Westpen est pensé comme un diagramme
Sofia Nannini sur le projet de Cedric Price pour une unité de manutention des animaux
Westpen est pensé comme un diagramme. Les premiers dessins du projet non réalisé de Cedric Price pour une unité de manutention de bovins et d’ovins, datés entre mars et mai 1977, présentent des esquisses proposant des solutions spatiales possibles pour une installation de manutention du bétail. Ces documents préliminaires explorent diverses configurations prévoyant des zones distinctes pour rassembler, faire avancer, attraper, baigner, égoutter et sécher le bétail du client, l’homme politique et homme d’affaires britannique Alistair McAlpine. Ce dernier possédait un petit élevage de bovins de race British White et de moutons St Kilda1.
L’élevage est avant tout une pratique médicale. La peur et le danger des zoonoses se trouvent au cœur des préoccupations du projet Westpen : le bétail doit être trié, pesé et traité; les moutons sont immergés dans une solution chimique pour les protéger contre les parasites et pour être tondus. Initialement, les architectes imaginent une solution spatiale commune pour les deux types de bétail, qui suivent les mêmes circuits, de l’étiquetage au séchage. Puis, ils commencent à distinguer deux directions alternatives pour le corral : l’une pour la contention, la pesée et le traitement de bovins, et l’autre pour la tonte et le trempage des ovins. À la fin de chaque parcours, deux flèches indiquent l’étape finale de ce processus : les « véhicules » qui, probablement, ramènent les animaux aux pâturages. Au début, les diagrammes de Price sont très abstraits : des carrés reliés par des flèches. Chaque carré représente une fonction, et des flèches monodirectionnelles les connectent. Puis, les flèches de liaison entre les carrés deviennent des itinéraires : les moutons et les bovins suivent des trajets stricts en fonction des exigences des responsables de l’exploitation. Dans les dessins du célèbre Fun Palace (1960-66), les flèches proposent des possibilités inattendues et évolutives de circulation humaine2. Dans le projet McAppy – également commandé par McAlpine en 1973-76 –, les organigrammes permettent d’améliorer la communication, la sécurité et la satisfaction sur le chantier3.
À l’intérieur des clôtures de la Westpen, les mouvements des animaux doivent être prévisibles. Chaque itinéraire ne peut être emprunté que vers l’avant : les animaux n’ont aucune marge de manœuvre et ne peuvent pas faire marche arrière. Chaque flèche et chaque ligne indiquent un chemin imposé. L’architecture se réduit à des limites et à des itinéraires strictement définis à l’intérieur de ces limites. Les parcours suivis par le bétail semblent incarner le rêve moderniste de « frictionless living » [vivre sans frictions], tel que défini par Catherine Bauer dans son analyse des diagrammes d’Alexander Klein pour l’aménagement des habitations4. Ou bien s’agit-il d’une forme de taylorisme appliquée au corps des animaux? D’autres questions se posent : les animaux d’élevage peuvent-ils être conceptualisés comme des biotechnologies, des travailleurs, des usines ou des produits?5
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Corinna Anderson, « Architectes en agriculture », 1 juin 2018. ↩
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Samantha Hardigham, ed. Cedric Price Works 1952–2003: A Forward-Minded Retrospective, Londres, Architectural Association / Montréal, Centre Canadien d’Architecture, 2016, p. 47-85. ↩
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Hardigham, Cedric Price Works 1952–2003, 399-405 ; Giovanna Borasi, André Tavares, Et si on parlait de bonheur sur le chantier?, exposition, CCA, du 9 février au 14 mai 2017. ↩
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Catherine Bauer, Modern Housing, Boston/New York, Houghton Mifflin Company, 1934, p. 203. ↩
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Edmund Russel, « The Garden in the Machine: Toward an Evolutionary History of Technology », dans Industrializing Organisms: Introducing Evolutionary History, Susan R. Schrepfer, et Philip Scranton (dirs.), New York/Londres, Routledge, 2004, p. 8-11. ↩
Ce texte est un extrait d’un prochain volume de la série CCA singles résultant de la participation de Sofia Nannini à notre Programme de bourses de recherche 2023.
Cet article a été traduit de l’anglais par Gauthier Lesturgie.