Liste des affaires

Un projet de Diller + Scofidio pour le livre The American Lawn, avec des photos stéréoscopiques de Robert Sansone

En 1998, le CCA a présenté Surface du quotidien : la pelouse en Amérique, une exposition dont la scénographie fut conçue par Diller + Scofidio. Elizabeth Diller et Ricardo Scofidio ont également produit un des textes du livre The American Lawn, dirigé par Georges Teyssot dans le cadre de l’exposition et coédité par le CCA et Princeton Architectural Press. L’article associe des photographies stéréoscopiques de Robert Sansone à la présentation de seize affaires judiciaires portant sur des conflits de voisinage relatifs à l’entretien des pelouses dans les jardins privés. Quatre de ces affaires sont reproduites ci-dessous.

Surface du quotidien : la pelouse en Amérique. Vue d’une des salles de l’exposition, 1998

Décrets contre la mauvaise herbe, règlements sur la tonte du gazon et lois contre le dépôt des ordures déterminent et réglementent le caractère de municipalités ou de quartiers. Les tribunaux de droit commun se prononcent sur les infractions aux lois régissant l’aspect et l’usage des pelouses, tandis que les tribunaux civils jugent les cas de dispute entre voisins. Il en va chaque fois de la définition de la pelouse comme surface publique de communication. Par ces jugements on peut mesurer la censure et les obligations sociales entourant chaque surface gazonnée.

Village de Kenmore contre Kenney

Cour du comté de l’État de New York, comté de Erie
85APP461 (1984)
Chef d’accusation : refus de tondre le gazon

Poursuite :

Le Village de Kenmore a accusé Stephen Kenney, domicilié au 186 Victoria Boulevard, d’une infraction au code municipal. L’accusé a laissé son gazon dépasser la longueur limite prévue par le code, qui stipule que « les lieux doivent être conformes au caractère résidentiel souhaité de la propriété » et que les propriétaires ont la responsabilité « de prévenir la pousse de broussailles et de mauvaises herbes pouvant être dangereuses ou nuisibles à la santé ». La poursuite a affirmé que le code municipal visait à protéger le citoyen et à proscrire toute conduite pouvant offenser l’ordre public. La pelouse de l’accusé est devenue une question d’intérêt public quand des voisins se sont plaints qu’elle soit « désolante » et « déprimante ».

Kenney a été reconnu coupable d’infraction au code municipal.

Défense :

Stephen Kenney a fait appel du jugement. Il a invoqué que le code était imprécis car il stipulait que les propriétés devaient « se conformer au caractère résidentiel souhaité » sans définir le terme « souhaité ». Le village a soutenu que cette imprécision présumée était due au fait que des normes changeantes nécessitaient une formulation souple. Kenney a contesté le droit des autorités locales de réglementer l’esthétique de la communauté, même si elles devaient veiller à l’application des lois touchant la santé publique et la sécurité. Le Village a rétorqué que les autorités locales avaient le mandat de protéger les sensibilités visuelles de leurs concitoyens. Kenney a invoqué que l’apparence de sa pelouse était le résultat de l’exercice de sa liberté d’expression, protégée par le Premier Amendement. Il a affirmé que sa pelouse communiquait un message, qu’elle était « un symbole de raisonnement logique et un lieu de pratique de la scolastique ». Kenney a demandé que l’on révoque sa condamnation.

Jugement :

La Cour a réfuté l’argument voulant que la pelouse puisse « communiquer un message » et a précisé : « La pelouse ne dit rien, ne représente rien et ne symbolise rien ». La condamnation a été maintenue.

Robert Sansone, photographe. Vue de 431-433 Tillanook Street, Hollywood, Oregon, États-Unis, de la série Neighbors, 1997. CCA. PH1998:0038:005

Anthony contre Searle

Cour suprême du Rhode Island
Affaire civile 92–572, R.I. 63 (1996)
Plainte : intrusion illicite – possession acquisitive

Demandeur :

Quentin Anthony, domicilié au 105 Bay View Drive, déclare que le défendeur a tenté de s’approprier un terrain dont lui, Anthony, croit être le propriétaire. Un matin, il a vu arriver sur sa propriété des engins de terrassement qui endommageaient sa pelouse bien entretenue. Il a appris que son voisin Donald Searle avait loué ce matériel en vue de la construction d’un garage sur une parcelle de terrain bordant les deux propriétés. N’ayant pas fait arpenter son terrain quand il en a pris possession, Anthony supposait que la limite nord de sa propriété était ce qu’il décrit comme une « ligne de transition de la végétation », soit une ligne indiquant une démarcation entre sa pelouse bien entretenue et le terrain envahi de broussailles et d’herbes sauvages de son voisin. Pensant que cette parcelle de terrain lui appartenait, Anthony a depuis 15 ans préparé et labouré le sol, planté du gazon, fertilisé ce gazon, l’a tondu toutes les semaines et arrosé chaque jour. Searle n’a jamais remis en question l’occupation du terrain par Anthony. Anthony demande que soit prononcée une injonction contre Searle et demande d’être reconnu propriétaire de cette parcelle en vertu de la loi relative à la possession acquisitive.

Défendeur :

Searle nie le droit de propriété du demandeur. Pour éviter tout malentendu, il a engagé un arpenteur géomètre afin d’établir les limites de sa propriété. Ce n’est qu’après s’être assuré que la parcelle lui appartenait qu’il a loué un bouteur et une pelle mécanique et a entamé des travaux d’excavation. Le premier jour, son travail a été interrompu par le demandeur. Searle ne nie pas que son voisin entretienne le gazon sur cette parcelle de terrain, mais précise toutefois que ce dernier l’a toujours fait sans lui en avoir demandé la permission. Pour lui, ces 15 ans d’entretien sont en fait 15 ans d’occupation illégale de son terrain. Searle maintient que la fausse perception du demandeur n’excuse pas cette occupation illégale et ne lui donne aucun droit de propriété. Searle invoque aussi le fait que la culture et l’entretien du gazon ne font pas partie des améliorations physiques prévues par la loi relative à la possession acquisitive, qui prévoit cependant la construction de clôtures et de maisons.

Jugement :

La Cour donne raison au demandeur, car elle considère que la culture à long terme est un argument en faveur de la possession acquisitive. Anthony s’est comporté comme le « propriétaire réel » du terrain et est reconnu comme tel.

Ville de Euclid contre Mabel

Cour d’appel de l’Ohio
Affaires criminelles nos 47856–62 (1984)
Chef d’accusation : infraction au règlement relatif aux pancartes

Poursuite:

La Ville de Euclid a engagé des poursuites contre les citoyens Mabel, Cicek, Choromanski, Zupanic, Tarantino, Jordan et Fratcher, accusés d’avoir enfreint le règlement municipal relatif aux pancartes. Les accusés avaient installé sur leur pelouse des pancartes annonçant leur intention de vote. Or, le règlement interdit formellement toute pancarte politique sur les pelouses des résidences, mais permet l’affichage, aux fenêtres, d’un maximum de deux messages politiques par propriété. Cette restriction vise à protéger l’esthétique du quartier et à prévenir les infractions et le crime. La poursuite a invoqué que l’expression d’opinions politiques avait souvent entraîné des dommages à autrui ou à la propriété, et a cité des cas où des automobilistes s’étaient garés sur des trottoirs ou des pelouses afin d’y enlever des pancartes.

Les accusés ont été reconnus coupables d’infraction au règlement relatif aux pancartes.

Défense :

Les sept propriétaires ont fait appel du jugement, invoquant que le règlement brimait la liberté d’expression accordée en vertu du Premier Amendement. Ils ont invoqué qu’en privilégiant les pancartes portant un message de nature commerciale sur les pelouses, la Ville choisissait quels points de vue pouvaient être transmis par ce moyen de communication. La Ville a rétorqué que le règlement était neutre quant au contenu des messages politiques et qu’il ne privilégiait aucun point de vue. Il ne restreignait pas l’expression de positions politiques, mais en limitait l’affichage aux fenêtres des résidences. Les propriétaires ont invoqué que ce type d’affichage confinait le message à l’espace domestique intérieur, alors que les pancartes sur les pelouses, étant à la fois un élément du paysage et un moyen de diffuser un message, constituaient une forme de communication publique.

Jugement :

La Cour a jugé que les règles concernant l’esthétique ne pouvaient pas primer sur la liberté d’expression dont jouissent les citoyens sur leur propriété. Le jugement initial a été révoqué et le règlement, déclaré nul.

Robert Sansone, photographe. Vue de 108-110 Deane Street, Moses Lake, Washington, États-Unis, de la série Neighbors, 1997. CCA. PH1998:0038:003

Ville de Normal contre Rainey Becher

Cour de circuit du comté de McLean, Illinois
Affaire no 96 OV 1426 (1996)
Chef d’accusation : infraction au règlement sur la destruction des mauvaises herbes

Poursuite :

La Ville de Normal a intenté des poursuites contre Rainey Becher, domiciliée au 1615 Ensign Drive, pour une infraction au règlement municipal sur les mauvaises herbes. Le règlement stipule que les mauvaises herbes, c’est-à-dire « tous les végétaux nuisibles poussant sur une propriété privée, y compris ceux qui ont des graines de nature duveteuse ou volatile et qui, secs, peuvent constituer une menace d’incendie, ou encore tous ceux qui sont nuisibles ou dangereux » ne peuvent atteindre plus de 20 cm. Le jardin de Rainey Becher tranche sur les pelouses rases et bien entretenues qui sont caractéristiques du quartier, car il est planté de carotte sauvage, une plante haute à tige tressée qui produit des fleurs blanches et peut atteindre plus de 1 m. Le Département de l’Agriculture des États-Unis définit la carotte sauvage comme « un végétal pernicieux, l’ancêtre du légume cultivé aujourd’hui ». D’après la poursuite, « on retrouve cette plante dans tous les fossés ».

Défense :

Rainey Becher a contesté le droit des autorités de réglementer l’esthétique du paysage et de forcer chaque propriétaire à se conformer à une convention arbitraire qui restreint la définition de « pelouse » à un tapis de verdure. Becher a décrit son jardin comme « un paradis cultivé de plus de trois douzaines de variétés de fleurs sauvages, incluant la carotte sauvage ». Elle a invoqué que le règlement était imprécis car il ne fournissait pas de définition objective d’une « mauvaise herbe ». Récusant l’affirmation de la Ville voulant qu’une mauvaise herbe soit « une plante sauvage dans un endroit cultivé », un horticulteur appelé à témoigner pour la défense a déclaré sous serment qu’en agronomie, une mauvaise herbe était définie comme « tout végétal n’étant pas dans un endroit approprié ». Il a ajouté que la définition d’une « mauvaise herbe » mettait en jeu l’intention de celui qui cultivait des végétaux. Comme Rainey Becher cultivait intentionnellement de la carotte sauvage, ce végétal ne pouvait être considéré comme une mauvaise herbe.

Jugement :

La Cour a porté un jugement en faveur de la défenderesse. La Ville ne pourra réglementer la pousse des « mauvaises herbes » que lorsqu’elle aura mieux défini ce terme.

Projet produit avec l’assistance de Mark Wasiuta et Gwynne Keathley. La sélection de cas portés devant les tribunaux est reformulée à partir des sources suivantes : Westlaw, Lexus-Nexus et Versus Law. Les auteurs remercient Gale Dick, Mark Fenster et Roy Keathley.

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