Une question de valeurs
Olaf Grawert et Alina Kolar présentent HouseEurope!
Cette conférence a été présentée lors de l’ouverture de l’exposition Bâtir des lois. Des extraits de la transcription sont publiés plus bas.
Olaf Grawert
Une question qui reviendra sans cesse au cours de la conférence est celle de la valeur que nous accordons à certaines choses et pas à d’autres.
Nous fonctionnons comme trois entités différentes :
La première est b+, une agence d’architecture qui travaille sur la réutilisation adaptative, c’est-à-dire sur la rénovation et la transformation de bâtiments existants. L’agence est une continuation de brandlhuber+, fondée par Arno Brandlhuber, et se compose aujourd’hui de quatre partenaires qui forment une coopérative.
Nous enseignons aussi à l’ETH Zurich, avec la Chaire d’architecture et narration nommée Station+. Depuis 2017, nous demandons aux étudiants de travailler avec des vidéos comme format de projet pour leur faire prendre conscience que l’architecture ne se limite pas à la conception de bâtiments, mais que chaque projet a besoin d’un récit, d’une histoire pour convaincre les gens de la nécessité d’un changement ou de la manière dont nous pouvons y parvenir.
Et la troisième entité est HouseEurope!, à la fois une association à but non lucratif qui agit comme un laboratoire de politique publique (c’est-à-dire un groupe de personnes qui essaient de formuler des propositions pour de nouvelles législations) et le titre d’une initiative citoyenne européenne qu’Alina présentera plus tard.
Dans le numéro de la revue Arch+ que nous avons coédité, intitulé L’architecture comme entreprise, la question centrale est résumée par la citation suivante de Saskia Hebert, architecte et spécialiste de la transformation : « Le plus grand défi pour les architectes est de créer une pratique autonome en période de post-croissance ». Nous sommes tous conscients de la crise écologique, mais nous voulons toujours exercer notre métier d’architecte. Qu’est-ce que cela signifie et comment pouvons-nous, en tant qu’architectes, construire une pratique qui ne fasse plus partie du problème mais qui essaie de faire partie de la solution ou d’apporter certaines réponses?
Ce numéro d’Arch+ présente les résultats des cours à l’ETH Zurich, où nous avons été confrontés à la réalité suivante : alors que le marché de l’architecture a augmenté de 38 % en Europe depuis 2012, la contribution du secteur du bâtiment aux émissions mondiales de CO2 est également de 38 %. Et alors que beaucoup d’entre nous fonctionnent dans cette logique de croissance, les étudiants ont fait valoir que nous ne pouvions plus concevoir de nouveaux bâtiments parce que cela nous rendait complices de ce problème. Pour résoudre ce conflit, nous devons repenser la pratique de l’architecture.
Lorsque nous examinons le marché européen de la construction, nous constatons qu’aujourd’hui déjà, 50 % de ce marché correspond à la rénovation et à la transformation de bâtiments existants, bien que ce chiffre varie d’un pays à l’autre et qu’en Italie, il s’élève déjà à 84 % du marché.
Si l’on élargit la perspective, on s’aperçoit que 75 % du parc immobilier européen n’est pas encore rénové et que nous ne rénovons qu’environ 1 % du parc immobilier par an. Ceci est particulièrement pertinent lorsque l’on pense à l’objectif que nous nous sommes fixé au sein de l’UE de décarboniser notre parc immobilier d’ici 2050. Cela signifie qu’il ne nous reste que 25 ans pour rénover tous les bâtiments européens et, au rythme actuel, il nous faudrait 75 ans pour les rénover. Pour y parvenir en 25 ans, nous devons tripler le taux de rénovation annuel. C’est un fait fantastique à partager avec les étudiants, qui sont parfois dépassés par l’évolution du marché et de la pratique de l’architecture.
Mais ce n’est pas seulement une question de faits et de chiffres, il ne s’agit pas seulement de la manière dont vous concevez la chose, mais aussi de son avènement dans la culture, pour citer Keller Easterling dans la série d’entretiens vidéo présentés dans l’exposition. Car il ne s’agit pas seulement des faits, de la construction, mais aussi du récit, de l’histoire que nous racontons pour transmettre l’idée que nous voulons quelque chose ou que nous avons besoin de quelque chose.
Alina Kolar
Nous avons commencé à travailler sur HouseEurope! (le projet n’avait pas ce nom encore) en janvier 2023. Il s’agissait d’un projet de recherche mais aussi d’une activité d’enseignement. J’ai rejoint l’équipe à titre de responsable des communications et nous avons consacré la première année à comprendre comment utiliser une Initiative citoyenne européenne (ICE) comme outil.
Aujourd’hui, HouseEurope! est à la fois un laboratoire politique à but non lucratif et une initiative citoyenne européenne (ICE) qui plaide en faveur de nouvelles lois visant à faire de la rénovation et de la transformation des bâtiments existants la nouvelle norme. L’ICE est un outil inventé par l’Union européenne il y a douze ans pour contrer le scepticisme à l’égard des politiques européennes et repenser le fonctionnement de la démocratie directe. Les pétitions sont un moyen pour les citoyens de s’impliquer dans la politique et vous pouvez lancer une ICE avec n’importe quelle revendication (les plus réussies concernaient les droits des animaux ou l’interdiction des pesticides). Pour nous, il était intéressant de comprendre comment on peut sortir du discours sur l’architecture, ou de la bulle de l’architecture, et essayer de faire comprendre aux gens que l’environnement bâti a vraiment un impact sur leur vie quotidienne.
Avant de mettre en place la campagne, nous avons mené une étude de marché auprès de 8 000 personnes dans huit États membres de l’UE et nous avons appris que de nombreuses personnes ne comprennent pas que la rénovation a un rapport avec leur vie : l’environnement bâti n’est pas un sujet auquel les gens pensent généralement. Nous avons donc cherché à savoir quelles étaient les conversations que nous devions avoir afin d’intégrer ces préoccupations dans le discours public.
Nous sommes partis d’un postulat social, à savoir que la rénovation permet de sauver des logements en maintenant les prix stables, et que les habitants peuvent rester chez eux sans être déplacés. Les quartiers peuvent conserver leur identité et les communautés restent vivantes. Bien sûr, ce n’est pas toujours le cas et il y a beaucoup de conversations aujourd’hui sur les « rénovictions », mais nous avons commencé à utiliser des « histoires de rénovation » comme nous les avons appelées, par exemple le projet Lacaton & Vassal le Grand Parc à Bordeaux, où les résidents ont pu rester dans leur maison pendant les travaux de rénovation.
Ensuite, il y a une prémisse économique, à savoir que la rénovation préserve les emplois en créant plus de travail local. Les petites entreprises peuvent survivre et ne seront pas évincées par les grandes sociétés. Et les marchés peuvent prospérer grâce à la main-d’œuvre plutôt qu’aux matériaux. Les bureaux d’architectes européens sont généralement de petite taille, 92 % d’entre eux étant composés d’un maximum de cinq membres. Un des exemples que nous avons utilisés ici est le projet M27 de BAST Architectes, où ils ont collaboré avec des artisans locaux.
Enfin, il existe un principe écologique selon lequel la rénovation permet d’économiser de l’énergie en conservant ce qui existe. Les matériaux peuvent être conservés et ne seront pas gaspillés, ce qui permet de réduire les émissions de CO2 et l’extraction des ressources. Notre exemple préféré est la rénovation de la tour De Voortuinen par Elephant, le siège d’une ancienne banque reconverti en logements.
Et si les objectifs sociaux, économiques et écologiques définissent la durabilité, nous ajoutons toujours une prémisse culturelle, car c’est ce qui nous permettra de changer le récit. D’un point de vue culturel, la rénovation sauve l’histoire en valorisant l’existant. Les souvenirs peuvent durer et ne sont pas oubliés, tandis que les histoires peuvent continuer à informer les générations futures. Pour nous, il s’agissait d’une courbe d’apprentissage très importante. De nombreuses personnes conservatrices, ou qui prennent position en faveur de la conservation du patrimoine, peuvent souscrire à ce message. Et l’exemple que nous avons analysé est une ancienne usine de vin qui a également été transformée en logements, Wohnen in Weinlager par Esch Sintzel Architekten.
Nous devons faire savoir que nos bâtiments ont beaucoup de valeur, que nous devons les reconnaître et faire en sorte que la rénovation soit gratifiante. Nous avons besoin de nouvelles lois et de mesures incitatives pour faire de la rénovation la nouvelle norme. Les trois piliers que nous utilisons actuellement pour rédiger une nouvelle législation concernant le droit de réutiliser les bâtiments existants sont les suivants : 1) des réductions fiscales pour la rénovation; 2) des règles équitables pour évaluer les potentiels, et pas seulement les risques; et 3) de nouvelles valeurs pour le CO2 incorporé.
Pour créer une campagne, nous avons réalisé que la chose la plus importante était de se faire des alliés : nous devions non seulement atteindre les personnes qui travaillent déjà sur ces questions, mais aussi comprendre comment des moments spécifiques peuvent rassembler d’autres personnes.