Observations familières
Tokuko Ushioda en conversation avec Stefano Graziani et Bas Princen
Cette histoire orale a été filmée par Jonas Spriestersbach en décembre 2022 à la maison de Tokuko Ushioda à Tokyo. Elle fait partie du projet du CCA Les vies des documents—la photographie en tant que projet, une réflexion ouverte sur la façon dont les pratiques passées et contemporaines de création d’images servent d’outils critiques pour lire notre environnement bâti et concevoir le monde d’aujourd’hui.
- BP
- Continuez-vous à photographier des individus ?
- TU
- J’ai arrêté de photographier des personnes depuis un certain temps. Plus je réussissais à les photographier, plus je commençais à douter de moi. J’avais l’impression d’utiliser l’appareil photo comme une arme contre mes sujets. Peu à peu, j’ai commencé à sentir les limites de cette approche de la photographie de personnes. J’ai alors commencé à prendre des photos de réfrigérateurs, ce qui a donné naissance au livre ICE BOX.
J’ai également photographié ma famille sans avoir l’intention de les rendre publiques. Ces clichés ont connu une nouvelle vie dans le livre My Husband, publié par torch press en 2022. Je ne pensais pas les publier, jusqu’à ce que je tombe sur des tirages et des négatifs après les avoir oubliés pendant quarante ans. Je ne me suis probablement jamais posé la question de partager ce travail plus tôt étant donné que mon mari est aussi photographe et qu’il a fait un livre très remarqué, Maho-chan, sur notre vie commune avec notre fille Maho. Il ne m’est pas venu à l’esprit de faire quelque chose qui me semblait déjà si familier. Mais en fin de compte, j’étais convaincue que mes photographies présentées sous le titre My Husband étaient différentes de celles de mon mari, même si nous prenions des photos au même endroit et au même moment de la vie que nous menions ensemble dans notre minuscule appartement d’une pièce.
My Husband
Vie du projet
2022
Exposition : My Husband
Organisée à la PGI, Tokyo, Japon
26 janvier – 12 mars 2022
2022
Publication : My Husband
Publiée par torch press, Tokyo, Japon
2022
Exposition : From Student to Master: Tokuko Ushioda and Her Teachers
Organisée à l’Alison Bradley Projects, New York, É-U
17 mai – 29 juillet 2022
2023
Exposition : Lifelong Learning
Rétrospective à la Yokohama Civic Art Gallery, Azamino, Yokohama, Japon
28 janvier – 26 février 2023
- SG
- Pouvez-vous nous en dire plus sur les débuts du projet ICE BOX?
- TU
- Un jour, mon mari a acheté un énorme réfrigérateur d’occasion qu’il avait trouvé à vendre dans une base militaire américaine. Je me suis demandée en quoi trois personnes avaient besoin d’un engin aussi encombrant. Mais je me suis dit que même s’il était à moitié cassé, il était encore utilisable. Pendant deux ou trois ans, nous l’avons utilisé, il était si puissant que nos légumes gelaient immédiatement. Le moteur faisait beaucoup de bruit, surtout quand je dormais. En le regardant, je me demandais quel genre de vie je menais. Nous dormions juste à côté et le ronflement qu’il faisait au-dessus de ma tête la nuit m’empêchait de dormir, et je m’interrogeais sur mon futur.
Je ne m’étais jamais imaginée vivre comme ça, mais les choses étaient ainsi, et j’ai commencé à photographier ma vie quotidienne. La présence dominante du réfrigérateur dans cette petite pièce représentait en quelque sorte toutes les choses qui semblaient à la fois singulières et originales dans ma vie à ce moment-là. J’ai commencé à photographier les frigos des autres après le mien. D’abord celui de mon propriétaire, celui de mes parents, puis celui de mes proches, et le projet a pris de l’ampleur. Je rencontrais parfois des hésitations ; certaines personnes disaient qu’elles trouvaient gênant de faire photographier leur frigo parce qu’elles pensaient que tout le monde regarderait à l’intérieur. C’est peut-être une tendance japonaise, mais je pense que pour certaines personnes, c’était un peu comme d’exhiber publiquement leur estomac.
ICE BOX
Vie du projet
1987
Exposition : ICE BOX
Organisée au Tokyo Design Centre, Tokyo, Japon
1992
Exposition : ICE BOX
Organisée à la Galerie Sakura-gumi, Tokyo, Japon
1995
Exposition : Photography City TOKYO
Exposition collective organisée au Musée métropolitain de photographie de Tokyo, Tokyo, Japon
1996
Publication : ICE BOX
Publiée par BeeBooks, Tokyo, Japon
1998
Exposition : ICE BOX
Organisée au Mitsubishi Estate Altium, Fukuoka, Japon
1999
Exposition : ICE BOX
Organisée au Lifestyle Design Centre, Setagaya, Tokyo, Japon
9 mars – 28 mars 1999
2008
Exposition : ICE BOX
Organisée à la Port Gallery T, Osaka, Japon
13 octobre – 1er novembre 2008
2022
Exposition : From Student to Master: Tokuko Ushioda and Her Teachers
Organisée à l’Alison Bradley Projects, New York, É-U
17 mai – 29 juillet 2022
2023
Exposition : Lifelong Learning
Rétrospective à la Yokohama Civic Art Gallery Azamino, Yokohama, Japon
28 janvier – 26 février 2023
- BP
- Avez-vous établi des règles pour la composition des photographies de cette série ou avez-vous suivi une approche plus informelle ?
- TU
- Je voulais accumuler des photos de frigos comme je collectionnais des spécimens d’insectes. Ainsi, au lieu de photographier le réfrigérateur sous différents angles, j’ai cadré l’ensemble. Ensuite, j’ai élaboré quelques règles pour le projet, comme le fait de photographier le même réfrigérateur avec les portes ouvertes et fermées, de face. Je voulais représenter la vie quotidienne dans son environnement le plus authentique. Je me suis amusée avec des éclairages artificiels et aussi avec la lumière naturelle, en fonction de ce qui convenait à la situation. J’ai cadré le réfrigérateur et son environnement à l’aide d’un appareil photo Zenza Bronica S2 de 6×6 pouces, qui est de format carré. Je n’ai pas voulu ranger ou manipuler l’espace autour du frigo. Même si un élément supplémentaire, comme une pantoufle ou des objets en désordre, se trouvait à proximité, je l’ai laissé en place pour saisir la vie de la maison. Parfois, les gens organisaient ou nettoyaient l’intérieur de leur frigo à l’avance, mais d’autres fois, ils oubliaient de le faire.
Mon projet sur les réfrigérateurs est comme une fenêtre ouverte sur différents modes de vie. Les images montrent très peu d’êtres humains, mais je pense qu’elles révèlent beaucoup de choses sur l’humanité. On peut y glaner quelque chose sur la personne qui utilise le frigo et, au fil de la série, sur la société dans laquelle elle vit. Je pense que j’ai poursuivi le projet pendant quinze ans tellement je le trouvais intéressant. Aujourd’hui encore, je pourrais continuer à y travailler si l’occasion et la situation s’y prêtaient.