Tisser modernité et tradition
Abigail Duke s’intéresse à l’architecture d’Arc Frank Mbanefo
Dans un article publié en 1962 dans Nigeria, une revue trimestrielle qui a connu plusieurs éditions entre 1937 et 1990, Arc Frank Mbanefo propose une analyse des formes et des modes de vie liés à l’architecture traditionnelle d’Onitsha. Cet essai démontre l’intérêt profond de Mbanefo pour la recherche et la transmission des caractéristiques et qualités de l’architecture igbo locale1. Bien que formé comme architecte au Royaume-Uni, Mbanefo a toujours su conjuguer avec finesse les idéaux modernistes et les références à l’héritage local.
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Cette revue, parrainée par le gouvernement et publiée par la division culturelle du ministère de l’Information, abordait des sujets liés aux arts, à l’histoire, à la littérature, à la culture et à l’architecture. Sa vocation, pendant un certain temps, était celle d’un journal destiné à « toute personne intéressée par le progrès du pays ». Pour plus d’informations sur l’article, voir « The Ancestral House (Iba) in Onitsha, 1960-61, » A Mighty Tree, Onitsha History, Kinship, and Changing Cultures, consulté en ligne en février 2025, https://amightytree.org/ancestral-house-iba/ ↩
Retour au Nigeria
En 1960, l’année même de l’indépendance du pays, Mbanefo retourne au Nigeria après dix années d’études et de travail au Royaume-Uni1. Il rejoint alors Godwin & Hopwood à Lagos. John Godwin et Gillian Hopwood s’installent à Lagos en 1954 après des études à l’Architectural Association de Londres et continuent d’exercer au Nigéria le reste de leur carrière. Avec plus de 1 000 projets réalisés sur ce territoire, leur agence a profondément marqué le paysage bâti nigérian, développant une architecture à la fois adaptée au contexte local et emblématique du modernisme tropical.
Au moment de l’indépendance, le pays connaît un boom de la construction, parallèlement à la découverte du pétrole dans les années 1950. Le gouvernement cherche à doter les villes nigérianes d’une image architecturale renouvelée. L’architecture devient ainsi non seulement un vecteur de représentation pour le Nigeria indépendant, mais aussi un outil de modernisation. Durant les trois années qu’il passe au sein de Godwin and Hopwood, Mbanefo participe à une diversité de projets résidentiels, industriels et éducatifs. Le cabinet joue alors un rôle de pépinière pour une jeune génération nigériane d’architectes et devient un acteur central de la communauté architecturale de Lagos. D’autres figures majeures du Nigeria y ont fait leurs débuts, parmi lesquelles Olufemi Majekodunmi dans les années 1960, ainsi que Ayo Onajide et Biola Fayemi, qui les rejoignent plus tard2.
Engagé dans le développement de la profession au Nigeria, Mbanefo s’implique activement dans divers organismes dédiés à l’architecture, tant au niveau local qu’à l’étranger. Il est membre fondateur de la Nigerian Institute of Architects (NIA), dont il deviendra plus tard le président national, ainsi que membre agréé de la Royal Institute of British Architects (RIBA), en plus de nombreuses autres associations.
National Museum of Unity à Ibadan
En 1964, Mbanefo fonde son propre cabinet à Port Harcourt, qu’il réinstalle à Enugu en 1972, après la guerre civile nigériane (guerre du Biafra 1967-70)1. Un an plus tard, le gouvernement nigérian lance un projet de création de musées dans quatre capitales régionales : Sokoto, Maiduguri, Ibadan et Enugu, dans le but de promouvoir l’unité nationale et de réconcilier les divers groupes culturels du pays. Si les musées de Sokoto et de Maiduguri ne verront jamais le jour, celui d’Ibadan, conçu par Mbanefo, est achevé en 19922. Aujourd’hui, il s’impose comme une institution de premier plan, jouant un rôle essentiel dans la sensibilisation, l’éducation et la préservation et la mise en valeur du riche patrimoine culturel nigérian. Comme à l’époque de l’indépendance, le développement de l’architecture public par le gouvernement – et notamment les projets muséaux – devient un outil d’unification. La fonction du musée tout comme son style architectural sont donc essentiels.
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Pendant la guerre du Biafra, Mbanefo a réalisé le « bunker Ojukwu » pour le colonel Odimegwu Ojukwu. Avec une équipe de spécialistes en ingénierie, le projet a été achevé en trois mois, en utilisant uniquement des matériaux locaux et en dissimulant la construction à l’aide de feuilles de bananier pour éviter les tirs aériens ennemis. Aujourd’hui, ce bâtiment abrite une partie du National War Museum, à Umuahia. ↩
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Bien que la construction du bâtiment ait été achevée en 1992, le musée n’a ouvert ses portes au public qu’en 2002. ↩
La conception de Mbanefo traduit l’ambition du musée de promouvoir le patrimoine local. Affichant une sensibilité culturelle, la conception intègre des éléments traditionnels qui ancrent le bâtiment dans l’histoire de la région. La forme principale de la construction est exprimée en plan. Le programme de la toiture présente une série de volumes octogonaux interconnectés, chacun organisé autour d’une cour centrale. Inhabituelle pour un musée de cette époque, l’inclusion des cours semble inspirée de l’architecture domestique traditionnelle yoruba, particulièrement des maisons orientées vers une cour intérieure, conçue pour recueillir l’eau de pluie1.
L’usage du béton pour la plus grande partie de la structure, associée à cette forme de cour traditionnelle, symbolise l’alliance de la tradition et du modernisme dans l’architecture de Mbanefo. Avec le développement exponentiel de l’industrie du béton après l’indépendance, ce matériau devient un symbole de modernité. Le projet intègre également des éléments en béton préfabriqué dans une façade en brise-soleil sur le chemin extérieur du bâtiment, permettant de contrôler la lumière solaire et d’assurer une ventilation transversale. Ce type de façade rythmée était de plus en plus utilisé dans l’architecture tropicale, visible par exemple dans la Kenneth Dike Library de l’University College of Ibadan (1947-1960), réalisée par Fry, Drew and Partners (chez qui Mbanefo avait travaillé plus tôt dans sa carrière, à Londres). À l’instar d’autres architectes du Nigeria à l’époque, Mbanefo développe les principes du modernisme tropical en y incorporant des techniques et des formes locales, conjuguant ainsi l’héritage culturel et le design moderne.
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Chike C. Aniakor, « House Types and Decorations in Southern Nigeria », in Présence Africaine, 4e TRIMESTRE 1978, Nouvelle série, No. 108 (4e TRIMESTRE 1978), 19-37 ↩
Mausolée du Dr Nnamdi Azikiwe
Au cœur d’Onitsha se dresse un monument dédié à la mémoire du premier président du Nigeria, Dr Nnamdi Azikiwe, né à Zungeru, dans le nord du pays, mais qui, comme Mbanefo, a grandi à Onitsha.
Il a joué un rôle déterminant dans l’indépendance du Nigeria. Les dessins du mausolée témoignent d’un savant équilibre, entre influences modernistes et traditions architecturales igbos, ainsi que des références à des facteurs contextuels et climatiques. Un entrelacement maîtrisé emblématique d’une grande partie des projets de Mbanefo.
Si l’on examine le plan symétrique, on remarque qu’une série de cercles est entourée d’un carré dont chaque coin est renforcé par un élément diagonal. En imaginant l’expérience du bâtiment lui-même, quatre entrées, une de chaque côté du carré, mènent à un écran de lames de béton alignées. Le grand nombre de fenêtres, ainsi que la façade formée par plusieurs strates de lames de béton, régulent le flux d’air naturel. Une fois à l’intérieur, huit colonnes espacées de manière régulière et disposées en cercle délimitent un autre seuil, menant à des escaliers descendant jusqu’à la statue centrale et à la tombe. La forme carrée et audacieuse invite à la réflexion et à l’introspection en mémoire d’Azikiwe.
Comparativement, le plan de coupe révèle à la fois la monumentalité de la conception et, formellement, un changement par rapport au style du plan. Quatre panneaux de toiture incurvés s’élèvent et se rejoignent pour former une haute tour, dont le sommet lumineux signale la présence du monument funéraire. Cette forme sculpturale permet un volume intérieur spectaculaire tout en manifestant l’importance du bâtiment dans le paysage urbain. De plus, la haute tour favorise le rafraîchissement de manière naturelle.
Conçu dans les années 1990, mais achevé seulement en 2015, ce projet a été l’un des derniers réalisés par Mbanefo au terme d’une carrière de plus de quarante ans. La conception du mausolée raconte l’histoire d’une vie dédiée au service des autres, mais au-delà d’un hommage à un dirigeant remarquable, cette architecture incarne une véritable célébration de l’histoire nigériane.
Des architectures pour une nation moderne
Mbanefo a conçu des bâtiments qui symbolisent à la fois les aspirations de la nation et la richesse de son patrimoine culturel. Animé par une profonde compréhension du contexte local, son œuvre traduit l’émergence du Nigeria comme nation moderne : l’histoire d’un pays en transition, déterminé à affirmer son identité tout en embrassant de nouvelles possibilités.
Traduction de l’anglais par Gauthier Lesturgie.