Alina
Aglaia Konrad visite l’œuvre d’Alina Scholtz. Texte de Jelena Pančevac
Alina Scholtz (1908–1996) était une architecte paysagiste à une époque où cette discipline prenait à peine son envol sur le plan professionnel, dans un environnement dévasté pendant la Seconde Guerre mondiale, et où les espaces verts étaient vus à la fois comme un facteur de réaménagement urbain et un symbole d’avenir meilleur. Elle a conçu des jardins et des parcs, des lieux de mémoire et des corridors autoroutiers végétalisés, ainsi que des aménagements paysagers d’ensembles résidentiels. Son héritage est celui d’une bâtisseuse à la fois invisible et héroïque dont l’œuvre est aujourd’hui tenue pour acquise, comme si elle avait toujours été là, un coin de nature.
Varsovie est de nos jours l’une des capitales les plus vertes d’Europe, près du tiers de la ville étant occupé par des jardins publics, des parcs, des réserves naturelles et des terrains boisés. Cela n’a pas toujours été le cas. Avant la guerre, c’était l’une des cités les plus densément construites du continent. Mais, au printemps 1945, Varsovie était en ruines. Lors de sa reconstruction, la ville s’est muée presque par hasard en rêve moderniste devenu réalité : une Arcadie urbaine de volumes bâtis se fondant dans les espaces verts alentour.
Ces espaces verts, représentant environ les trois quarts du plan d’urbanisme de Varsovie, sont aussi importants et essentiels à la ville que les zones construites. Ils sont ses vastes poumons, nécessaires au bon fonctionnement d’un organisme urbain. Ce seront des parcs et des jardins publics, des prairies et des champs et des quartiers résidentiels où les habitants pourront pratiquer le jardinage et l’agriculture; ce seront des forêts, existantes et plantées sur des friches […], ce seront des espaces baignés de soleil et de l’ombre des arbres, entourant des lieux de travail et de vie, accessibles en permanence pour tout le monde1.
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Grażyna Terlikowska-Woysznis, « O Warszawie, kt.ra będzie » (Sur la Varsovie à naître), Skarpa Warszawska, no 1 (1945), p. 3. ↩
Le travail des architectes paysagistes dans la période d’avant-guerre se limitait généralement à la conception de jardins privés et de parcs municipaux. Les choses allaient prendre une autre ampleur suite aux vides immenses laissés par le conflit. Le travail de Scholtz s’est donc transporté dans une dimension nouvelle. En avril 1945, elle a commencé à œuvrer pour le Bureau de reconstruction de Varsovie, tout juste créé et, l’année suivante, elle a pris la tête du bureau des espaces verts du service d’urbanisme. Une des premières tâches assignées à son équipe a été d’évaluer les dommages et de commencer la revégétalisation.
Pour ses conceptions, Scholtz a fait appel aux matériaux facilement accessibles. Les murs en maçonnerie empilée à sec ont été réalisés à partir de pierres locales. Celles-ci étaient liées par du mortier ou de la terre crue, laissant ainsi la mousse et les autres végétaux se développer entre les joints et transformer la couleur des pierres.
Ses expériences concrètes antérieures en conception de jardins ont eu une influence sur l’attention particulière qu’elle portait aux choix des plantes individuelles, même lorsqu’elle travaillait sur des projets de portée urbaine ou territoriale. Chaque pierre et chaque arbre concourraient à une composition plus vaste : le modèle de design paysager traduit sa vision sculpturale.
Chemins et allées, marches et plateformes, pierre et gravier. Un muret qui sépare un sentier d’une pelouse, assez haut pour qu’on puisse s’y asseoir, assez bas pour qu’on puisse l’enjamber. L’expérience que l’on a du paysage est façonnée par notre propre interaction avec ces éléments, qu’on s’y promène ou qu’on se repose à l’ombre d’un arbre. Dans l’œuvre de Scholtz, la nature est organisée par l’architecture.
En matière de design, le bureau des espaces verts était un ardent défenseur, par-dessus tout, des concepts à l’échelle de la ville – des hypothèses grandioses dont on pensait qu’elles se concrétiseraient. Telle était l’attitude générale : rebâtir Varsovie à partir de rien, l’enrichir de nouvelles composantes inspirées de la tradition historique. Il y avait dans cette approche une réelle fraîcheur qui, entre autres, vous permet d’apprendre des valeurs naturelles du site, de la topographie de Varsovie […]. D’autre part, le concept était axé sur une saine organisation urbaine et l’amélioration des conditions de vie des citadins1.
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Alina Scholtz, « Ruiny i wizja odbudowy – architekci o Warszawie sprzed lat 20 », dans Kultura. Tygodnik Społeczno-Kulturalny, no 3 (1965), p. 5. ↩
Les arbres jouent un rôle clé dans les projets de Scholtz. Leur disposition spatiale définit le cadre de ses agencements. Chênes, frênes et érables, charmes et tilleuls, châtaigniers et thuyas, hêtres, peupliers et tilleuls, pommiers et poiriers. Les vieux arbres étaient souvent conservés, même s’ils étaient endommagés et malades, l’architecte étant sensible à leur âge et à l’attrait pittoresque qu’ils conféraient à ses paysages. Nombre d’entre eux sont encore là aujourd’hui.
Un terrain en friche dans le quartier varsovien de Wola – où se trouvaient argilières, décharges et gravats – a été nettoyé par des citoyens dans le cadre d’une corvée communautaire bénévole, afin de dégager l’espace nécessaire à la réalisation de ce qui est aujourd’hui le parc Moczydło. Une colline artificielle a été érigée avec les déblais des bâtiments démolis. Les carrières d’argile ont été transformées en quatre étangs reliés les uns aux autres, créant une oasis en pleine ville.
Scholtz a d’abord étudié l’horticulture, puis l’architecture, avant de devenir en 1932 l’une des premières diplômées du nouvellement créé Département en architecture de paysage et études des parcs à l’École d’agriculture de Varsovie. En Pologne, les femmes ont obtenu le droit de vote en 1918, et elle allait faire en sorte de tirer le meilleur parti des possibilités conquises par sa génération. Son travail reflète à la perfection l’entrelacement entre architecture, urbanisme et aménagement paysager. Elle a créé des trames narratives subtiles à propos des lieux, de leur usage et de leur signification pour la collectivité.
Un parc est aussi un lieu de mémoire, rappelant l’idée ancienne de bois sacré en tant que lieu de rituels et de souvenir collectif. Des rangées d’arbres forment une colonnade monumentale le long des allées et contrastent avec les arbres épars qui forment une forêt naturelle. L’étendue des atrocités de la guerre exigeait de nouvelles formes de commémoration.
L’architecture paysagère à grande échelle était corrélée à l’amélioration des normes environnementales et des conditions de vie, mais aussi à l’expression d’une mémoire collective et des idéaux politiques progressistes de la nouvelle société socialiste de Varsovie. Projets d’infrastructures, cimetières ou simples lieux de rassemblement pour le prolétariat étaient tous des projets d’investissement majeurs. Les campagnes bénévoles de plantation massive et la nationalisation de la propriété privée ont été la clé d’une efficacité sans précédent dans la création de nouvelles zones vertes. On voyait dans l’architecture moderne un instrument de progrès, d’émancipation, ainsi que de transformation sociale.
Bâtir des villes, non selon des principes abstraits, mais en pensant aux gens, aux milliers d’hommes et de femmes ordinaires pour qui nous devons organiser l’espace dans lequel ils et elles vivent, travaillent et se reposent, et pour qui il nous faut concevoir une architecture d’une telle objectivité et stabilité que l’on pourra la qualifier de classique, et à ce point ancrée résolument dans la réalité contemporaine que l’on pourra en même temps la définir comme moderne – voilà la responsabilité de notre génération1.
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Barbara Brukalska, https://tribunemag.co.uk/2019/08/builders-of-a-new-world (consulté le 10 septembre 2024). ↩
Cet article est un extrait de Alina, Barbara, Halina, Helena, Zofia, un nouveau volume de la série CCA Singles.
Texte traduit par Marie-Josée Arcand et Frédéric Dupuy