Des formes qui fascinent
Saloni Mathur à propos du fonds Aditya Prakash
Une photographie remarquable des années 1950, conservée dans le fonds Aditya Prakash, laisse deviner l’image d’un jeune homme investi d’une mission. Vêtu d’un costume et d’une cravate impeccables, tout juste diplômé en architecture à Londres, Prakash se tient devant un microphone arborant l’insigne « AIR ». Cette abréviation désigne All India Radio, le service public de radiodiffusion fondé par l’État en 1936. Derrière lui, dans le cadre photographique, se trouve un vaste champ aride qui s’étend à l’infini jusqu’à l’horizon. Membre de l’équipe de jeunes architectes indiens invités à participer à la construction de la nouvelle capitale de Chandigarh, Prakash est chargé d’informer le public, en direct à la radio, sur ce projet entrepris dans cette région rurale et isolée de l’État du Pendjab, dans le nord du pays.
Prakash, qui est l’auteur d’une soixantaine de bâtiments dans le nord de l’Inde, est une figure fascinante et insuffisamment étudiée de l’histoire du modernisme du XXe siècle. Né à l’époque coloniale, il n’a qu’une vingtaine d’années lorsque l’Inde obtient son indépendance de la tutelle britannique. Le 8 août 1947, une semaine avant l’indépendance, il quitte le sous-continent pour poursuivre ses études d’art et d’architecture à Londres et à Glasgow, et reste en Grande-Bretagne pendant les cinq années suivantes.
En 1952, Prakash se voit offrir l’opportunité d’une vie : rejoindre le projet audacieusement ambitieux du Premier ministre indien, Jawaharlal Nehru, visant à construire une nouvelle capitale pour le Pendjab. La région est encore sous le choc des violences sanglantes et de la crise des populations réfugiées engendrées par la partition quelques années plus tôt. De plus, sa capitale, Lahore, est passée au Pakistan lors de la division du territoire ayant abouti à la création de deux nouveaux États-nations. Nehru souhaite une ville moderne pour l’Inde indépendante, un paysage tourné vers l’avenir, comme il le déclare, « libre des traditions et des entraves du passé ». En 1951, il confie à Le Corbusier, le rôle de conseiller principal en architecture et de responsable du plan directeur de la ville1. Nehru conçoit également le projet comme un laboratoire pour l’éducation et le développement professionnel, où les architectes d’Europe contribueraient à la formation de leurs homologues en Inde, une vision prémonitoire. Prakash, « le plus jeune des jeunes architectes » indiens recrutés pour l’équipe, travaille ensuite étroitement avec Le Corbusier, Pierre Jeanneret, Maxwell Fry, Jane Drew et une large équipe indienne au cours de la décennie suivante, assimilant avec passion les principes de l’esthétique moderniste qui influenceront considérablement le cours de sa vie2.
Prakash peut ainsi être vaguement considéré comme appartenant à la génération surnommée par le romancier Salman Rushdie « Les enfants de minuit » dans son célèbre roman allégorique éponyme. Rushdie fait référence à la génération indienne née à l’aube de l’indépendance de l’Inde de la domination britannique (c’est-à-dire à minuit, d’où l’accent mis sur « vaguement »), dont les trajectoires individuelles se sont néanmoins inextricablement mêlées au projet collectif plus vaste d’édification d’une nation. « Jusqu’à présent, ma profession était ma cause ; maintenant, l’Inde l’est aussi », écrit Prakash dans son journal en 1947, témoignant de la combinaison de hasards, de destin et d’objectifs qui ont motivé son extraordinaire parcours. Prakash construit ensuite des théâtres, des universités, des cinémas, des écoles d’art, d’architecture et d’agriculture, traduisant ce sentiment d’investissement sincère dans le tissu culturel de la nation. Ses principaux projets au Pendjab, comme le théâtre Tagore, conçu en 1961 pour le centenaire du poète et philosophe indien Rabindranath Tagore, et les trois campus de la Punjab Agricultural University (1963-1968), réalisés à l’apogée de la révolution verte en Inde, reflètent son engagement en faveur du modernisme, à une époque où ce courant ne semblait pas aller de soi sur le territoire indien.
Le fonds Pierre Jeanneret est également conservé au CCA, offrant une complémentarité précieuse pour la recherche. De 1952 à 1965, Jeanneret occupe le poste d’architecte en chef de Chandigarh, et ses archives contiennent une documentation plus complète sur le projet Capitole que celles de Prakash. Pour ce dernier, la construction de Chandigarh marque le début d’un parcours plutôt qu’une fin, ses archives reflètent une odyssée intellectuelle plus longue, qui s’étend sur six décennies d’une créativité infatigable. Peintre, dramaturge, acteur, photographe, designer, poète, chercheur et écrivain, Prakash était un homme à l’énergie créatrice apparemment inépuisable. Ses archives couvrent un éventail de formes inattendues et parfois excentriques, comprenant des dessins, des gribouillages, des journaux intimes, de la poésie, des photographies, des scrapbooks, des lettres, des cartes postales, des cartes de vœux, des textes de théâtre et des conceptions de meubles et de décors, pour n’en citer que quelques-uns. La méthode qui consiste à dessiner d’une seule ligne continue apparaît systématiquement dans les esquisses et les dessins de Prakash. Cette technique, qui résonne métaphoriquement avec l’idée d’une activité intellectuelle ininterrompue tout au long d’une vie, a donné son titre au livre de Vikramaditya Prakash consacré à l’œuvre de son père, One Continuous Line: Art, Architecture, and Urbanism of Aditya Prakash. Cet ouvrage du plus jeune Prakash, architecte et historien de l’architecture qui a beaucoup écrit sur la ville de Chandigarh, offre une vue d’ensemble inestimable des activités de son père et constitue une ressource indispensable pour explorer le fonds.
Aditya Prakash défendait des principes de planification aujourd’hui regroupés sous la bannière de la « durabilité », tels que le recyclage, l’intégration de l’économie informelle, l’introduction de l’agriculture et des animaux dans les espaces urbains, et la séparation stricte du trafic motorisé et non motorisé, qu’il qualifiait respectivement de transport « létal » et « non létal ». Prakash a réalisé des centaines de photographies illustrant cet écosystème, capturant l’interface continue entre le village et la ville dans l’ensemble de la région. Le bétail, le commerce ambulant, la pauvreté et la vie villageoise sont minutieusement documentés dans ces clichés, non pas parce que Prakash considérait ces expériences comme incompatibles avec l’urbanisme moderniste, mais parce qu’il s’intéressait à la manière dont ces modes de vie ruraux s’intègrent dans l’urbanisme indien. Sa conception ambitieuse de la Linear City [ville linéaire], un modèle urbain basé sur une grille uniforme avec des réseaux routiers surélevés, et son intérêt pour le rehri (la charrette en bois utilisée pour le commerce de rue, ou rehri-wallah), sont autant d’efforts pour combiner les espaces et les économies formels et informels en une seule et même vision urbaine cohérente.
Cette vision écologique d’une intégration durable se manifeste également dans ses peintures et ses dessins, en particulier à partir des années 1990. À cette époque, il se retire de l’architecture pour se consacrer pleinement à la peinture pendant les dix-huit dernières années de sa vie. Sa première exposition personnelle a lieu à la Taj Gallery de Bombay en 1989, juste avant qu’une série de réformes économiques dans les années 1990 ne remplace la vision socialiste de l’ère nehruvienne, posant ainsi les bases de la mondialisation dans laquelle nous vivons aujourd’hui. Cette exposition présente vingt œuvres représentant des formes mythiques du monde organique, principalement des animaux, dont des oiseaux en vol, des taureaux, des cygnes et des paons. Ce thème naturaliste est néanmoins nuancé par une approche nettement moderniste et géométrique de la ligne, de la forme et de la couleur. « Si l’environnement est sain, ravissant et digne d’être préservé, la valeur réside dans la découverte de la forme qui fascine », explique Prakash dans sa présentation pour l’exposition. L’objectif était de « faire sentir au public que la vie vaut la peine d’être vécue dans le giron de la nature ». Les archives contiennent une correspondance relative à ce dernier chapitre de sa carrière avec de nombreuses personnalités du monde de l’art indien, dont Kekoo Gandhy, Ebrahim Alkazi et Tyeb Mehta et Gieve Patel. La quête de Prakash d’une relation plus harmonieuse entre nos systèmes urbains et l’environnement organique de la terre, poursuivie tout au long de sa carrière d’architecte, de designer et d’artiste, préfigure une conscience écologique aujourd’hui plus urgente que jamais.
En tant que personne née en Inde et ayant grandi au Canada (avec une longue carrière dans les universités américaines), il est particulièrement significatif pour moi que les archives d’Aditya Prakash aient quitté l’Inde pour trouver un nouveau foyer au CCA de Montréal. Bien que Prakash soit resté ancré à Chandigarh tout au long de sa vie, la région du Pendjab n’est plus perçue comme aussi étrangère, lointaine, isolée ou inconnue qu’elle l’a peut-être été par le passé pour les personnes vivant au-delà du sous-continent indien. L’expérience des migrations mondiales au cours des dernières décennies a irrémédiablement amené le peuple et la culture du Pendjab dans le reste du monde.1 Il semble tout à fait pertinent que la vie et l’héritage de Prakash soient désormais en mesure de nourrir de nouvelles histoires sur l’appartenance nationale et soient accessibles à la prochaine génération de spécialistes qui s’intéressent à ces liens entre le passé, le présent et l’avenir. En d’autres termes, le jeune homme sur la photographie de l’émission de All India Radio trouvera au CCA de nouveaux auditoires et publics avec lesquels dialoguer. Le fonds Prakash à Montréal nous rappelle que le modernisme est une histoire produite et entremêlée à l’échelle planétaire, dont l’héritage commun appartient à tout le monde.
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Aujourd’hui, la population pendjabie au Canada compte plus d’un million de personnes, et le pendjabi est la troisième langue la plus parlée au Parlement canadien, après l’anglais et le français. ↩
Cet article a été traduit de l’anglais par Gauthier Lesturgie.
Nous aimerions remercier Phantom Hands pour son soutien généreux à la résidence de Saloni Mathur.
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