Des paysages à lire
Laura Aparicio Llorente, Leonie Hartung et Viveca Pattison Robichaud se penchent sur la construction du concept de paysage à travers les publications
De nombreux récits décrivent le paysage comme une ressource, une scénographie, une infrastructure, un cadre, un vécu quotidien, une connaissance ancestrale ou une inspiration. Des paysages à lire réunit une petite sélection d’ouvrages de la collection du CCA mettant en lumière la notion changeante de paysage dans divers formats d’édition. Considérant que les livres ne sont pas neutres, mais qu’ils communiquent plutôt des idées dans des contextes culturels spécifiques, et que les omissions sont inhérentes au travail d’édition, une question surgit : quel est le rôle du livre dans la représentation du paysage?
Picturesque America est un livre diffusé sous forme d’abonnement qui présentait une vision très idéalisée de l’Amérique. Cette entreprise commerciale ambitieuse, lancée au lendemain de la guerre de Sécession, a atteint des centaines de milliers d’abonnements à une époque où la diffusion d’images était faible. Les livres qui s’adressaient à une classe croissante de touristes pouvant désormais voyager dans le pays grâce aux nouvelles lignes de chemin de fer. Si on peut voir Picturesque America comme un guide de voyage ou un album souvenir, les paysages qu’il contient ont servi, par-dessus tout, d’outils patriotiques à l’édification de la nation pendant la Reconstruction.
D’abord publié comme un périodique illustré dans l’Appleton’s Journal et plus tard sous forme de livre par abonnement par D. Appleton and Co., Picturesque America, avec ses quarante-huit numéros, était livré deux fois par mois et pouvait être relié en un volume en deux parties une fois la collection terminée. À terme, il comptait plus de neuf cents gravures sur bois et cinquante sur acier, accompagnées de textes descriptifs. À l’époque, ce type d’illustrations était relativement abordable, ce qui permettait une diffusion plus large auprès du public. Les gravures étaient également plus faciles à composer et à manipuler que les photographies; tout ce qui ne correspondait pas à l’esthétique pittoresque – pollution industrielle, pauvreté des agriculteurs ou communautés autochtones – était mis de côté. Des publications équivalentes, dont Picturesque Canada (1882), Picturesque Europe (1875) et Picturesque Palestine, Sinai, and Egypt (1881-1883) ont plus tard été réalisées à travers le monde.
Comme cadeau pour la reine Victoria dans le cadre de sa visite d’État et de son voyage en train entre Boulogne-sur-Mer et Paris, le baron James de Rothschild, président du Chemin de fer du Nord, a commandé un album au photographe d’architecture Édouard Baldus, qui collaborait avec Auguste Hippolyte Collard. Ces photographies à caractère politique mettaient en valeur les infrastructures ferroviaires nouvellement construites et visaient à représenter la puissance et le progrès de la compagnie ferroviaire dans le paysage français « pittoresque » et modernisé.
Le Serpent River Book, de Carolina Caycedo, se déploie en une œuvre de soixante-douze pages ressemblant à une rivière sinueuse. Le livre double face combine matériel d’archives, cartes, poèmes, paroles de chansons, images satellites, textes et photographies rassemblés par Caycedo dans le cadre du projet de recherche en cours, Be Dammed. Étudiant les incidences des industries extractives sur les paysages naturels et sociaux, l’artiste présente, sous forme de collages, les multiples significations culturelles des cours d’eau.
L’ouvrage se divise en cinq chapitres, chacun représentant une section d’une rivière et les relations humaines correspondantes à ces cours d’eau à travers les Amériques. Les deux premiers chapitres traitent du cours supérieur, illustrant la façon dont la vie et les connaissances ancestrales des communautés amazoniennes autochtones sont profondément enracinées dans le fleuve. Les sections suivantes, sur les cours moyen et inférieur, mettent l’accent sur les conséquences nuisibles des rapports néocoloniaux avec les cours d’eau. Les barrages, qui semblent être des symboles de progrès et de développement, ont transformé des étendues d’eau publiques en ressources privées, bouleversant l’équilibre de paysages naturels et sociaux. La dernière partie porte sur le delta du fleuve et traite des initiatives de la communauté qui visent à contrer les effets de la relation industrielle avec l’eau.
L’exposition Des paysages à lire est présentée dans nos Vitrines du 14 mars 2024 au 16 février 2025.