Mettre en doute les preuves
Eliza Pertigkiozoglou, Emilie Banville, Shivani Shedde, Cigdem Talu
Cette semaine, nous publions les premiers articles de « Mettre en doute… », une série de lectures sceptiques des intersections flexibles entre le droit et l’environnement bâti, rédigées par les participants à notre Outils d’aujourd’hui 2021 et introduites par Shivani Shedde. Dans cet article, Eliza Pertigkiozoglou aborde la manière dont les erreurs logicielles introduisent des possibilités de pratiques contre-archivistiques; Émilie Banville s’interroge sur la question des normes institutionnelles d’accès limitant l’utilisation des collections; Shivani Shedde analyse quant à elle comment les outils d’enseignement de l’architecture peuvent devenir des outils d’activisme, et Cigdem Talu examine la façon dont la criminalité et le maintien de l’ordre ont été tissés dans les expériences touristiques modernes. Chaque auteur remet en question les méthodes d’ordonnancement, de présentation et d’accessibilité (ou non) des preuves architecturales aux utilisateurs.
Mettre en doute les erreurs logicielles
Eliza Pertigkiozoglou
Ce fichier ne peut être ouvert, car il a été créé par une version antérieure du logiciel. Un message d’erreur s’affiche lorsque j’essaie d’ouvrir une maquette en 3D, après plusieurs heures de consultation de fichiers architecturaux numériques dans la salle d’étude du CCA. Ce message perturbe le flux d’absorption de la recherche archivistique, entraînant une prise de conscience déconcertante que le logiciel propriétaire est entré en scène en tant qu’autre participant à la gestion des archives d’architecture numériques. C’est la technologie de visualisation, et non les administrateurs, qui a limité l’accès à la maquette architecturale archivée – une commande exécutée par le message d’erreur. En tant que « fonctionnalité, et non pas anomalie », l’erreur indique comment la réglementation de la propriété intellectuelle par le marché libre a pénétré les archives numériques par l’intermédiaire de logiciels1. Contrats de licence, protocoles chiffrés, formats de fichiers protégés et mises à jour sécurisées assurent le monopole détenu par les fournisseurs sur la traduction des données codées du fichier en une forme utilisable. Ce faisant, les sociétés de génie logiciel gèrent l’accès au matériel archivé et, par conséquent, au savoir.
L’interférence du message d’erreur provoque une méfiance concernant la manière dont le programme informatique peut reconfigurer les attributions entre utilisateurs et connaissances au sein de l’archive. La perturbation de l’ordre archivistique causée par l’erreur présente en outre la possibilité d’une contre-archive, c’est-à-dire d’une réflexion sur la manière dont les données peuvent servir de preuve architecturale au-delà de celles régies par les systèmes logiciels commerciaux. Alors que la notification d’erreur clignote, que la traduction des codes s’interrompt et que le rendu de la maquette d’architecture sur l’écran échoue, les données codées du fichier persistent, invitant à d’autres interprétations. Les métadonnées concernant l’auteur du fichier et ses contributeurs, ses dates de création et de modification, son emplacement parmi d’autres fichiers dans des dossiers, et les informations décrivant les entités géométriques, les propriétés d’affichage et les structures de fichiers, peuvent ensemble dessiner une image beaucoup plus texturée de la production d’un projet d’architecture que les formes rendues du bâtiment. Bien que contingentes et incomplètes, ces données portent des traces de la manière dont les fichiers numériques, partagés entre les collaborateurs du projet, font partie de configurations de travail et de pratiques sociales et matérielles complexes. Ces entités informationnelles, censées rester cachées en raison de l’extraction automatique des informations par le logiciel, recèlent un énorme potentiel en tant que ressources pour les pratiques de contre-archivage; elles contiennent des inscriptions de participants à l’architecture autrement invisibles, d’échanges réduits au silence et d’environnements oubliés.
L’activation de ces traces dissimulées n’est pas une tâche banale; elle exige de rendre les données prêtes et disponibles pour consultation et analyse. Les initiatives institutionnelles de préservation numérique offrent l’opportunité d’utiliser les infrastructures d’archivage pour mettre au jour les données et leurs relations. Scope, le logiciel en ligne du CCA pour consulter les archives numériques, est une ressource remarquable qui relève le défi de « fournir aux chercheurs un accès significatif aux fichiers et à leurs descriptions»2. Permettant à l’utilisateur de réaliser des recherches dans les métadonnées archivistiques de fichiers, dossiers et collections individuels, le logiciel situe chaque objet numérique à l’intérieur d’un écosystème plus vaste. Ces relations informationnelles peuvent aider les chercheurs à cartographier des projets architecturaux comme un travail collectif, partagé entre de multiples technologies, institutions, représentations et entités. Ensemble, les données d’archives et de fichiers suggèrent que des preuves plurielles sous-tendent les apparences uniformes des maquettes numériques, en attente de leurs traductions.
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Formulation utilisée par les premiers programmeurs d’ordinateurs pour indiquer des dysfonctionnements intentionnels. Voir Eric S. Raymond et Guy L. Steele, The New Hacker’s Dictionary, Cambridge, MA, The MIT Press, 2002, p. 184. ↩
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Kelly Stewart et Stefana Breitwieser, « SCOPE: A Digital Archives Access Interface », Code4Lib Journal, no 43 (2019). ↩
Mettre en doute l’accès
Emilie Banville
Dans le cadre de son travail d’interprétation des archives et des systèmes de conservation des musées, le photographe Stefano Graziani a immortalisé les voûtes situées au sous-sol du CCA, où les dossiers sont entreposés en toute sécurité et l’accès aux visiteurs restreint, sinon interdit. Pourquoi alors collectionner et conserver des artéfacts du passé si ce n’est pas pour les mettre à disposition à des fins d’étude critique dans le présent? Si les opérations de préservation permettent de pérenniser les archives, l’accès demeure le lien principal entre celles-ci et le monde extérieur. L’accès aux collections institutionnelles, qu’elles soient physiques ou numériques, rend possible leur utilisation. Lorsqu’il est accordé à un éventail plus vaste d’utilisateurs, l’accès multiplie les possibilités de rencontre, partage, réorganisation et, potentiellement, redéfinition des archives dans un sens qui dépasse leur fonction première d’assurer une classification de documents et de preuves1. Leur exploitation n’épuise pas les archives, mais augmente au contraire leur rayonnement et leur pertinence.
L’accès, toutefois, ne suffit pas. Ironiquement, les responsabilités d’un musée en matière de conservation sont parfois en contradiction avec son mandat d’information2. Si les documents sont censés « être utilisables aussi longtemps qu’ils sont conservés »3, comme le préconise l’Organisation internationale de normalisation, les musées devraient adopter une approche proactive de l’accès, afin de remettre en cause les rituels cloisonnés et bousculer les dynamiques de pouvoir institutionnelles4. L’archiviste Rick Prelinger conçoit cet accès proactif comme une démarche à la fois formative et expérimentale combinant érudition, conscience historique, production culturelle et discours public; une pratique structurant un ensemble de relations sociales entre les collections, les dépositaires et leurs utilisateurs5. Les tendances qui émergent dans les musées comme la conservation numérique, l’ouverture des réserves au public et les ateliers participatifs sont autant de signes d’un changement de paradigme concernant l’accès aux collections. Outre le fait d’ouvrir ses portes et de fournir des services, une approche proactive de l’accès permettrait de contrer l’exclusivité archivistique au profit d’une authentique rencontre avec cette documentation.
Dans le cadre d’une réflexion continue sur ses propres positions et pratiques institutionnelles, le CCA reconnaît l’importance des archives comme espace dynamique de production de savoir essentiel. Par exemple, avec le projet d’exposition et de publication Sortis du cadre, chercheurs, conservateurs, experts et architectes sont invités à examiner les archives acquises récemment « de façon curatoriale plutôt que systématique », d’après Giovanna Borasi, directrice du CCA6. Remettant en question la linéarité d’une approche de l’érudition architecturale selon laquelle l’acte d’archiver précède le travail de conservation lui-même, Sortis du cadre s’attarde moins au contenu des boîtes d’archives qu’à la « recomposition épistémique » qui résulte de nouvelles lectures et interprétations7. Ces expériences, qui vont dans le sens d’un enrichissement mutuel des pratiques archivistiques et curatoriales, créent les conditions d’une interrogation quant aux règles, traditions et hiérarchies associées aux procédures institutionnelles compartimentées et occultes. Mettre ainsi l’accent sur le pouvoir épistémologique et muséologique des archives met en lumière les nombreuses décisions subjectives et fortuites qui façonnent la classification et la conservation des preuves historiques.
Pourtant, des initiatives comme Sortis du cadre restent soumises aux protocoles et priorités de l’institution et se déploient encore dans un contexte d’accès fragmentaire. D’un côté, un accès restreint, mais physique, est autorisé aux experts : des utilisateurs de confiance qui, par leur autorité professionnelle ou universitaire, et formés aux méthodes de recherche et au maniement des collections, ont déjà leurs entrées dans les réserves. De l’autre, un accès libre, mais numérique, est proposé aux non-spécialistes : des utilisateurs ordinaires qui forment le public au sens large des musées, pour qui l’étendue des collections – mis à part quelques aperçus contrôlés – demeure en grande partie invisible.
Si les archives ne génèrent pas de signification pour elles-mêmes, leur relation avec les utilisateurs, elle, le fait. Entre les tensions de la préservation et de la diffusion, dans les « méandres de la médiation et de la réinterprétation », poser la question de l’accès aux archives démontre un intérêt et une considération pour leur nature complexe, instable et construite socialement8. Mettre en doute l’accès, c’est contester la panoplie de règles, structures et raisons qui régissent la disponibilité des collections; c’est penser à ces dernières non pas dans une optique de propriété établie, mais plutôt de responsabilité partagée; c’est aussi aborder les archives non pas comme des objets en soi, mais comme une pratique collective valorisant l’utilisation comme acte de conservation .
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Ariella Azoulay, « Archive », Political Concepts: A Critical Lexicon, no 1 (2017). ↩
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Jane Taylor, « Holdings: Refiguring the Archive », dans Refiguring the Archive, Amsterdam, Kluwer Academic Publishers, 2002, p. 274. ↩
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Traduction libre ↩
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Voir 9.7 Utilisation et réutilisation, dans Organisation internationale de normalisation, Information et documentation – Gestion des documents d’activité – Partie 1 : Concepts et principes, ISO 15489-1:2016(E), deuxième édition 15-04-2016. Concernant les perspectives dynamiques sur une approche proactive de l’accès, voir : Conseil international des archives, comité sur les meilleures pratiques et les normes, groupe de travail sur l’accès, Principes relatifs à l’accès aux archives, adoptés par l’AGA le 24 août 2012. ↩
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Rick Prelinger, « Points of Origin: Discovering Ourselves through Access », The Moving Image: The Journal of the Association of Moving Image Archivists, vol. 9, no 2 (2009), p. 164–175. ↩
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Giovanna Borasi et coll., Le musée ne suffit pas, Berlin, Montréal, Sternberg Press, Centre Canadien d’Architecture, 2019. ↩
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Albena Yaneva, Crafting History: Archiving and the Quest for Architectural Legacy, Ithaca, État de New York, Cornell University Press, 2020. ↩
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Francis X. Blouin et William G. Rosenberg, cité dans Elizabeth Anne Bruchet, « Curation and the Archive: Entanglements of Discourse and Practice », thèse de doctorat, University of Brighton, 2019. ↩
Mettre en doute le manuel d’architecture
Shivani Shedde
En 1970, l’Organisation de solidarité des peuples d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine (OSPAAAL) publiait le cinquante-sixième numéro de son périodique, le Tricontinental Bulletin. Attrayante par son utilisation de la couleur et son collage graphique, la quatrième de couverture présente une image d’un colt 45 superposée à une carte recadrée de São Paulo. Appelant la population à se joindre à la lutte armée anticoloniale, la couverture fonctionnait comme un soliloque imprimé diffusant le message d’une alliance radicale du tiers-mondiste1. Le numéro, qui reproduit le Mini-manuel du guérillero urbain du communiste brésilien Carlos Marighella pour souligner le premier anniversaire de sa mort, s’adresse aux participants d’un mouvement de solidarité internationaliste qui embrasse des causes allant des droits civiques américains à la libération de la Palestine.
Figure importante de l’anti-autoritarisme au Brésil, Marighella – qui aurait été formé comme ingénieur civil – a présenté le manuel comme une voie à suivre vers la révolution, fondée sur une « formation technique » rigoureuse et sur la compréhension des zones urbaines. La connaissance des configurations spatiales est une condition préalable à l’action révolutionnaire; il estimait que le « principe stratégique concernant le mouvement de masse urbain est de s’y insérer avec l’objectif de créer parmi les travailleurs, étudiants et autres forces une infrastructure pour la lutte armée afin de passer à l’étape de la guérilla urbaine en menant des actions et des manœuvres de harcèlement avec des groupes issus des masses »2.
Si le manuel contient relativement peu d’informations sur la construction ou le dessin, il donne néanmoins une idée de son utilisateur idéal : une personne déjà formée aux arts techniques et désireuse de parfaire son autoapprentissage par l’action et la création. En suivant les directives données dans le livre – apprendre à calculer des distances, faire des cartes et des plans, dessiner à l’échelle ou travailler avec des outils comme un rapporteur d’angle ou un compas –, l’utilisateur attentif maîtriserait des habiletés topographiques et une capacité à situer sa position et celles d’autrui3. En ce sens, Marighella a malgré lui donné à voir l’image d’un architecte radical et présenté tout le potentiel subversif d’une formation diffusée publiquement. La guérilla version Marighella, désormais dissociée du paysage de la campagne, du maquis, du marais ou de la montagne, se retrouve intimement liée à la prééminence et à l’expansion de la ville et de l’urbain.
Et qu’en est-il si nous analysons ce numéro 56 sous l’angle des manuels de construction dans la collection du CCA, par exemple ceux distribués par le gouvernement indien à la suite de la décolonisation? Si la formation par les livres est un grand classique de la pédagogie en architecture, elle s’est rarement confrontée aux principes de la libération du Tiers-Monde. Dans les années 1960, les manuels ont aidé les bâtisseurs dans les anciennes colonies à s’instruire sur les standards architecturaux, renforçant par là même les discours modernisateurs sur le développement, le logement, l’implantation, l’habitation et la réalité domestique. À la différence de la contestation des normes de la « loi » et de la présentation de la ville comme espace d’insurrection dans le Mini-manuel, les manuels de construction s’imposent dans les ex-colonies comme une solution pragmatique en matière de planification, propageant les conceptions, règles et idées architecturales auprès des masses.
On pourra certes argumenter que l’architecture elle-même était accessoire dans ces cas. Les manuels d’architecture s’adressaient avant tout au lecteur, faisant du citoyen modèle un participant utile aux efforts d’édification nationale grâce à la formation technique. Faisant entrer la citoyenneté des pays naissants dans la « modernité », ces ouvrages ont fait leur place comme vecteurs importants de pacification, plutôt que de conflit. Il y a donc lieu de les analyser dans le contexte des forces tumultueuses, dynamiques et souvent inextricables de la décolonisation, et comme révélateurs de plusieurs moteurs de la « construction du monde », des partenariats citoyens idéalisés aux pratiques urbaines radicales4.
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Anne Garland Mahler, From the Tricontinental to the Global South: Race Radicalism, and Transnational Solidarity, Durham, CdN, Duke University Press, 2018. ↩
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Carlos Marighella, « Minimanual of the Urban Gorilla » [Mini-manuel du guérillero urbain], Tricontinental Bulletin, no 56, Cuba, OSPAAAL, novembre 1970, p. 41. ↩
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Marighella, « Minimanual », p. 9. ↩
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Adom Getachew, Worldmaking After Empire: The Rise and Fall of Self-Determination, Princeton, Princeton University Press, 2019 ↩
Mettre en doute les guides
Cigdem Talu
Le long XIXe siècle a été témoin du développement et de l’expansion d’un genre étroitement lié à l’essor du tourisme urbain : le guide. Ville la plus peuplée du monde en 1831, Londres figurait parmi les sujets principaux de ce genre. Alors que l’Exposition universelle et la construction des Embankments et du métro de Londres ont radicalement changé l’apparence, l’expérience et les représentations de la ville, les guides ont constitué un outil permettant de suivre le redéveloppement urbain à travers des points de repère et des contextes spécifiques. S’adressant aussi bien aux résidents qu’aux voyageurs, les guides font la promotion de la ville et affirment que leurs lecteurs sont des « participants actifs » à sa construction1. Selon l’historien de l’architecture Paul Dobraszczyk, ces guides sont des « assemblages élaborés » qui ont « façonné les manières de concevoir la ville » avec leur combinaison de textes, de cartes, d’illustrations et d’informations descriptives2. Ils étaient appelés guides illustrés, relevés, manuels, compagnons de poche et, de façon plus évocatrice, « aperçus ou recueils » ou « curiosités de Londres ». Peu importe le type ou le titre, le genre évoquait des expériences urbaines modernes grâce à des descriptions émotionnelles rattachées à des lieux en particulier, y compris – parfois inopinément – la typologie spatiale de la prison.
Quelles preuves architecturales ces guides urbains révèlent-ils lorsqu’ils sont mis en doute?
La légalité du contrôle et de la police, en particulier les infrastructures carcérales, prescrit des normes dans l’environnement bâti. Au cours du siècle, les guides sur Londres ont de plus en plus montré et décrit des prisons comme des points de repère pour réfléchir à sa propre moralité et à celle de la population en général. À la fin du XVIIIe siècle, les lieux d’incarcération ont fait l’objet de chapitres distincts dans les guides, leurs institutions clés, leurs typologies architecturales et leur rôle pénitentiaire devenant un sujet de fascination touristique. Les prisons des villes comme Newgate, Clerkenwell, Millbank et les maisons de correction du Middlesex et de Westminster étaient souvent illustrées par des dessins architecturaux contextualisés dans des environnements urbains et faisaient partie des points forts des promenades touristiques suggérées dans les guides. Lorsque l’on suit la représentation narrative des prisons dans les guides londoniens au cours du XIXe siècle, une image de la morale publique et de la criminalisation fait surface : la prison apparaît comme une preuve architecturale de la loi et de l’ordre urbains en rappelant à l’utilisateur l’impératif d’une conduite licite et en délimitant les frontières morales et physiques entre les criminels et le public. Un langage et un vocabulaire émotifs enrichissent les descriptions des caractéristiques architecturales; dans le guide The Picture of London of 1806, le narrateur amorce à contrecœur un passage sur les prisons en réfléchissant à leur inclusion nécessaire pour des raisons morales plutôt que par simple curiosité, notant qu’« aucun étranger qui visite Londres ne devrait omettre de voir ces manoirs de la misère 3».
Pour l’observateur extérieur et le lecteur du guide, la présence de la prison, dans la ville et le livre, est devenue un exercice réfléchi sur l’édification autoritaire de la nation. Pourtant, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les établissements pénitentiaires passèrent de spectacles touristiques publics à des institutions urbaines privées et cachées. À Newgate, les exécutions sont déplacées à l’intérieur en 1868, n’ayant plus lieu dans le square qui faisait face à l’édifice. La maison d’arrêt a été fermée en 1902 et démolie l’année suivante. Ces bâtiments ont également commencé à disparaître des ouvrages; au début du XXe siècle, ils sont rarement, sinon jamais, représentés dans les guides londoniens. À cette époque, la loi et l’ordre à Londres ont un visage nouveau, omniprésent : le policier4. En 1913, la couverture du Cook’s Handbook to London représente ainsi un agent à l’avant-plan, dirigeant la circulation de son bras ouvert et faisant respecter la loi. Ce personnage est à la même échelle que la cathédrale Saint-Paul, comme s’il s’agissait d’un nouveau point de repère dans la ville.
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Paul Dobraszczyk, « City Reading: The Design and Use of Nineteenth-Century London Guidebooks », Journal of Design History, vol. 25, no 2 (2012), p. 123. ↩
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Dobraszczyk, « City Reading », p. 140–141. ↩
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John Feltham, The Picture of London for 1806: Being a Correct Guide to All the Curiosities, Amusements, Exhibitions, Public Establishments, and Remarkable Objects, in and near London: With a Collection of Appropriate Tables, Two Large Maps, and Several Views, Londres, Imprimé par W. Lewis pour Richard Phillips, 1806, p. 249. ↩
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C’est en vertu du Metropolitan Police Act de 1829 que le maintien de la loi a été instauré et centralisé à Londres pour la première fois. ↩