Pèlerinage photographique
Guido Guidi en conversation avec Stefano Graziani et Bas Princen
Cette histoire orale a été filmée par Jonas Spriestersbach en juillet 2022 à l’atelier de Guido Guidi à Césène. Elle fait partie du projet du CCA Les vies des documents—la photographie en tant que projet, une réflexion ouverte sur la façon dont les pratiques passées et contemporaines de création d’images servent d’outils critiques pour lire notre environnement bâti et concevoir le monde d’aujourd’hui.
- SG
- Comment vous est venue l’idée de votre itinéraire photographique publié dans votre livre Viaggio in Italia ?
- GG
- Je me trouvais à l’édifice Ca’ Tron de l’IUAV à Venise en 1993. Je me souviens être allé au café et être tombé sur Marco Venturi. « Ciao Marco », lui ai-je dit, avant de lui demander, « puisque tu as accès aux fonds de recherche de l’université, pourquoi n’organisons-nous pas un voyage à travers l’Italie, comme l’avait fait Elio Vittorini en son temps? » Il m’a regardé un moment et m’a répondu que l’on pourrait plutôt organiser un voyage à travers l’Europe, puisqu’il avait accès à des fonds de recherche ministériels.
Nous avons d’abord passé quinze jours à effectuer les premières étapes du voyage pendant nos vacances du mois d’août. Nous nous sommes rendus directement à Francfort puis à Dortmund, où nous avons logé au cinquième étage d’un appartement sans ascenseur. Je mentionne ce détail parce que j’avais décidé d’emporter mon appareil photo de terrain 20 × 25 ou 8 × 10 pouces, avec son châssis. Je comptais parcourir ce territoire comme un pèlerin, en traînant ce fardeau. L’idée originale de Marco était de suivre le tracé d’une route construite par Napoléon qui partait de Paris et suivait une ligne presque droite jusqu’à Saint-Pétersbourg, le long de ce qui est aujourd’hui l’autoroute B1 en Allemagne. Le matin, nous avons parcouru 100 km au nord de Dortmund pour continuer jusqu’à la frontière avec les Pays-Bas ou le Luxembourg. En 1993, nous avons beaucoup voyagé, nous sommes allés à Berlin et jusqu’à la frontière allemande avec la Pologne, tout en restant en Allemagne. L’année suivante, toujours au mois d’août, nous sommes retournés à cette frontière et avons continué à suivre la B1 jusqu’en Pologne. Là, nous pensions aller en Russie, mais l’accès au nord nous a été refusé. Nous avons donc pris un hydroptère à Gdansk, qui nous a conduits à Kaliningrad, où un chauffeur de taxi nous a promenés pendant quatre ou cinq heures avant de nous ramener au bateau. - BP
- Que cherchiez-vous dans ces endroits?
- GG
- Plus encore que de chercher, je trouvais.
- SG
- Qu’avez-vous alors trouvé?
- GG
- De tout. Sur le ton de la plaisanterie, je pourrais dire que je cherchais de la matière pour nourrir mon appareil photo, des sujets appropriés.
In Between Cities. An Itinerary Through Europe, 1993 – 1996
Vie du projet
1993 – 1996
Les voyages en voiture permettent à Guidi et Venturi d’élaborer une étude photographique à travers l’Europe, en visitant Kaliningrad (Russie) et la Pologne en août 1994, l’Allemagne en août 1993, la Belgique en mai 1996, la France en avril 1996 et l’Espagne en août 1995
2003
Publication : Guido Guidi. In Between Cities
Publiée par La Linea di Confine, Reggio d’Émilie, Italie
Sous la direction de Marco Venturi et d’Antonello Frongia
2003
Publication : Guido Guidi. In Between Cities
Publiée par Electa, Milan, Italie
Sous la direction de Marco Venturi et d’Antonello Frongia
2003
Acquisition par le Centre Canadien d’Architecture (CCA), Montréal, Canada, de 142 épreuves du projet (PH2003:0006 – PH2003:0147)
2014
Exposition : Guido Guidi. Veramente
La série s’inscrit dans la rétrospective présentée à la Fondation Henri CartierBresson, Paris, France (16 janvier – 27 avril 2014), Huis Marseille, Amsterdam, PaysBas (14 juin – 7 septembre 2014) et au Museo d’Arte di Ravenna, Ravenne, Italie (12 octobre – 11 janvier 2015)
- BP
- Selon vous, les images dans le livre revêtent-elles toutes la même importance?
- SG
- Existe-t-il une hiérarchie qui organise les photographies? L’une a-t-elle plus de valeur que l’autre?
- GG
- Il n’y a pas de hiérarchie. La séquence du livre est ordonnée en fonction du moment où j’ai pris les photos. Elles constituent plusieurs histoires entrelacées, non seulement d’un même lieu, mais aussi d’un même moment, et l’on se rend compte que différentes choses se produisent au même moment.
- BP
- D’où vous est venue l’idée de travailler à partir de prises de vue et de moments multiples?
- GG
- Pour moi, la photographie est avant tout un processus cognitif. Il en était de même pour le dessin au XIXe siècle, lorsque les artistes dessinaient et peignaient en plein air. Ils prenaient des notes : une note, puis une autre, et encore une autre. Il existe toujours un désir d’enregistrer, comme pour dire « j’ai pu le constater ». La photographie, comme l’a dit John Szarkowski, n’est pas une philosophie, mais plutôt un moyen de décrire l’apparence des choses. Ainsi, une table apparaît rectangulaire si vous la regardez d’en haut, asymétrique si vous la regardez d’en bas, rouge ou brune selon la façon dont elle est éclairée. Plus on multiplie les vues d’un objet, plus on le décrit de plusieurs points de vue, plus on se rapproche d’une compréhension scientifique ou philosophique de la chose, de l’essence d’une table. Les philosophes traitent de l’essence d’un objet, tandis que les peintres et les photographes traitent de son apparence. Alors que les apparences sont multiples, l’essence est singulière.
- BP
- Lorsque des américains photographient des voyages à travers des paysages, ils le qualifient généralement de road trip. Le vôtre n’en est pas un. Vous utilisez plutôt la métaphore du pèlerinage. Quelle est pour vous la différence entre ces types de voyage?
- GG
- Je ne cherchais pas à faire un voyage analytique, mais un voyage de connaissance. Les touristes progressent en foule, tandis que le pèlerin entreprend un acte de dévotion en marchant le long d’un chemin de pèlerinage. Au sujet de l’exactitude des peintures de Fra Angelico, Georges Didi-Huberman a écrit que lorsque l’artiste de la Renaissance florentine peignait une brindille, une feuille, une fleur, même lorsqu’il pulvérisait de la couleur, il ne faisait pas seulement preuve de ses compétences en matière de représentation mimétique. Par-dessus tout, il démontrait son dévouement à la nature, comme s’il portait un fardeau sur ses épaules.
- BP
- Comment décririez-vous l’aspect documentaire de votre travail, en particulier In Between Cities, dans la mesure où le livre est organisé comme un itinéraire linéaire d’un lieu en Europe à un autre, mais qu’il n’a pas été photographié dans cet ordre initialement?
- GG
- Nous regardons les documents de ce qui reste d’un voyage. Je crois que c’est Michel Foucault qui a expliqué que nous ne pouvons produire que des documents, mais que l’histoire décidera lesquels pourront devenir des monuments. Sa thèse consiste à dire qu’au XVIIIe siècle, le documentaire n’était pas considéré comme un art. Alors qu’aujourd’hui, le documentaire et l’art se chevauchent – la définition du document a été révisée. Cette idée ne tient que jusqu’à un certain point, puisque le public italien pense encore que la photographie relève du simple document, une photocopie, et rien de plus. Il est difficile d’échapper à cette idée, de percevoir l’art caché dans le documentaire.