Nouveau documentaire

Takashi Homma en conversation avec Stefano Graziani et Bas Princen

Cette histoire orale a été filmée par Jonas Spriestersbach en décembre 2022 à l’atelier de Takashi Homma à Tokyo. Elle fait partie du projet du CCA Les vies des documents—la photographie en tant que projet, une réflexion ouverte sur la façon dont les pratiques passées et contemporaines de création d’images servent d’outils critiques pour lire notre environnement bâti et concevoir le monde d’aujourd’hui.

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BP
Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux vagues, et pourquoi avez-vous voulu les photographier?
TH
New Waves a commencé en 2000 lorsque je suis allé à Hawaï pour photographier des vagues pour une commande de magazine. J’ai photographié plusieurs vagues, au début uniquement pour le magazine. Mais suite à cette première visite, j’ai réalisé que le projet était lié au problème photographique de l’instant décisif sans capturer de moments particulièrement décisifs, et j’ai donc continué à photographier des vagues. Après cinq ou six ans, j’ai commencé à comparer mes photographies de vagues au vin : les gens peuvent collectionner la photographie de vagues de Takashi, le millésime 2011, comme s’il s’agissait d’un grand cru. C’est pourquoi je continue à photographier de nouvelles vagues.
BP
Est-ce Alfred Stieglitz qui a photographié des nuages dans la dernière partie de sa vie? Il existe un magnifique catalogue raisonné qui regroupe toutes ses photographies, et les nuages occupent les deux tiers des deux gros volumes. Chaque tirage est reproduit dans sa taille d’origine, de sorte que plusieurs clichés se ressemblent parfois. Ils invitent à prendre le temps de regarder, mais aussi à constater que le même objet peut être intéressant à travers différents formats. Chaque numéro de New Waves contient des photographies similaires. Mais elles ne sont pas identiques. Est-ce intentionnel?
TH
Il y a des photographes qui marchent et appuient sur le déclencheur comme des chasseurs. Au contraire, pour mes photographies de vagues, je fixe l’appareil sur l’eau, je patiente, je ne bouge pas, j’attends qu’elles viennent. Je les prends toutes sur la même plage de la côte nord d’Hawaï, le matin après le lever du soleil, sous une belle lumière naturelle, en utilisant dix ou vingt planches. Je cherche plutôt à travailler selon une approche plus fondamentale de la photographie.
BP
Combien de temps allez-vous continuer à photographier les vagues?
TH
Je ne sais pas – jusqu’à ma mort. Je pense que les projets que l’on continue toute sa vie sont importants. J’ai trois ou quatre projets comme cela en cours.
SG
Quels sont ces projets?
TH
Champignons, Tokyo, architecture et portraits.

Stefano Graziani, Photographie de la série de Takashi Homma New Waves, 2000–. © Stefano Graziani

New Waves (2000 – )
Vie du Projet

2000

Homma photographie pour la première fois la plage de la côte sud d’Oahu, Hawaï, É-U.

2003

Magazine : « New Waves by Takashi Homma », dans Relax, no. 75.5
Publié par le Magazine House Mook, Tokyo, Japon, en tant que numéro spécial

2003

Exposition : Waves
Organisée à la Gallery 360o, Tokyo, Japon
28 janvier – 16 février 2003

2003

Publication : New Waves
Publiée par A.P.C., Tokyo, Japon, avec un essai de Jean Touitou

2005

Exposition : New Waves
Organisée à la Gallery 360o, Tokyo, Japon
1 avril – 23 avril 2005

2007

Exposition : New Waves
Organisée à la Gallery 360o, Tokyo, Japon
8 avril – 26 avril 2007

2007

Exposition : New Waves
Organisée à la galerie Logos, Tokyo, Japon
8 juin – 26 juin 2007

2007

Publication : New Waves
Publiée par Parco Publishing, Tokyo, Japon

2010

Exposition : New Waves
1223 Gendaikaiga – Contemporary Painting Museum, Tokyo, Japon
3 juin – 1er août 2010

2010

Publication : New Waves
Publiée par Parco Publishing, Tokyo, Japon

2012

Exposition : New Waves
Organisée à la Gallery 360o, Tokyo, Japon
25 juillet – 25 août 2012

2013

Exposition : New Waves 2000–2013
Organisée à la Longhouse Projects, New York, É-U
12 septembre 2012 – 31 octobre 2013

2013

Publication : New Waves 2000–2013
Publiée par 1223 Gendaikaiga, Tokyo, Japon, en lien avec l’exposition à la Longhouse Projects, avec un essai du philosophe et critique d’art David LaRocca

2017

Publication : New Waves
Publiée par la Post, Tokyo, Japon, elle comprend un essai de Selva Barni

SG
Vous avez exploré la question du documentaire dans votre travail, notamment dans vos photographies de champignons. Quel est votre rapport au documentaire?
TH
J’appelle ce type de projet « new documentary ». Le photojournalisme est un mode de photographie documentaire, mais ma façon d’aborder le documentaire est légèrement différente. Une personne a un jour qualifié mon approche de documentaire personnel ou intime, mais l’expression « nouveau documentaire » me convient parfaitement.
SG
Avez-vous débuté le projet consacré aux champignons alors que vous étiez déjà en train de photographier les vagues, ou bien après?
TH
J’ai publié Mushrooms From The Forest en 2011, juste après le grand séisme du Tōhoku. Je m’intéressais à la photographie de champignons avant cet événement, mais je ne savais pas comment traduire mon intérêt en un projet. Après les catastrophes, j’ai compris que je devais me rendre sur le mont de Fukushima pour photographier des champignons.
SG
Quelle est la relation entre les champignons et la catastrophe de Fukushima, s’il y en a une?
TH
Après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, des champignons radioactifs ont commencé à pousser sur la montagne. Le gouvernement a interdit à toute personne de cueillir des champignons sauvages sur le site. C’est alors que j’ai eu l’idée de me rendre sur le mont et de photographier des champignons.

Par ailleurs, je dirais que trouver des champignons, c’est un peu comme prendre des photos. Un champignon peut disparaître d’un jour à l’autre.
SG
Ainsi, ce projet, comme les vagues, est un projet autoréflexif.
TH
Je dirais que le projet est un peu plus ambigu que cela, étant donné que ramasser des champignons, c’est comme prendre un instantané d’un moment – aucun de ces actes n’offre de seconde chance.
SG
C’est documentaire.
TH
Oui, c’est du nouveau documentaire.

Stefano Graziani, Photographie de la série de Takashi Homma Mushrooms, 2011–. © Stefano Graziani

Mushrooms (2011 – )
Vie du projet

2011

L’auteur se rend dans la préfecture de Fukushima pour représenter les champignons dans les forêts entourant le site de la centrale nucléaire qui ont subi les retombées de mars 2011

2011

Exposition : その森の子供 mushrooms from the forest 2011
Organisée par la Blind Gallery, Tokyo, Japon
17 décembre 2011 – 29 janvier 2012

2011

L’auteur se rend en Suède et en Finlande, 2015 pays où la consommation de champignons sauvages a été interdite immédiatement après l’accident nucléaire de 1986 à Tchernobyl

2012

Exposition : 外国のキノコ MORE Mushroom
Organisée par The Cave, Tokyo, Japon
1 janvier – 14 février 2012

2012

Publication : その森の子供 mushrooms from the forest 2011
Publiée par la Blind Gallery, Tokyo, Japon

2015
Publication : Scandinavian Mushroom
Produite par Yusuke Nakajima et Yoshihisa Tanaka, Tokyo, Japon

2017

L’auteur se rend à Tchernobyl, en Ukraine, pour représenter les champignons qui poussent dans la zone d’exclusion, interdite aux humains, entourant le site de la centrale nucléaire où se sont produites les retombées radioactives de 1986

2018

L’auteur se rend à Stony Point, New York, pour reproduire les champignons entourant la commune d’artistes où vivait le compositeur de musique expérimentale et mycologue John Cage

2019

Publication : Symphony その森の子供: mushrooms from the forest
Publiée par Case Publishing, Tokyo, Japon

2020

Exposition : Symphony その森の子供: mushrooms from the forest
Organisée à la Post, Tokyo, Japon
1 janvier – 23 février 2020

2021

Exposition : ホンマタカシ New Mushrooms From the Forest
Organisée à la Taro Nasu Gallery, Tokyo, Japon
10 juillet – 7 août 2021

2022

Exposition : The Art of Mushrooms
Exposition collective à la Fondation Serralves, Porto, Portugal
28 juin 2022 – 30 juin 2023

BP
Lors de notre précédente conversation, vous avez discuté du projet sur les champignons en relation avec la littérature. Vous nous aviez dit que le champignon ressemblait davantage à un poème, tandis que la nature était comme un livre.
TH
Les romanciers russes comme Tolstoï ou Dostoïevski sont des figures d’autorité, mais je préfère Tchekhov qui n’a écrit que des nouvelles et des pièces. Un critique littéraire a écrit sur leur travail en comparant Tolstoï et Dostoïevski à de grands arbres et Tchekhov à de petits champignons. Cette expression me plaît, car je préfère la contre-culture à l’architecture monumentale.
BP
Les vagues et les champignons sont tous deux liés à la nature. Était-ce un choix conscient?
TH
Non, ce n’était pas conscient. Mais comme le lien entre les vagues et la sonorité est important, je suis toujours conscient des ondes sonores subtiles émises par les champignons dans la montagne.
BP
La composition est-elle importante pour vous?
TH
Je ne prends pas la composition au sérieux, même lorsque j’utilise un appareil photo 4 × 5. Je m’intéresse surtout à la mise au point. Je suis également très rapide. Les gens qui travaillent avec moi sont souvent surpris par la rapidité avec laquelle je travaille.

J’ai vécu à Londres pendant deux ans en 1999 et j’ai travaillé pour i-D Magazine. Terry Jones, le rédacteur en chef de l’époque, m’a conseillé de me concentrer sur la photographie pure (straight photography), ce qui me plaît beaucoup. On photographie ce que l’on voit.
BP
Comment rester libre et éviter de trop réfléchir à la technique?
TH
Il est important d’être libre, ce qui permet de poursuivre des projets en cours. Je pense que les véritables photographes pensent trop à la technique. Il est nécessaire de faire des projets de toute une vie pour ne pas trop se focaliser sur la technique. Si j’utilise une technique spécifique, c’est pour un projet unique et définitif.
BP
Oui, car si une photographie a pour sujet une technique, on voit surtout sa technicité, elle devient la caractéristique qui définit le projet. Regardez-vous à travers votre appareil photo?
TH
Ça dépend. Pour les photographies de vagues, j’ai utilisé un appareil 4 × 5, donc je ne pouvais pas voir dans le viseur. Je n’ai même pas regardé les vagues, j’ai juste remplacé la pellicule. Comme avec les acteurs, le plus grand plaisir pour moi, en tant que photographe, est de découvrir l’image.
BP
Vos tirages sont magnifiques, mais ils sont très différents de ceux qui figurent dans les livres. Ils ont à la fois plus et moins de couleurs, froides, mais toujours chaudes. Comment procédez-vous?
TH
Je respecte les procédures normales – j’utilise une imprimante et de l’encre traditionnelles. Les gens me demandent souvent quelle est ma technique d’impression, comme si j’avais un secret. Je ne me soucie pas tellement de la qualité de l’impression ou de la manière dont elles sont exposées. L’année dernière, j’ai présenté une exposition sur les champignons à Los Angeles. Je leur ai envoyé les données, et l’équipe les a imprimées en grand et en petit format. Je pense que cet acte d’envoyer les données est une forme d’art conceptuel.

Mes livres peuvent être reliés, mais ce n’est pas nécessaire. Je préfère les imprimer sous forme de fanzines ou de brochures. Si mon travail photographique est bon, je ne me soucie pas de savoir si les images sont grandes ou petites, de la méthode d’impression ou du format. La musique live est fantastique, mais la musique que j’entends à la radio ou dans une voiture est tout de même très bonne. C’est pourquoi je ne me soucie pas de la façon dont mon travail est présenté, ce qui m’importe c’est que mes photos soient vues.
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