La construction du Mary Stuart Hall
Doreen Adengo retrace l’histoire d’un dortoir brutaliste. Photographies de Timothy Latim
Surnommée le Harvard de l’Afrique, l’université Makerere de Kampala, en Ouganda, compte parmi les plus anciens établissements d’enseignement supérieur d’Afrique centrale et orientale. Des générations d’Africains éminents – dont les présidents du Kenya et de la Tanzanie – ont étudié à cette université depuis son ouverture en tant qu’école technique en 1922. Fort d’une cohorte d’à peine quatorze garçons et cinq instructeurs, le Gouvernement du Protectorat britannique (1894-1962) a créé l’école afin de remédier au manque d’artisans formés qui se faisait sentir dans ses territoires d’Afrique de l’Est après la Première Guerre mondiale1. Au fil du temps, l’institution coloniale s’est transformée en collège d’enseignement supérieur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique centrale en 1940, puis en université d’Afrique de l’Est en 1963, et enfin, en 1970, en université Makerere.
Établie au pied de Makerere Hill, l’école technique se composait initialement de deux ateliers temporaires pour la menuiserie et la mécanique et d’un dortoir provisoire pour les quatorze étudiants masculins. En 1923, le programme s’est enrichi d’un cours d’arpentage, bientôt suivi par des cours en ingénierie et en agriculture. Après sa transformation en collège régional en 1940, sous la direction du gouverneur Sir Phillip Mitchel, l’école a acquis plus de terrains et reçu une dotation pour son agrandissement. Malgré la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement a obtenu le financement nécessaire à la construction de nouveaux bâtiments, notamment le bâtiment principal et les chapelles jumelles – Saint Augustin pour les catholiques et Saint Francis pour les anglicans –, achevés en 1941. 19412.
La devise initiale de l’école technique était « Let’s be Men » (Soyons des hommes), en référence aux artisans qui avaient été formés pour construire le campus lui-même. Dans son rapport annuel de 1922, H.O. Saville, un ingénieur du gouvernement du protectorat et le premier directeur de l’école technique, écrivait :
Nous sommes fiers de pouvoir dire que l’ensemble des bâtiments achevés à ce jour sont entièrement l’œuvre des indigènes du Protectorat, travaillant sous la direction des instructeurs européens, et qu’aucune main d’œuvre qualifiée étrangère n’a été employée dans quelconque partie des bâtiments. Il faut espérer que nous pourrons achever notre programme de construction sans déroger à ce principe3.
Toutefois, en 1945, la devise a été modifiée pour devenir « We Build For the Future » (Nous construisons pour l’avenir), en guise d’invitation à regarder au-delà des briques et du mortier de l’école technique et à envisager un nouveau collège dont le rôle était de construire pour les générations suivantes et pour le pays dans son ensemble4.
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John Ssebuwufu, Managing and Transforming an African University, CODESRIA, Dakar, 2017, p. 60, https://carnegie.codesria.org//wp-content/uploads/2018/01/Managing-and-Transforming-an-African-University.pdf. ↩
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Margaret MacPherson, They Built for the Future: A Chronicle of Makerere University College 1922–1962, Cambridge University Press, Cambridge, 1964, p. ix. ↩
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H.O. Saville, cité dans MacPherson, They Built for the Future, p. xi. ↩
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Macpherson, p. ix. ↩
Les premières femmes du collège Makerere
1945 fut aussi l’année où le collège Makerere a admis pour la première fois des étudiantes, après une longue lutte menée par Mary Stuart, l’épouse de l’archevêque anglican Simon Stuart, et après les nombreux voyages effectués en Afrique de l’Est par la première directrice de la section féminine à la recherche de femmes qualifiées pour des études supérieures1. Trouver des étudiantes était difficile, car les écoles ougandaises étaient essentiellement réservées aux garçons. Le Kings College Budo (une école primaire et secondaire de Kampala fondée en 1906) avait admis quelques filles dans sa classe de maternelle en 1933 et une femme inspecteur des écoles avait été engagée en 1934 dans l’espoir que l’éducation des filles s’améliorerait progressivement2. Pourtant, même si plus de cent filles se qualifiaient pour entrer dans l’enseignement secondaire en 1938, il n’y avait toujours pas d’écoles de filles disponibles pour les accueillir3. Par conséquent, il a fallu du temps pour former une cohorte de filles assez nombreuse pour augmenter de manière substantielle le nombre de femmes inscrites au collège Makerere. Au début, le collège n’inscrivait les étudiantes que dans des cours comme la couture et l’économie domestique, mais en 1955, pour la première fois, une femme y a décroché une licence en arts4. Plusieurs femmes qui sont passées par le collège Makerere sont reconnues comme des pionnières dans la création d’opportunités pour les Ougandaises de poursuivre des études supérieures.
Sarah Nyendwoha Ntiro (1926-2018) fut l’une des six premières étudiantes admises au collège Makerere. En dépit de ses excellents résultats obtenus plus tôt au King’s College Budo, on lui avait conseillé de poursuivre ses études dans le tricot et la couture. Elle a préféré opter pour l’histoire, la géographie et l’anglais et a obtenu un certificat d’enseignement. Tout en enseignant à l’école de filles de Kyebambe en 1950, Ntiro a étudié le latin auprès d’ecclésiastiques basés dans le royaume de Bunyoro-Kitara, dans l’ouest de l’Ouganda, et passé le test de compétence à la mission Virika de Fort Portal, ce qui lui a valu d’être admise au St. Anne’s College de l’université d’Oxford, en Angleterre. À son retour en Ouganda en 1954, elle était la première femme d’Afrique centrale et orientale à avoir obtenu une licence d’histoire à Oxford5. Nommée professeur de lycée l’année suivante, Ntiro recevait du gouvernement colonial un salaire inférieur à celui de ses collègues masculins alors qu’elle avait les mêmes qualifications. Plutôt que d’accepter cette politique sexiste, Ntiro a adopté une position radicale, en refusant le salaire et en enseignant sans rémunération. Grâce à une intervention de l’épouse du gouverneur à l’époque, le salaire de Ntiro a été aligné sur celui de ses collègues6. Après avoir travaillé au bureau du vice-chancelier de l’université de Makerere entre 1970 et 1978, Ntiro a été proclamée « Woman of Distinction » (Femme remarquable) par le Forum des éducatrices africaines en Ouganda en 2000.
En 1955, à l’époque où Ntiro se battait pour l’égalité des salaires, Eunice Lubega Posnansky (1927-2003) est devenue la première Ougandaise à décrocher une licence au collège Makerere (elle avait auparavant été l’une des premières filles ougandaises à obtenir un diplôme d’études secondaires au King’s College Budo)7. Et, comme Ntiro, Posnansky a poursuivi ses études à l’université d’Oxford, avant de retourner en Ouganda pour enseigner le luganda, la musique, l’histoire et la géographie aux élèves du secondaire. En 1965, elle est devenue la première présidente africaine de l’Association ougandaise des femmes universitaires et directrice de l’éducation des femmes. Elle s’est ensuite rendue au Ghana en 1967 pour travailler comme bibliothécaire adjointe à l’université du Ghana, mais deux ans plus tard elle a émigré en Californie, où elle a travaillé pour plusieurs bibliothèques de l’université de Californie à Los Angeles, avant d’enseigner au sein du Los Angeles Unified School District jusqu’à sa retraite en 19948.
Et quatre ans seulement après que Posnansky eut obtenu une licence en arts, Josephine Nambooze (1930-) est devenue la première femme à recevoir un diplôme en médecine du collège Makerere. Elle avait passé l’examen d’entrée avec des notes si élevées qu’elle a été admise à la faculté des sciences, puis à la faculté de médecine, et finalement, elle est devenue la première femme médecin africaine diplômée de Makerere9.
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Joy Constance Kwesiga, « Access of Women to Higher Education in Uganda: An Analysis of Inequalities, Barriers and Determinants », Thèse de doctorat, University of London, 1993, p. 216, https://discovery.ucl.ac.uk/id/eprint/10006581/1/DX192671.pdf. ↩
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MacPherson, They Built for the Future, p. 22. ↩
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Kwesiga, “Access of Women to Higher Education in Uganda,” 216. ↩
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MacPherson, They Built for the Future, p. 32. ↩
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Aili Mari Tripp, Women and Power in Postconflict Africa, Cambridge University Press, Cambridge, 2015, 56. ↩
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« Dr Sarah Ntiro, pioneer in education and women’s rights described as ‘a Ugandan Rosa Parks’ », Telegraph Obituaries, 13 novembre 2008, https://www.telegraph.co.uk/obituaries/2018/11/13/dr-sarah-ntiro-pioneer-education-womens-rights-described-ugandan/. ↩
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Tripp, Women and Power in Postconflict Africa, 56. ↩
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« Eunice Lubega Posnansky », avis de décès, 12 octobre 2003, Los Angeles Times, https://www.legacy.com/us/obituaries/latimes/name/eunice-posnansky-obituary?id=27627461. ↩
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MacPherson, They Built for the Future, 62. ↩
Le premier dortoir des femmes
Selon Mary Stuart, les administrateurs britanniques ne souhaitaient pas encourager les femmes à poursuivre des études supérieures et le directeur de l’école s’est montré ouvertement hostile tant envers les nouvelles étudiantes qu’envers la première directrice de la résidence pour femmes. Lorsque les femmes ont été admises pour la première fois au collège Makerere, elles n’étaient pas autorisées à entrer dans la salle commune des juniors ni à participer, dans les premiers temps, aux activités de la guilde des étudiants1. En outre, ces femmes vivaient dans un bâtiment administratif qui avait été pourvu de logements résidentiels. Dès 1938, les autorités locales avaient approuvé des fonds destinés à la construction d’un dortoir pour femmes au collège Makerere, mais l’offre n’a jamais été acceptée.
Cependant, vers la fin des années 1940, le besoin d’agrandir les installations de logement pour les étudiantes se faisait fortement sentir. Et malgré tout, la première résidence pour femmes, achevée en 1953, ne pouvait accueillir que quarante personnes, ce qui démontre clairement les attentes des planificateurs du collège Makerere en matière d’inscriptions. En 1958, sous la pression de l’inscription de quatre-vingt-dix femmes, une extension achevée l’année suivante (conçue par Blackburne, Norburn and Partners, basé à Nairobi), offrait enfin aux étudiantes un réfectoire agrandi et une nouvelle aile, une salle commune pour les juniors et un petit noyau de chambres réservées aux chercheuses2.
Suite à l’accroissement rapide du nombre d’étudiantes durant les années 1960, l’institution – alors appelée université d’Afrique de l’Est – a subi des pressions pour ajouter une nouvelle extension au Mary Stuart Hall. Cette extension devait faire partie d’un plan de développement de Makerere Hill qui permettrait d’accueillir une université de deux mille étudiants, dont l’expansion devait pouvoir s’étaler sur cinquante ans3. Ce plan, connu sous le nom de plan Kendall, avait été élaboré par l’urbaniste de Kampala à la demande du collège en 1955. À l’époque, le directeur de l’établissement avait noté qu’il existait déjà « un excellent noyau de bâtiments universitaires qui se comparent dignement à ceux du Royaume-Uni », mais qu’il n’était pas satisfait des styles architecturaux utilisés pour la conception ni de la manière dont les connaissances des besoins de l’université se reflétaient dans la planification du campus4.
La construction de la tour en béton
C’est dans ce contexte que Peatfield et Bodgner, un cabinet d’architecture britannique basé à Kampala, fut chargé de concevoir l’extension du Mary Stuart Hall en 1965. Thomas Peatfield et Geoffrey Bodgener avaient créé leur agence en 1952, après avoir étudié ensemble à Londres, servi ensemble dans la Royal Air Force pendant la Seconde Guerre mondiale, et même avoir été camarades de classe. Comme beaucoup de leurs pairs, Peatfield et Bodgener se sont mis en quête de projets à réaliser dans les pays qui émergeaient alors de la domination coloniale britannique1. En 1956, leur projet de construction d’un bâtiment de l’Assemblée nationale en Ouganda leur a permis de remporter un concours d’architecture du Commonwealth et leur proposition s’est transformée en un projet pour le futur Parlement. Ce projet a ouvert la voie à Peatfield et Bodgener, qui étaient bien placés pour obtenir des commandes vu le manque d’architectes formés en Ouganda à l’époque (l’école d’architecture la plus proche se trouvait à Nairobi)2. Par la suite, outre le Mary Stuart Hall, ils ont conçu entre autres le siège de la Bank of Uganda (1966), la Uganda Commercial Bank (aujourd’hui Cham Tower) (1976) et la Uganda House (1980).
Au début, Peatfield et Bodgener envisageaient deux ou trois étages pour le Mary Stuart Hall, mais en raison du nombre croissant d’étudiantes, les architectes ont finalement élaboré une proposition de tour de huit étages comprenant des chambres individuelles, une salle commune et une salle à manger, un bureau de directrice et une bibliothèque. Les fondations ont été coulées en 1965 et la construction s’est achevée en 1972. Témoignage exemplaire du brutalisme, la tour a été construite par une entreprise israélienne, Solel Boneh, à l’aide de béton coulé sur place, avec une finition brute, deux cages d’ascenseur et des balcons en porte-à-faux. Cette société était l’une des nombreuses entreprises israéliennes actives en Ouganda à l’époque, chargées de mettre en œuvre des projets allant des routes aux aéroports, en passant par les lotissements, les infrastructures hydrauliques, les stations agricoles et les bâtiments publics. Les relations entre l’Ouganda et Israël ont pris leur essor à la fin des années 1950 et se sont approfondies dans les années 1960, lorsqu’Israël a investi des efforts et des ressources considérables dans les économies et les infrastructures des pays d’Afrique de l’Est nouvellement indépendants3. Solel Boneh a construit plusieurs projets d’architecture moderniste importants, dont le bâtiment de l’Uganda Commercial Bank de Peatfield et Bodgener et les vastes appartements de Bugolobi (1971)4. Que Peatfield et Bodgener aient ou non remporté la commande de la tour du Mary Stuart Hall, la réalisation de leur projet ambitieux imposait le recours à un constructeur habitué à utiliser le béton à une si grande échelle.
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Ben Flatman, « An architect’s guide to surviving the rule of Idi Amin », Building Design., 7 juillet 2017 https://www.bdonline.co.uk/opinion/an-architects-guide-to-surviving-the-rule-of-idi-amin/5088622.article. ↩
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Flatman, « An architect’s guide to surviving the rule of Idi Amin ». ↩
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Arye Oded, « Israeli-Ugandan Relations in the Time of Idi Amin », Jewish Political Studies Review, vol. 18, no. ¾ (automne 2006), p. 66, https://www.jstor.org/stable/25834697. ↩
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« The Start of Uganda Commercial Bank », New Vision, 3 décembre 2019, https://www.newvision.co.ug/news/1511549/start-uganda-commercial-bank. Solel Boneh a commencé la construction de la Uganda Commercial Bank en 1969, mais leur contrat a été résilié par Idi Amin en 1972. La construction a été achevée en 1979 par la société Energo de l’ex-Yougoslavie. ↩
La dégradation des dortoirs
L’état matériel de la tour Mary Stuart Hall s’est toutefois dégradé assez rapidement, car le climat général de l’université Makerere a commencé à changer dans les années 1970 en raison de la situation politique fluctuante. À la tête du pays suite à un coup d’état en 1971, le président ougandais Idi Amin, qui s’était initialement montré favorable à une collaboration avec le gouvernement israélien, a rapidement changé de position et s’est plutôt tourné vers les gouvernements arabes. Ce revirement politique a culminé le 30 mars 1972 lorsque Amin a ordonné la fermeture de l’ambassade d’Israël en Ouganda et mis fin aux relations diplomatiques. Une semaine plus tard, il n’y avait plus aucun Israélien en Ouganda1. Quand les Ougandais ont commencé aussi à quitter le pays en grand nombre, Amin a brusquement introduit une politique exigeant l’autorisation du bureau du président pour voyager hors du pays. Cela signifiait que les universitaires ne pouvaient plus assister à des conférences internationales2.
L’instabilité politique a rendu la vie à Mary Stuart Hall particulièrement difficile, en partie à cause du manque de fonds et du départ des experts étrangers en charge de la maintenance. Ainsi, dans les années 1970, l’ascenseur a été fermé en permanence parce qu’il était resté bloqué au fond de la cage et que le mécanisme de verrouillage de la porte s’était rompu, entraînant la chute mortelle d’une étudiante qui avait ouvert la porte pour entrer dans la cabine d’ascenseur3. Au cours des années 1970, d’autres problèmes de conception de la tour sont apparus, notamment l’inadaptation des toits plats au climat est-africain. Milton Obote, qui a été élu président pour la deuxième fois en 1980 après le renversement d’Idi Amin en 1979, a alloué des fonds pour la réhabilitation d’urgence des dortoirs de l’université Makerere en 1982, ce qui incluait l’asphaltage du toit plat de Mary Stuart Hall et des couvertures d’autres bâtiments modernistes Lumumba Hall et Africa Hall. Le traitement du toit s’est avéré utile, mais les tôles d’aluminium se sont détériorées au bout de plusieurs années en raison de leur exposition aux éléments4.
Les années 1980 ont continué d’être une période tumultueuse pour l’Ouganda jusqu’en 1986, date à laquelle l’actuel président Yoweri Museveni est arrivé au pouvoir. C’est sous son nouveau gouvernement que l’université de Makerere a chargé Peatfield and Bodgener de rénover ses dortoirs et que le directeur actuel de la société, Philip Curtin, est arrivé à Kampala en provenance du Royaume-Uni. Après avoir postulé à tous les postes disponibles au Royal Institute of British Architects, celui-ci a fini par se voir offrir un poste chez Peatfield and Bodgener à Kampala pour travailler à la reconstruction et à la réhabilitation des bâtiments institutionnels ougandais qui se détérioraient5.
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Oded, « Israeli-Ugandan Relations in the Time of Idi Amin », p. 74. ↩
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Ssebuwufu, Managing and Transforming an African University, p. 73. ↩
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Ssebuwufu, p. 75. ↩
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Emily Wax, « Hard times for ‘Harvard of Africa’ », The Guardian, 18 novembre 2005, https://www.theguardian.com/theguardian/2005/nov/18/guardianweekly.guardianweekly1. ↩
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Philip Curtin, entretien avec l’auteure, le 27 mai 2021. ↩
La réhabilitation des dortoirs
L’augmentation considérable du nombre d’étudiants inscrits à Makerere a entraîné une surpopulation et une mauvaise gestion de ses installations. Selon l’administration, il y avait à peine plus de 5 000 étudiants inscrits en 1984, alors qu’aujourd’hui les inscriptions avoisinent les 40 0001. Le nombre de femmes inscrites a particulièrement augmenté depuis que l’université Makerere a institué une politique d’action positive en 1990, en vertu de laquelle 1,5 point est ajouté à chaque demande d’inscription d’une étudiante. Par ailleurs, la privatisation et la réduction des financements publics ont poussé l’université à admettre davantage d’étudiants payants, alors qu’elle n’a toujours pas les moyens d’agrandir ses installations.
En raison de la surpopulation, les espaces de socialisation du Mary Stuart Hall ont progressivement été affectés à des fonctions éducatives – le réfectoire est devenu une salle de conférence et la salle commune a été transformée en salles d’étude. Les dortoirs sont donc devenus les seuls espaces où les étudiantes peuvent prendre leurs repas et se rencontrer. Chaque étage de la tour comprend en général des chambres sans balcon qui sont conçues à l’origine pour une ou deux étudiantes, mais en hébergent désormais trois ou quatre. Un autre type de dortoir consiste en une chambre double avec un balcon partagé, qui accueillait à l’origine deux ou trois étudiantes, mais sert aujourd’hui à cinq ou six d’entre elles. Avec un tel problème d’encombrement, les balcons partagés sont devenus non seulement les seuls espaces sociaux mais aussi le seul espace disponible pour les activités domestiques comme manger ou faire la lessive. Disposant depuis ces balcons d’une vue sur les cours du Lumumba Hall, la résidence des hommes, les femmes y trouvent aussi un lien visuel qui favorise l’instauration d’une solidarité entre les deux halls et génère des effets sociaux encourageant une plus grande interaction entre les étudiants.
Malgré le format imposant du Mary Stuart Hall, son offre d’hébergement ne suffit pas à accueillir toutes les femmes inscrites à l’université Makerere. Par conséquent, un nombre croissant de foyers établis dans les environs de l’université complètent la capacité des dortoirs. Certaines résidences sont privées tandis que d’autres sont affiliées à Makerere, ce qui signifie qu’elles ont conclu un accord avec les responsables de l’université pour loger les étudiantes en dehors du campus. Et bien que certaines résidences soient plus abordables, celles offrant de meilleurs équipements et une bonne sécurité demandent des loyers plus élevés, qui équivalent facilement au double du prix d’une chambre dans une résidence de l’université Makerere2. Ce réseau de résidences fournit un service nécessaire, peut-être même d’une qualité meilleure que celle proposée sur le campus, mais il démontre également que l’offre de logements confortables et sûrs pour les étudiantes reste aussi précaire qu’avant la construction du Mary Stuart Hall.
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Wax, « Hard times for ‘Harvard of Africa’ ». ↩
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Jonah Kirabo, « Hostel Guide; All you need to know about MAK, MUBS hostels », NilePost, 30 juillet 2018, https://nilepost.co.ug/2018/07/30/hostel-guide-all-you-need-to-know-about-mak-mubs-hostels/; Christopher Tusiime, « Inside Makerere’s Best Hostels, Their Prices and Facilities », Journalism@mak, 29 mai 2016, https://journalism.mak.ac.ug/?q=news/290516/inside-makereres-best-hostels-their-prices-and-facilities. ↩
L’auteure tient à réitérer sa gratitude au Professeur Barnabas Nawangwe, vice-chancelier de l’université Makerere, au Dr. Allan Barabi, maître de conférences au département d’architecture et d’aménagement du territoire, à Philip Curtin, directeur chez Peatfield et Bodgener Architects, au photographe Timothy Latim, et à l’assistant de recherche William Samuel Byangwa.
Doreen Agengo a écrit ce texte dans le cadre de sa recherche pour le Programme de recherche multidisciplinaire Centrer l’Afrique : perspectives postcoloniales sur l’architecture.