Futurecasting : Vers une architecture dirigée par des Autochtones

Nicole Luke s’entretient avec Rafico Ruiz et Ella den Elzen sur la collaboration, la collectivité et l’écoute dans l’avenir du design autochtone

ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ / Ruovttu Guvlui / Vers chez soi a été conçu conjointement par Joar Nango, Taqralik Partridge, Jocelyn Piirainen et Rafico Ruiz, avec Ella den Elzen comme assistante curatoriale. Nous avons également publié des entretiens avec le designer Tiffany Shaw et les artistes Carola Garhn et Geronimo Inutiq.

RR
Que signifie pour vous le titre que nous avons donné à ce projet – angirramut, ruovttu guvlui, ou Vers chez soi (Towards Home)?
NL
Vers chez soi est un titre vraiment bien adapté au projet. Je pense que tout le monde peut s’y retrouver, car la notion du chez soi est une expérience individuelle. Il offre aussi un solide aperçu de l’architecture autochtone du nord de l’Arctique ainsi qu’une bonne compréhension de cette culture et de ce mode de vie, tout en restant accessible. Tout le monde a besoin d’un chez soi, tout le monde veut un chez soi, donc je pense que cette idée d’un espace sûr où les gens peuvent vraiment montrer leurs caractéristiques et leur culture est essentielle.
RR
Absolument, et je pense que cet aspect reste sous-exploré ou n’est peut-être pas assez mis en avant. Créer un espace sûr pour les différents membres des communautés de l’Arctique est une ambition importante du projet. Et le titre véhicule cette idée de mouvement vers quelque chose qui n’existe peut-être pas dans le présent, mais plutôt dans le futur. Nous avons essayé de résumer cela à l’aide des trois questions directrices avec lesquelles nous avons travaillé : où est le chez soi, où allons-nous à partir de là et où commence le territoire? Comment perçoit-on ce mouvement vers quelque chose?
NL
Je pense que tout le monde est curieux de l’avenir, mais lorsque l’on va vers quelque chose, il faut aussi regarder en arrière et reconnaître comment on est arrivé là où on est. Je pense que cette idée de processus est importante, et c’est quelque chose que nous avons essayé de mettre en avant avec le programme Futurecasting, en invitant des designers et des duojárs autochtones à participer à divers séminaires et à un atelier de design au territoire sámi, à Kautokeino, Norvège. Même si nous n’avions pas une idée précise de ce qui résulterait de Futurecasting lorsque nous en avons développé la structure, le programme est vraiment celui de l’expérience et des idées individuelles de chacun. Il s’agit de privilégier le processus par rapport au projet, et de montrer comment les processus de tous les participants sont différents et fondés sur l’expérience.
EdE
Qu’avez-vous appris en privilégiant la conversation et la collectivité comme méthodes de travail pour le projet Futurecasting?
NL
J’ai réalisé que l’écoute est importante, car chaque personne a une vision et des idées différentes sur Vers chez soi. Je pense que cela ne fait qu’enrichir le travail et la motivation de chacun, et renforcer l’effort communautaire en faveur de l’architecture et de la souveraineté autochtones. C’est ce que j’ai toujours vu dans ce processus.
EdE
J’aimerais connaître votre avis sur l’avenir du design dans l’Arctique et dans les régions nordiques dans une perspective autochtone, car le Nord a toujours été considéré comme une tabula rasa ou un espace vierge sur lequel les architectes du Sud non autochtones pouvaient concevoir librement. Comment aimeriez-vous voir les architectes autochtones mener le débat sur le design dans les communautés nordiques?
NL
Selon moi, cela prendra encore du temps. Il y a toujours un certain décalage et nous pouvons le constater par le manque d’architectes inuits et même d’architectes autochtones en général. Je pense qu’il faut que ce type de conversation ait lieu afin d’amorcer ou d’appuyer ce développement. Pour l’avenir, j’espère voir l’architecture poursuivre son développement dans l’Arctique et d’une manière qui soit stratégique.

Par exemple, je déteste l’idée de banlieues dans l’Arctique. Cela ne fait aucun sens. Je reconnais par ailleurs qu’il existe des problèmes de logement et que des bâtiments doivent être construits assez rapidement. Mais nous devons penser plus largement que la simple construction de logements : il s’agit de disposer de travailleurs spécialisés qui devront être envoyés dans le Nord, tout en réfléchissant à des formes durables d’écotourisme. On parle ici de cette économie de différentes choses bénéfiques pour la communauté qui ne se résument pas à un simple édifice. Je pense que tout ce processus pourrait être important parce que non seulement on fait venir des gens pour travailler sur ces projets de bâtiments, mais ils apprennent davantage et se retrouvent ainsi plus obligés de créer un projet spécial qui leur tient à cœur. J’aime imaginer que les gens qui arrivent dans la communauté ne sont pas seulement pris en charge, mais qu’ils veulent aussi prendre soin de la communauté au-delà du projet. Parce que lorsqu’on se soucie d’un projet, et qu’on se préoccupe des gens et des relations qu’on développe, c’est tout l’objectif final qui en bénéficie.
EdE
À quoi ressemble une forme ou une manière plus empathique de concevoir?
NL
Je pense qu’il faut que le processus de conception soit plus stratégique. À mon sens, le budget et le calendrier sont aussi des facteurs cruciaux. On en a besoin dans certains projets pour répondre aux questions et aller de l’avant, mais je pense qu’il devrait y avoir une manière de construire davantage délibérée, qui ne tienne pas seulement compte du budget. Par exemple, lorsque l’on conçoit des logements, peut-on y intégrer un espace communautaire? Peut-il être plus qu’un simple espace? On pourrait peut-être envisager un espace d’atelier et une programmation plus flexible. Il serait utile d’aborder ces questions avec des personnes de différentes communautés durant la phase de conception, et je pense que tout cela repose sur la création de relations et l’engagement envers le projet.
EdE
En parlant d’établir des relations, quelles formes de connaissances peuvent être partagées entre les communautés autochtones du Nord/du Sud de l’île de la Tortue, de l’Inuit Nunangat et de Sápmi, ou de quelles manières?
NL
Je ne peux pas vraiment préciser sous quelles formes exactement, mais j’ai constaté une transition dans le mode de vie du Nunavut au Manitoba, donc il y a un transfert de connaissances entre les deux qui est fondé sur la communauté. Parce que j’ai vécu à Winnipeg pendant la majeure partie de ma vie, j’ai toujours voulu passer plus de temps dans le Nord. En grandissant, j’ai toujours été en mesure de visiter et rester avec ma sœur ou ma famille à Kivalliq, mais j’ai toujours pensé que ce serait bien ailleurs qu’au Nunavut. Même si c’était les Territoires du Nord-Ouest ou le Yukon, ce serait formidable s’il y avait une sorte de programme d’échange entre le Nord et le Sud qui permettrait de connaître et d’apprendre de différentes communautés. Dans le contexte de l’architecture, si on travaille sur un projet, il existe peut-être un endroit où l’on peut résider pendant deux semaines pour commencer à développer le projet, plutôt que de se rendre rapidement dans une communauté par avion, puis de repartir après deux jours. Je trouve cela assez malheureux, quand on doit construire pour la communauté mais qu’on est obligé de tout résoudre en huit heures ou moins. Selon moi, il devrait y avoir une meilleure façon de procéder.

ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ / Ruovttu Guvlui / Vers chez soi, vue d’installation de la galerie Futurecasting, qui présente le travail de neuf designers, architectes et duojárs autochtones émergents de l’île de la Tortue et de Sápmi. Photographie de Mathieu Gagnon © CCA

EdE
C’est intéressant ce que vous dites à propos de ces relations à l’intérieur et entre les différentes provinces et territoires et de cet échange de connaissances, même dans ce qui est connu comme le Canada. C’est important de reconnaître toutes la variété des différences culturelles à travers le Nord et le Sud, et dans les communautés individuelles qui nécessitent un engagement profond encore plus fort. Au sujet de Futurecasting, le projet suggère que le design pour des climats froids doit être compris au-delà des frontières coloniales ou géopolitiques, et qu’il y a une sorte d’échange ou de partage de connaissances entre les participants autochtones du Canada et les participants sámis. Comment avez-vous compris ce type d’agencement?
NL
Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris ce qui allait se passer tout au long du projet. Je me suis toujours intéressée à l’architecture ou aux peuples autochtones, internationaux et circumpolaires, et je pense qu’il y a beaucoup d’avantages à discuter avec des gens au-delà des frontières coloniales et cela va au-delà de cette idée de politique. Chaque pays a des politiques différentes, des objectifs différents au sujet des infrastructures qu’il souhaite mettre en place, et il se peut qu’un pays bénéficie vraiment d’un type de politique alors qu’un autre n’y trouve aucun avantage. Il est important que chacun en tire des enseignements et rencontre plus de gens, simplement pour collaborer au-delà de sa propre communauté.
EdE
Comment voulez-vous comprendre l’intégration des connaissances traditionnelles et des techniques artisanales, ou celle du savoir des anciens ou des gardiens du savoir, dans un processus de design contemporain?
NL
Je me sens également volontiers comme un artisan. En ce qui concerne l’architecture, le simple fait de commencer petit pour construire grand aide à comprendre certains espaces et significations d’un bâtiment ou d’un projet. Je ne pense pas qu’il faille délaisser ce processus. À l’heure actuelle, je décrirais l’architecture comme étant conceptualisée avec un style international. Tout est acier et verre et c’est assez industrialisé dans beaucoup d’endroits, peu importe où l’on se trouve dans le monde. Je ne pense pas que cela fonctionne partout, surtout dans l’Arctique, où le développement de l’architecture est encore en cours. L’infrastructure elle-même est confrontée au défi de maintenir les communautés actuelles. Développer une architecture dans le Nord qui se contente de ressembler à celle du Sud n’a pas de sens. Les techniques traditionnelles intégrées dans le processus aident les membres de la communauté à revitaliser leur langue. Par exemple, quand on construit certaines parties d’un igloo ou d’un tipi, cela implique l’utilisation de certains mots pour chaque élément structurel, qui ont des significations différentes et qui sont associés à des enseignements différents. Ainsi, la construction devient un outil d’enseignement.
EdE
Dans cette optique, qu’est-ce que cela signifie de concevoir sur un territoire autochtone?
NL
Je pense que le fait d’énoncer et de reconnaître le territoire autochtone sur lequel on conçoit est un geste puissant, car on reconnait alors automatiquement les cultures traditionnelles qui s’y trouvent. Je pense que cela aide à comprendre la signification du projet, la signification des relations que vous souhaitez bâtir; et on éprouve le besoin de faire mieux. Je pense que concevoir sur un territoire autochtone, c’est faire ses devoirs, respecter les communautés auprès desquelles on s’engage, écouter et appliquer ce que l’on a appris.

Vue d’installation de Past Memories, Future Ideas de Nicole Luke, 2022. Impression numérique sur toile avec tendon synthétique. Photographie de Mathieu Gagnon © CCA

RR
Je me demande quelle est votre analyse des possibilités de l’enseignement du design, plus spécifiquement peut-être dans l’Inuit Nunangat, au Nunavut. Quel potentiel y a-t-il pour l’avenir?
NL
J’espère qu’il y a beaucoup de potentiel. Il faut vraiment qu’il y en ait, car si vous évoquez l’enseignement du design, je pense que vous devez d’abord parler de l’enseignement général. À la fin de mes études secondaires, je travaillais pour l’Association des Inuits du Manitoba à la collecte d’une base de données sur les bourses d’études pour les Inuits vivant en milieu urbain au Manitoba. Je me suis aperçue que la moyenne des notes obtenues au secondaire par les élèves et les matières enseignées au Nunavut ne sont pas comparables à celles du Manitoba. Si quelqu’un obtient un diplôme au Nunavut et veut aller étudier à l’université dans le Sud, il y a déjà un énorme saut à faire non seulement pour tenter de s’inscrire, mais aussi pour avoir la moyenne générale et maîtriser les matières requises.

En plus de cela, il y a l’augmentation de l’inaccessibilité de l’enseignement du design : si les gens veulent étudier en architecture ou dans n’importe quoi d’autre domaine dans les arts, c’est difficile. Il y a beaucoup trop d’obstacles à franchir pour commencer. Je pense que l’idée de l’éducation au design doit être introduite à un plus jeune âge et que les gens y soient exposés un peu plus longtemps. J’ai suivi un programme de design environnemental et il y a tellement d’emplois que l’on peut obtenir avec ce seul diplôme. C’est vraiment formidable à mon sens.

À l’école élémentaire ou secondaire, il serait important d’organiser encore plus d’ateliers et de discuter des possibilités avec les élèves. Je pense qu’il faudrait de meilleurs bâtiments dans le Nord, parce qu’étant dans le Sud, j’ai eu la chance de suivre des cours dans des édifices très intéressants. Lorsqu’on est dans un espace qu’on apprécie vraiment, on profite réellement de ce qu’on y fait, et cela favorise vraiment nos actions et nos objectifs. Bien sûr, je ne veux pas dire que tous les bâtiments du Nord sont mauvais, mais je pense qu’il y a beaucoup de malentendus sur ce que devrait être un bâtiment dans le Nord. Je pense qu’il est aussi très important de créer un espace de qualité pour cette éducation.
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