents, les rapports et la correspondance du gouvernement colonial. Naturellement, ces rapports ne rendent pas compte des expériences ou des voix des bâtisseurs indigènes. Cependant, ce qu’ils enregistrent, ce sont les contradictions, les controverses et les accusations de non-conformité qui ont entravé l’habileté à construire des habitants. Par exemple, un rapport produit par l’agent d’arrondissement à la fin des années 1950 indique qu’il y a eu dans la construction de l’un des lotissements résidentiels, des déviations par rapport aux plans approuvés, et il en attribue la responsabilité à la négligence, à l’incompétence et à la malhonnêteté des inspecteurs en bâtiment, qui étaient des indigènes. Il accuse ces inspecteurs de percevoir des pots-de-vin pour permettre aux promoteurs indigènes d’enfreindre les règlements7. Bien qu’aucun élément ne soit venu étayer ces accusations et que les bâtisseurs et inspecteurs indigènes n’aient pas eu l’occasion d’exprimer leurs griefs ou de se défendre, un autre rapport a confirmé qu’aucun nouveau plan de construction ne devrait être approuvé à ce stade tant que de nouvelles règles n’auraient pas été établies8.
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Ngugi wa Thiong’o, « The Language of African Literature », dans Colonial Discourse and Post-Colonial Theory, dir. Patrick Williams et Laura Chrisman (Londres : Routledge, 2014), 435-457. ↩
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Des archives sonores montrent par exemple qu’à travers les paroles, les chanteurs indigènes repoussent les limites de leur langue en inventant des nouveaux mots et expressions et en élargissant leur capacité à intégrer les nouveaux événements survenant en Afrique et ailleurs. Voir la recherche de Dele Adeyemo à paraître dans Centrer l’Afrique : perspectives postcoloniales sur l’architecture, 2019-2021, CCA. ↩
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Olusegun Gbadegesin, « Destiny, Personality and the Ultimate Reality of Human Existence: A Yoruba Perspective », Ultimate Reality and Meaning 7, no. 3 (1984) : 173-188. ↩
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Pour en savoir plus sur la pratique de la narration dans le contexte africain, voir Emmanuel Matateyou, An Anthology of Myths, Legends, and Folktales from Cameroon: Storytelling in Africa (Lewiston, NY : Edwin Mellen Press, 1997); Maurice Taonezvi Vambe, African Oral Storytelling Tradition and the Zimbabwean Novel in English (Pretoria, SA : Unisa Press, 2004); Emmanuel Obiechina, « Narrative Proverbs in the African Novel », numéro spécial, Research in African Literatures 24, no. 4 (hiver 1993) : 123-141. ↩
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Kathleen Marie Gallagher, « In Search of a Theoretical Basis for Storytelling in Education Research: Story as Method », International Journal of Research and Method in Education 34, no. 1 (2011) : 49-61 ↩
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Judy Iseke, « Indigenous Storytelling as Research », International Journal of Qualitative Research 6, no. 4 (2013) : 559. ↩
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Rapport de l’agent d’arrondissement Mr. O.R. Wacher. No.C.24/61, National Archives of Nigeria, à Enugu. ↩
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Rapport de l’agent d’arrondissement Mr. O.R. Wacher. No.L.2547/7, National Archives of Nigeria, à Enugu. ↩
Comment, alors, mettre au jour les raisons et les manifestations de la résistance des constructeurs et des inspecteurs de Port Harcourt Township? Puisque la narration s’appuie sur des principes moraux tels que la vérité, la justice et l’équité, nous l’avons appliquée comme méthode de travail sur le terrain pour appréhender les convictions, les expériences et les luttes des narrateurs et, par conséquent, incarner la positionnalité de leurs voix auparavant silencieuses. Les participants à notre recherche avaient tous entre 60 et 90 ans et étaient considérés comme des aînés dans la communauté1. Nous espérions qu’ils nous offriraient des récits portant sur des événements mémorables et des expériences de leur enfance, sur le mouvement d’indépendance, sur la guerre civile nigériane et sur des rencontres personnelles avec les colonialistes que leur avaient contées leurs parents. La durée de chaque événement remémoré et raconté par un aîné variait, de sorte que le processus de narration pouvait s’étendre sur plusieurs jours. Pour inspirer des narrations aussi longues, il faut une atmosphère de conversation. Nous avons donc observé certaines pratiques traditionnelles communes aux peuples indigènes du delta du Niger pour établir une relation avec chaque aîné. Pour lui donner une base solide, notre méthode a suivi les étapes suivantes :
1. Nous avons offert du vin, des spiritueux ou d’autres cadeaux à l’aîné à son arrivée, afin de refléter nos bonnes intentions ainsi que notre compréhension et notre respect des traditions. Cela permettait de préparer le terrain, d’encourager l’aîné à nous donner accès et à s’engager à dire la vérité. 2. Nous avions un seul ordre du jour pour chaque rencontre, commençant par des questions simples, non structurées et ouvertes, suivies d’une demande de récit. Les entretiens structurés avec référence fréquente à des notes écrites sont souvent contre-productifs pour créer une atmosphère de conversation. Si nous avions plusieurs ordres du jour, d’autres rencontres étaient programmées, car les anciens apprécient généralement les visites d’invités plus jeunes.
3. Nous avons autorisé des déviations dans le récit sans les interrompre. Certains aînés prenaient parfois une tangente apparente, mais les liens narratifs essentiels apparaissaient souvent à la fin de l’histoire.
4. Nous avons écouté les messages transmis par les non-dits : gesticulations, tons sous-jacents, sarcasmes, bruits de gorge et sons étouffés, langage corporel, expressions faciales, et pauses ou silences.
5. Nous avons participé à la conversation et répondu aux questions. Les processus narratifs africains traditionnels sont souvent interactifs, de sorte que la position de l’enquêteur en tant qu’étranger et auditeur peut être inversée. Par exemple, de nombreux chants ou chansons livrés durant la narration sont des déclarations ou des questions auxquelles l’auditeur est censé répondre.
Il est intéressant de noter que le premier point de notre méthode de narration est en contradiction avec le code de déontologie de l’American Sociological Association, selon lequel les chercheurs ne sont pas autorisés à « offrir des incitations financières ou autres, excessives ou inappropriées, pour obtenir la participation des participants à la recherche », mais au terme de l’entretien ou de l’enquête, ils sont censés « fournir des incitations appropriées en guise de reconnaissance du temps et des inconvénients subis par les participants en raison de leur participation à l’étude2 ». Cependant, ce qui est qualifié d’incitation inappropriée est spécifique à la culture, en particulier si l’on considère les différentes sociétés indigènes dans lesquelles l’offre de cadeaux, la participation à des cérémonies ou le partage de repas sont perçus comme des pratiques sociales courantes et des signes essentiels de respect, mais, comme le fait remarquer Judy Iseke, ne sont pas enregistrés à titre d’éléments du processus de recherche3.
De telles pratiques semblent contredire le code de déontologie de l’ASA, soulevant dès lors la question suivante : qui décide de ce qui est éthiquement approprié? Les normes occidentales et académiques de la recherche en sciences sociales ne sont pas universellement applicables parce qu’elles ne tiennent pas compte des directives culturelles non écrites des sociétés indigènes. En développant notre méthode, nous nous sommes plutôt penchés sur les réflexions de la spécialiste de l’éducation Māori Linda Tuhiwai Smith, qui identifie les conventions telles que le débat, le discours formel et les silences structurés comme des outils cruciaux pour mener des travaux sur le terrain et développer des pédagogies par le biais de méthodologies décolonisatrices. Elle présume que les arts oraux et d’autres formes d’expression organisent les communautés indigènes en fonction de leurs propres références culturelles et historiques, notant que « les textes ne peuvent réussir à dépeindre la culture que si les auteurs saisissent la manière dont les colonisés utilisent réellement la langue, leurs dialectes et leurs inflexions, et la manière dont ils donnent un sens à leur vie4 ». Une méthodologie de recherche sur la culture indigène forme donc un cadre unique, doté de sa propre autonomie épistémologique qui fournit ses propres règles et méthodes de mobilisation.
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Les entrevues ne pouvaient être organisées que par l’intermédiaire de références personnelles. Le niveau de relation ou de respect entre la personne proposée pour l’entretien et la personne de référence déterminait dans une large mesure la volonté des personnes interrogées de participer et de partager leurs expériences personnelles, leur histoire familiale, ainsi que leurs valeurs et connaissances précieuses. ↩
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Règlement « 12.3 Inducements for Research Participation », dans American Sociological Association Code of Ethics (juin 2018) : 15, https://www.asanet.org/sites/default/files/asa_code_of_ethics-june2018.pdf. ↩
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Iseke, « Indigenous Storytelling as Research », 561. ↩
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Linda Tuhiwai Smith, Decolonizing Methologies: Research and Indigenous Peoples (Dunedin, NZ : University of Otago Press, 1999), 35. ↩
Le croquis comme méthode
La deuxième méthode que nous avons adoptée est la pratique du croquis, un moyen de donner une expression visuelle aux expériences vécues par les personnes participant à notre recherche. Nous avons cherché à reconstituer graphiquement le paysage social historique de Port Harcourt Township à la fin de l’ère coloniale et au début de l’ère postcoloniale en re-contant des histoires à travers des scènes picturales imaginatives. Plus spécifiquement, nous voulions dépeindre les questions socio-économiques en lien avec la planification des projets de développement résidentiel dans le champ d’étude en question.
Il existe en Afrique une longue tradition de représentation des paysages sociaux à l’aide de formes d’expression visuelles, notamment des peintures murales, des motifs, des gravures, des estampes, des sculptures en relief, des glyphes et des motifs. Un exemple notable tiré de l’histoire ancienne est celui des sculptures en relief en bronze de l’Empire du Bénin, dans l’actuel Nigéria, qui représentent des cérémonies dédiées à l’Oba, le roi divin. Cette documentation visuelle peut s’interpréter soit comme un moyen de diffuser des informations – la tenue de registres clairs –, soit comme une manière de coder des concepts métaphoriques, les éléments graphiques représentant un être ou une personne, une phrase ou un mot, voire une idée. Comme le notent l’historienne de l’art Elizabeth Boone et le sémioticien Walter Mignolo dans Writing Without Words, la stratégie dont usaient les anciens peuples méso-américains et andins pour communiquer et « transmettre du sens par le biais de systèmes picturaux, hiéroglyphiques et codés » remettait en question les « notions orthodoxes d’alphabétisation et les vues dominantes de l’art et de la littérature1 ». Dans le cas du croquis africain, le réalisme n’est généralement pas le principal mode de représentation; au contraire, on y trouve couramment des méthodes d’abstraction ou de stylisation allant de ce que les expressionnistes appellent le primitivisme (une expression de leur propre idée de la nature) à des formes simplifiées et géométriques. Mais, comme l’observent les artistes et professeurs africains contemporains Awogbade Mabel et Ibenero Ikechukwu, ces abstractions n’en sont pas moins chargées de sens social, religieux, politique et économique2 – incarnant les systèmes et les valeurs des peuples indigènes et niant les normalisations et les positionnalités eurocentriques.
En outre, contrairement à l’impact immédiat de méthodes visuelles comme la photographie, l’art du croquis peut simultanément capturer le présent, recréer le passé et projeter des moments futurs. Alors que les photographies documentent les qualités évidentes d’un sujet sans interférer avec la réalité, l’art du croquis met en lumière ce qui est évident et ce qui ne l’est pas, les faits comme la fiction. Cela en fait une méthode particulièrement intéressante lorsqu’elle est utilisée dans des situations où la photographie est inappropriée ou simplement interdite, comme dans une salle d’audience. Selon Anita Lam, spécialiste canadienne des sciences sociales en criminologie, le recours au croquis dans les salles d’audience englobe bien plus qu’une simple représentation visuelle; on peut le lire. Elle affirme que cette méthode ne se contente pas de décrire les procédures judiciaires, mais qu’elle « porte l’empreinte des sensations et des activités corporelles de [l’artiste], y compris les changements d’attention, les mouvements physiques et les expériences émotionnelles incarnées3 ». En substance, cette méthode peut être utilisée pour saisir la loi en mouvement.
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Elizabeth Boone et Walter Mignolo, Writing without Words: Alternative Literacies in Mesoamerica and the Andes (Durham, NC : Duke University Press, 1994), résumé de livre. ↩
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Awogbade Mabel et Ibenero Ikechukwu, The Use of African Traditional Art Symbols and Motifs: Study of Some Selected Paintings of Tola Wewe (Allemagne : LAP Lambert Academic Publishers, 2010). ↩
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Anita Lam, « Artistic Flash: Sketching the Courtroom Trial », in Synesthetic Legalities: Sensory Dimensions of Law and Jurisprudence, dir. Sarah Marusek (Londres : Routledge, 2017), 133. ↩
De même, le croquis permet de saisir les perspectives postcoloniales en mouvement en agissant comme un outil de documentation, d’interprétation et d’analyse. Ainsi, le croquis ci-dessus a été initialement produit lors d’un travail de terrain dans le quartier historique de Port Harcourt Township. Le bâtiment au premier plan, construit en 1948, est un exemple précoce d’une construction résidentielle qui incorpore un commerce à domicile – dans ce cas, un magasin de proximité – situé dans un espace de rez-de-chaussée ouvert, avec généralement une salle de séjour et des chambres attenantes à l’étage, ainsi qu’une cuisine et des toilettes indépendantes. Cordelia Osasona, une éminente spécialiste nigériane du patrimoine et de l’architecture vernaculaire, attribue ce type de bâtiment aux influences des premiers immigrants « Saro » (Sierra-Léonais) à Lagos1. Deux autres exemples de bâtiments résidentiels historiques de Port Harcourt Township conçus avec des entreprises locales comprennent un bureau d’architecture et une blanchisserie. Le croquis de la maison avec commerce de proximité tente de dépeindre le sentiment de fierté que le bâtiment personnifie et la position importante qu’il occupe parmi les habitations environnantes, ainsi que l’expérience vécue au quotidien dans le quartier. Bien qu’exécuté dans un style réaliste contemporain, le croquis laisse intentionnellement de côté les personnes, faisant du bâtiment le protagoniste. Ce faisant, il positionne le croquis comme l’outil d’un conteur qui dirige l’intrigue, en choisissant les angles de vue des expériences, les événements, les détails et les récits sur lesquels se concentrer, ce qui doit être estompé et ce qui doit être mis en évidence – en d’autres termes, comment représenter visuellement et interpréter un récit.
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Cordelia Osasona, « Nigerian Architectural Conservation: A Case for Grass-roots Engagement for Renewal », International Journal of Heritage Architecture 1, no.4 (janvier 2017) : 713-729. ↩
« Autres » méthodologies
La narration graphique est un processus d’expérimentation du développement d’« autres » méthodologies. Bien qu’enracinée dans les traditions africaines indigènes d’orature et de documentation, il s’agit aussi d’un moyen moins intrusif de représenter et d’interpréter les récits des personnes et des lieux figurant dans les histoires coloniales et postcoloniales. Cependant, bien que le rôle de la recherche puisse sembler plus marginal, la narration graphique, tout comme l’art de cour, porte toujours clairement l’empreinte des propres cadres cognitifs du chercheur et requiert la participation de ce dernier à la scène et son interaction avec les sujets.
Dans la narration graphique, le conteur dirige l’intrigue, décidant des angles sous lesquels il veut voir les expériences, sélectionnant les événements, détails et récits sur lesquels il se concentre, choisissant ce qu’il faut estomper et ce qu’il faut mettre en évidence et, surtout, la façon de représenter et d’interpréter visuellement. Idéalement, cependant, il appartiendrait aux chercheurs indigènes ou à des voix subalternes de développer ces interprétations. De cette façon, la narration graphique pourra privilégier une positionnalité indigène, suscitant dès lors des recherches soucieuses d’intégrer les épistémologies autochtones en vue de produire un savoir décolonisé – ou de corriger le savoir colonial existant.
Warebi Gabriel Brisibe et Ramota Obagah-Stephen ont écrit ce texte dans le cadre de leur recherche pour le Programme de recherche multidisciplinaire Centrer l’Afrique : perspectives postcoloniales sur l’architecture.