Paysages vivants / Pemawsuwik Tan Elahkomikekil / Mimajultikl Maqmikewitasikl

Robyn Adams, Julia Pingeton et Marie Pontais s’intéressent à l’espace transitoire qu’est le littoral

Rivière, rivage, territoire est un projet de trois ans consacré aux futurs écologiques aux Jardins de Métis/Reford Gardens. Dans le cadre du deuxième volet du programme de maîtrise explorant la rivière, le rivage et et le territoire aux Jardins de Métis, dans la région du Bas-Saint-Laurent, au Québec, trois étudiant·es explorent le rivage, tissant les deux autres thèmes et se penchant sur leur entrelien.

Les Jardins de Métis/Reford Gardens, site principal de notre recherche, se trouvent à la jonction du Wolastokuk, le territoire ancestral de la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk, et du Gespe’gewa’gi, le septième district de Mi’kma’ki qui est le territoire ancestral de la Première Nation Mi’gmaq. Tout en explorant la façon dont les jardins imaginent de nouvelles méthodes pour ralentir, contrer et travailler avec l’érosion des berges, nous affirmons notre responsabilité collective à l’égard de ce territoire et de l’histoire, des droits et de la présence de ces nations.

Le rivage est temps. Le rivage est flux. Le rivage entrelace les récits des rivières à ceux du territoire. Le rivage contient tout ce qu’il y a autour et entre les deux : l’air, les rivières, le sol et tou·te·s leurs habitant·e·s – les plantes, insectes et animaux (êtres humains inclu·e·s). Le rivage, c’est là où l’eau parle et la terre écoute.

L’érosion est un espace de dialogue, un tissu de relations et de maillages en constante évolution. L’érosion est la rencontre de mondes en mouvement. L’érosion est un processus qui refaçonne sans cesse les paysages, nous rappelant que les territoires sont à la fois fragiles et résilients. Nous apprenons à voir l’environnement comme un conteur d’histoires, et à recueillir ces récits comme données.

Qu’est-ce que cela signifie que d’essayer de s’établir de façon permanente sur un territoire continuellement vulnérable aux mouvements des marées, des rivières, de la pluie et du vent?

Comment pouvons-nous faire face à l’érosion tout en cultivant de nouvelles manières d’habiter le littoral?

Wolastoqey
Jardins de Métis/Reford Gardens, ihtoli keq kiluwahtuweq, ote etoli mawtek Wolastokuk, mecimiw ‘kitahkomikumuwa Wolastoqiyik Wahsipekuk, naka Gespe’gewa’gi, olowikoney wikultitit Mi’kma’ki, mecimiw ‘kitahkomikumuwa Mi’gmaq. Qeni kiluwahtuweq tan kihkanol eli penakacessik, kulopehtuweq, naka witoluhkatomeq samaqan kisehtaq poneqamkiye, ntitomuhtipon mawiw yut tepinomeq ktahkomiq naka mecimiw eyik eleyikpon, weckuhuhsaminomok, naka psiw kilun yut eyultiyeq.

Nisewey yut kesikotok ‘ciw nihi kesikotok luhkewakon: sip, sonuciw, ktahkomiq. Wikultiyeq tama acessik, nomihtunen op ehtek soqasuwakon epasiw nisonul piluweyal eliwihtasikil, kiluwahtuwek keq epasiw ehtek.

Sonuciw nit tan qoniw. Sonuciw nit nutecowok. Sonuciw laskonomonol atkuhkakonol ‘ciw sipiyil wiciw nihtol ktahkomiqok. Sonuciw witte psiw keq ehtek amoniw naka epasiw: ewon, sipiyil, tupqan, naka psiw keq ehtek—kihkasikil, cucuhcok, weyossisok (pomawsuwinuwok tena). Sonuciw nit samaqan ehtek elewestuwik naka ktahkomiq tpostom.

Poneqamkiyak nit eyik lewestuwakon, sasokiw acessik mawi-wikulticik naka eli ‘tomeyawotultitit. Poneqamkiyak sasokiw ‘tacehtun elahpukok ktahkomiq, ktokehkimkun eli ktahkomiq komasi acessik naka sikawsuwik. Nonomonen weci nomihtuweq psiw keq amoniw atkuhkakon, naka weci wikhomeq atkuhkakonol tahalu cuwi nonasik.

Keq nit li-minuwiw weci qeci askomiw wikultiyeq ktahkomiqok mecomi acessik atpekil, sipiyil, komiwon naka wocawson?

Tan op ‘kisi lehtunen poneqamkiyak qeni lihtuweq piluweyal weci kisi wikultiyeq sonuciw?

Mi’gmaq
Jardins de Métis/Redford Gardens, ta’n amskwesewey etek ta’n ninen il-kwiluwasultiek, na etek ta’n na we’kwa’q ta’n na Wolastokuk, kniskamijuey maqmikew ta’n na Wolastoqayik Wahsipekuk Nation, aqq ta’n Kespe’kewa’ki, lluiknekewey etek ta’n Mi’kma’ki, kniskamijuey maqmikew ta’n na Mi’kma’ki Nation. Ke’sk il-kwiluwasimk ta’n na atuomkl na nemitu’titl pile’l tel-lukwutimkl ukjit pawiaq, counter, aqq lukwaqn elt samqwan-wejiaq menapuwek, ninen kejituek ninen mesnmek maliaptmek ta’n ula maqmikew aqq na ta’n pemiaq sa’qewey, tetpaqa’qewe’l, aqq eymin ta’n ula Nation-el.

Ula na Ta’puewey te’sipunqwek ta’n na si’st-te’sipunqwek kisitasik: sipu, qasqe’k, maqmikew. Kelo’tk ta’n sa’se’wa’sik etek, ninen maqmikewey nemituekip lukwaqn ta’n asumkwaqn mekwaye’k ta’n tapu’kl pilewe’l wisunn, kwilmk ta’n etek mekwaye’k.

Ula qasqe’k Nike’ ajiaq. Ta’n qasqe’k na wnaqijuik. Ta’n qasqe’k toqijoqa’sik ta’n na a’tukwaqnn ukjit ta’n sipu’l elt ta’n na maqmikewiktuk. Ta’n qasqe’k kito’qik msit kito’qiw aqq ta’n mekwaye’k: ta’n pju’sn, ta’n sipu’l, ta’n tupkwan, aqq msit ta’n na wikultijik—wasuekl, jujijk, waisisk (mimajuinu’k ma’wt). Ta’n qasqe’k na ta’n na samqwan kelusik aqq ta’n maqmikew jiksitk.

Pelkoqa’sik ula na etek na ewikasik, ta’n kaqisk sa’se’wa’sik eltaqtek ta’n tela’matultimkl aqq aptipiluksimkl. Pelkoqa’sik na ta’n tel-lukwek ta’n kaqisk ilika’toq maqmikewitasikl, ekina’muksi’k na ta’n maqmikew na kitk pepke’jk aqq melkiknaq. Ninen ekinu’tmasultiek ukjit nmitunen ta’n weji-mimajultimk ta’n na nuji-a’tukwet, aqq ukjit wi’kmn ula a’tukwaqnn ukjit ewikasikl.

Koqoey net teluek ukjit ktnu’kwalsin na kisa’muwen iapjiw Ula maqmikew pepke’jk ta’n na kaqisk-sa’se’wa’sik telijuwikl ta’n suekawk, sipu’l, kispesan, aqq pju’sn?

Tal-kisi-wksku’tisnen pelkoqa’sik ke’sk nikwenimkl pile’l telo’ltimkl ta’n wikimk ta’n qasqe’k?

Un lieu dans le temps

Robyn Adams, Spiraling Time, Where the Mitis River meets the St. Lawrence, 2024. Photographie à exposition multiple. © Robyn Adams

Robyn Adams
Chaque fois que je visite un rivage, qu’il soit baigné d’une lumière diurne diffuse ou irradié par l’éclat de la lune, les vagues rythment inlassablement le cœur des eaux. Le sable, les rochers, les plantes intertidales évoluent en spirale, tressant des liens entre passé, présent et avenir. J’ai grandi avec la conviction transmise que l’eau nous porte vers l’avant, mais j’ai récemment compris que son mouvement échappe à une chronologie et une action linéaires. Pour approfondir ma compréhension des enseignements de l’eau à travers diverses perspectives, je m’appuie sur le concept de « temps en spirale », transmis par des spécialistes autochtones. Passer du temps sur les rivages du Saint-Laurent et de la Mitis m’a permis de percevoir la constante fluctuation des choses – leur avancée à la fois cyclique et linéaire. La marée suit un rythme quotidien, mensuel et annuel, tandis que chaque vague occupe l’espace différemment. L’érosion, la sédimentation, les dépôts sont autant d’éléments constitutifs de cette écologie aquatique. Dans Spiraling Time, Where the Mitis River meets the St. Lawrence, la photographie argentique m’a aidé à ralentir mon processus et à m’attarder sur les instants du littoral. En multipliant les expositions et en avançant manuellement et progressivement la pellicule, je saisis en une seule image des mondes distincts d’un même rivage. À mesure que l’érosion s’accélère sur ce littoral, les berges de la rivière sombrent de plus en plus dans l’eau chaque année, redessinant sans cesse le paysage. Ce geste photographique m’invite à une relation plus lente, plus intentionnelle et plus tactile avec les personnes et le territoire – vers un sentiment d’incarnation avec la terre.

Projet de recharge de plage, Sainte-Flavie, août 2024. Photographie de Marie Pontais

Marie Pontais
Alors que les savoirs plus traditionnels, enracinés dans leurs territoires, s’érodent peu à peu, il devient de plus en plus difficile de nommer et de comprendre le caractère intrinsèquement dynamique des espèces et des éléments naturels. Il semblerait qu’il nous faut réapprendre à lire le paysage, d’un point de vue profondément relationnel. En prenant le temps d’observer, en nous attardant et en nous laissant toucher par tout ce qui nous entoure.

C’est, je pense, ce que nous avons commencé à explorer dans notre recherche. La toponymie, l’histoire et le nom des lieux, comme celui de la rivière Mitis, est porteuse de savoirs territoriaux ancestraux et nous reconnecte aux significations inscrites au sein même du langage, dans la manière dont les Premières Nations nomment et vivent avec les territoires. Nommer, c’est aussi l’acte de rendre visible, l’acte de faire et de laisser la place, que ce soit aux voix des peuples et à leurs relations avec les rivières; ou aux dynamiques des rivages, dont la zone intertidale (cet espace qui se couvre et se découvre à chaque marée) abrite une très grande diversité écologique, bien vivante. Cet été, en assistant au projet de recharge de plage de Sainte-Flavie, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment l’effacement d’une partie entière d’un écosystème pouvait être perçu comme la meilleure manière d’agir. Que restons-nous alors incapables de reconnaître ici, faute de les nommer?

Laisser place aux relations

Réunion à la Maison du gardien, Métis-sur-mer, 2024. Photogramme d’un film en Super 8 de Robyn Adams

Seigle de mer, Jardin de Métis, 2024. Photogramme d’un film en Super 8 de Robyn Adams

RA
Une grande partie de cette recherche s’est construite à travers les relations développées avec les communautés locales. Au début de l’été, nous avons rencontré plusieurs familles qui vivent à Métis-sur-Mer depuis des générations, des artistes de passage au Jardin, ainsi que des personnes engagées dans la programmation et l’organisation d’événements.

Nous avons également fait la connaissance de membres du personnel et de stagiaires pour la saison estivale. L’invitation à visiter quelques maisons des environs, et à mener des entretiens avec des spécialistes et des membres de la communauté a été une expérience précieuse. Découvrir les sujets qui les animent et l’ouverture avec laquelle toutes ces personnes ont accueilli notre recherche sur l’érosion du littoral ont véritablement nourri notre démarche. Au CCA, beaucoup de spécialistes de la recherche ont organisé des présentations et des ateliers, et ont consulté les archives. Les repas partagés ont été des moments très enrichissants. Alors que nous examinions les systèmes racinaires d’espèces végétales comme Leymus arenarius (élyme des sables) et la biodiversité du littoral et de la zone intertidale, notre communauté de recherche s’est élargie et consolidée tout au long de l’été.

Le Jardin de bord de mer (Practice Landscape), entretien saisonnier et session de désherbage, Sainte-Flavie, juillet 2024. Photographies par Marie Pontais

Le Jardin de bord de mer (Practice Landscape), entretien saisonnier et session de désherbage, Sainte-Flavie, juillet 2024. Photographies par Marie Pontais

MP
Au cours du temps passé à Métis, nous avons eu la chance de rencontrer et d’apprendre auprès de nombreuses personnes, de croiser ces idées et perspectives, tout en cherchant à les mettre en relation – un processus qui s’est révélé à la fois complexe et enrichissant. Une idée - partagée par Rosetta S. Elkin au début de notre séjour - est restée avec moi : peut-être qu’il s’agissait d’essayer avant tout de « se laisser transformer par notre recherche, plutôt que de chercher ce qu’elle pourrait transformer ou même résoudre directement». Cela a changé ma manière d’aborder notre processus, et m’a encouragée à y participer avec curiosité et sincérité, lâchant prise sur l’idée d’apporter des solutions concrètes à des problématiques complexes en seulement quelques mois.

Écouter nos intérêts respectifs signifiait pour moi d’observer attentivement le paysage, ses rythmes et la façon dont l’eau circule sur le site aujourd’hui. Sans étude hydrographique, il semblait pertinent de se concentrer sur l’observation de l’infiltration, de comprendre comment l’eau est retenue (ou non), comment elle s’écoule et interagit avec les sols de notre site. Cela m’a amené(e) à explorer le rôle de certaines plantes observées — comme le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides), les nombreux saules (Salix), le rosier sauvage ou églantier (Rosa rugosa), l’élyme des sables (Leymus mollis) — et leurs systèmes racinaires variés, des racines pivotantes profondes, aux structures fibreuses et rhizomiques, sans oublier leurs relations avec l’argile, le sable et l’eau (douce et salée). Inspirée par des projets comme Le Jardin de bord de mer et Le Jardin du littoral, je souhaitais comprendre comment ces approches alternatives se mettent au service des écosystèmes plutôt que de s’y opposer, en renforçant à la fois la résilience et le soin envers les paysages.

Histoires de la terre

Système racinaire de peupliers flottant, juin 2024. Photographies de Julia Pingeton

Rosiers rugueux envahissant une partie du littoral, juin 2024. Photographies de Julia Pingeton

Julia Pingeton
Pour commencer à expérimenter avec ces méthodologies alternatives et ces pratiques territoriales, nous avons dû adopter une approche créative de l’inventaire et de l’analyse du vivant à cet endroit.

Un soir, en me promenant sur le rivage au crépuscule, j’ai trouvé ce gros morceau de bois flotté. Il laissait apparaître les systèmes racinaires des peupliers et leur croissance rhizomique, un processus rarement visible depuis la surface. Des arbres en apparence individuels forment en réalité un seul organisme interconnecté, doté d’un système racinaire enchevêtré qui fortifie à la fois chaque arbre individuellement et le groupe dans son ensemble. Le nom de la rivière Mitis vient de mitisipu, un mot mi’kmaq signifiant « peuplier ». Le peuplier faux-tremble et d’autres espèces apparentées, borde les rives de la rivière. Ces arbres stabilisent les berges et s’implantent rapidement dans les milieux altérés. Les accumulations sédimentaires que leurs racines permettent de retenir témoignent des stratifications de sens et d’émotions qui s’assemblent dans un paysage au fil du temps, et des connexions invisibles qui tissent ces significations entre elles.

Les rosiers sauvages sont une espèce agressive, parfois classée comme invasive dans la région d’où je viens ainsi que dans la péninsule de la Gaspésie – malgré leur parfum délicieux et leur popularité. Une personne habitant la région, avec qui nous avons échangé, en a fait l’éloge lorsque nous avons discuté de la diminution de la plage qu’il a constatée sur sa propriété au fil des ans, en affirmant que les zones où les rosiers se sont implantés résistent mieux aux inondations et à l’érosion que le reste de la plage. Leurs systèmes racinaires denses forment un maillage fasciculé efficace pour retenir les sols. Comprendre les plantes qui peuplent un paysage demande une approche nuancée : certaines espèces introduites pour répondre à un besoin particulier, comme la lutte contre l’érosion, peuvent rapidement proliférer et déséquilibrer leurs écosystèmes. Cette lecture nuancée permet d’appréhender le territoire comme une entité dynamique vivante, marquée par la coexistence d’une pluralité de réalités et besoins. Les espèces non-indigènes à une région s’accompagnent bien souvent d’un coût écologique incertain.

École d’été d’archéologie à la pointe, confluence de la rivière Mitis et du fleuve Saint-Laurent, Laboratoire d’archéologie et de patrimoine, UQÀR, juin 2024. Photographies de Marie Pontais

École d’été d’archéologie à la pointe, confluence de la rivière Mitis et du fleuve Saint-Laurent, Laboratoire d’archéologie et de patrimoine, UQÀR, juin 2024. Photographies de Marie Pontais

MP
L’érosion – et les différentes pratiques de contrôle de l’érosion – nous confronte à des réalités à la fois très complexes mais aussi très diverses. Au cœur de tous ces enchevêtrements, la notion de vulnérabilité est alors rapidement devenue un élément essentiel de nos réflexions. De toute évidence, cette recherche nous invite à comprendre comment aider et accompagner les habitant·es devenu·es vulnérables à l’érosion. Cependant, en observant de plus près les « vies entremêlées » qui composent le littoral, une autre forme de vulnérabilité s’est imposée à nous : celle de la terre elle-même 1.


D’où vient cette vulnérabilité ? Quelles en sont les dynamiques ? Comment les habitant·es ont-ils historiquement coexisté avec elle jusqu’à maintenant? Et aujourd’hui, comment pourrions-nous apprendre à l’accueillir et nous y adapter, plutôt qu’à lutter contre elle?

Ces questions semblaient souligner à la fois la nécessité de comprendre et d’agir. J’ai commencé à explorer le contexte de l’érosion à Métis — retraçant l’origine des rives en argile, essayant de me placer au sein d’une temporalité propre aux paysages, suivant le mouvement des sols, la formation des rivières et – comme de nos collègues archéologues de l’Université du Québec à Rimouski (UQÀR) – la succession des traces humaines inscrites dans les territoires. Il s’agissait à la fois de reconnaître et de cartographier ce qui rend Métis unique, tout en prenant en compte des dynamiques plus larges, partagées par d’autres paysages similaires. Et chercher ainsi des méthodes pour aborder l’érosion de berges argileuses qui comprennent le cours des processus naturels dont elles font pleinement partie.

  1. Anna Lowenhaupt Tsing, The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins, (Princeton Architectural Press, 2017). [Traduit de l’anglais par Philippe Pignare sous le titre « Le champignon de la fin du monde : sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme », éditions La Découverte, Paris, 2017.] 

Glissement de terrain entraînant un bouleau (des asters au premier plan), juin 2024. Photographie de Julia Pingeton

JP
Parmi les conditions paysagères particulières qui façonnent la situation à Métis, l’escarpement des berges de la rivière joue un rôle important. Formé lors du dernier recul des glaciers, il rend les rives particulièrement vulnérables à l’érosion par l’action des marées et les tempêtes de pluie – à la fois par le bas et par le haut. Un jour, après une pluie soudaine et violente, nous avons rejoint la rive pour observer l’effet de l’inondation sur les berges argileuses. Le glissement d’un arbre, sans doute survenu plus tôt dans la saison, nous a semblé étrange : un morceau entier du sol de la forêt, détaché de son environnement, continuait néanmoins à essayer de se développer. Que révèlent ces connexions dans l’environnement ? Comment nous relient-elles – ou pas? Comment renforcer l’interdépendance de tous ces éléments qui, ensemble, ont historiquement constitué des communautés puissantes et résilientes, tant pour la vie humaine que pour les vies non-humaines?

Des futurs en spirale

L’auto-défense à tout prix (granulats), août 2024. Photographie de Julia Pingeton

JP
Comprendre notre interdépendance, notre appartenance au collectif, notre responsabilité et notre obligation de répondre de nos actes constitue l’une des voies possibles pour appréhender ces enchevêtrements. Un après-midi, nous avons observé les opérations de déversement de gravier dans le fleuve Saint-Laurent, dans le cadre d’un projet de remblayage des plages, à partir de l’amas photographié ci-dessus. D’énormes camions sont venus décharger les agrégats extraits d’une carrière située à environ un kilomètre du rivage. D’autres camions venaient ensuite charger du gravier et le déverser sur la plage. La convergence d’une bande de terre naturalisée et d’un gros tas de gravier est apparue comme une sorte de balafre, une déchirure, une tentative de rompre les liens qui nous unissent.
Il existe des moyens de faire face aux angoisses que le bouleversement climatique peut susciter en nous, en reconnaissant les changements que nous vivons et en élaborant des défenses contre eux – comme ces amas de gravier sur ce rivage, afin d’essayer de construire des barrières contre l’interdépendance fondamentale entre nous et nos environnements. Il nous faut trouver d’autres méthodes pour surmonter ces peurs, en acceptant avec honnêteté ces conditions et en admettant qu’il n’y a peut-être pas de « retour en arrière » possible en termes de restauration ou de réhabilitation. Il nous est seulement possible d’aller de l’avant dans notre nouvelle réalité.

Phoques sur des rochers le long du Saint-Laurent, 2024. Photogramme d’un film en Super 8 de Robyn Adams

Miroir sur les rochers le long du Saint-Laurent, 2024. Photogramme d’un film en Super 8 de Robyn Adams

RA
Tout au long de cette recherche, la réalité du déplacement a occupé une place centrale dans nos conversations : déplacement du territoire causé par l’érosion hydrique, déplacement des espèces végétales sous l’effet du réchauffement des eaux, et déplacement forcé des communautés et des savoirs autochtones en raison de l’occupation coloniale.

À notre arrivée à Métis-sur-Mer, nous avons logé dans le phare, juste à côté de l’endroit où ces images ont été prises. Marcher à marée basse autour des roches sédimentaires inclinées et observer les phoques s’y allonger ou nager au loin, a été une expérience magique. En passant du temps le long de ces rochers, mon corps s’est ancré dans cet espace, mais aussi étiré dans le temps. Dans cette conscience et présence du « temps en spirale », j’ai entamé une réflexion sur le littoral et ses déplacements – des plantes et de l’eau – tout en cherchant à en savoir plus sur l’histoire locale des Premières Nations. Diverses archives et musées de la région, y compris les Jardins de Métis, conservent des objets culturels comme des canots en écorce de bouleau, des raquettes à neige, des tissages ou des vêtements en peau boucanée, probablement fabriqués entre la fin du XIXe et le milieu du XXe siècle. M’asseoir auprès de ces objets m’a relié à des bribes d’histoire, suscité de nouvelles questions et m’a permis de ressentir partiellement l’esprit qu’ils renferment. Ce type de connaissance est fondamental pour penser une adaptation du littoral.

Habiter ce paysage transforme ma perception du passé, du présent et du futur. Les roches sédimentaires arquées me rappellent qu’une chose apparemment immuable est en réalité fluide et éphémère. Dans ce photogramme, l’eau agit comme un miroir, elle reflète les cosmologies du ciel tout en se repliant sur elle-même.

Les rochers, qui semblent anciens et éternels, se révèlent être également des fils souples dans la trame du littoral, entremêlant des échelles temporelles longues et brèves. Lorsque l’on réfléchit à l’avenir du littoral, il est essentiel de se reconnecter aux savoirs écologiques traditionnelles, d’honorer les héritages de nos ancêtres et de renouer avec les connaissances autochtones liées à la terre.

Documentation

Ces livrets – Relations, Pratiques, Territoire – sont conçus à partir de moments vécus sur les rivages qui ont dévoilé quelque chose de significatif, nous invitant, dans notre travail de recherche, à les intégrer à notre compréhension du rivage et des formes de vie qui l’habitent. Chacun des livrets s’articule autour d’une des trois phases physiques de l’érosion : détachements, mouvements et sédimentations. Ces processus sont cycliques, et la manière dont nous les présentons ne prétend pas en refléter toute la complexité plurielle de leur trajectoire. Il n’y a ni commencement ni fin à l’érosion, pas plus qu’à notre apprentissage.

Robyn Adams est une citoyenne Red River Métis de la Manitoba Métis Federation. Elle est étudiante en double cursus de maîtrise d’architecture et d’architecture du paysage à la University of British Columbia. Son travail entremêle l’art, l’architecture et les savoirs autochtones liés à la terre.

Julia Pingeton étudie l’architecture du paysage à la University of Guelph et s’intéresse aux dimensions écologiques, émotionnelles et comportementales de l’adaptation au climat. Pingeton cherche à apprendre auprès des plantes et des communautés pour mieux préserver l’environnement.

Marie Pontais est diplômée d’une maîtrise en design de l’environnement de l’Université du Québec à Montréal (UQÀM), avec une concentration en études féministes. Son mémoire, géomorphologies collectives, explore les théories (éco)féministes et queer, en s’intéressant à la relationnalité et à la porosité à travers la notion de frontière, en lien avec les pratiques d’aménagement contemporaines. Elle travaille actuellement comme designer-paysagiste chez CCxA.

Traduction de l’anglais par Gauthier Lesturgie.

1
1

Inscrivez-vous pour recevoir de nos nouvelles

Courriel
Prénom
Nom
En vous abonnant, vous acceptez de recevoir notre infolettre et communications au sujet des activités du CCA. Vous pouvez vous désabonner en tout temps. Pour plus d’information, consultez notre politique de confidentialité ou contactez-nous.

Merci. Vous êtes maintenant abonné. Vous recevrez bientôt nos courriels.

Pour le moment, notre système n’est pas capable de mettre à jour vos préférences. Veuillez réessayer plus tard.

Vous êtes déjà inscrit avec cette adresse électronique. Si vous souhaitez vous inscrire avec une autre adresse, merci de réessayer.

Cete adresse courriel a été définitivement supprimée de notre base de données. Si vous souhaitez vous réabonner avec cette adresse courriel, veuillez contactez-nous

Veuillez, s'il vous plaît, remplir le formulaire ci-dessous pour acheter:
[Title of the book, authors]
ISBN: [ISBN of the book]
Prix [Price of book]

Prénom
Nom de famille
Adresse (ligne 1)
Adresse (ligne 2) (optionnel)
Code postal
Ville
Pays
Province / État
Courriel
Téléphone (jour) (optionnel)
Notes

Merci d'avoir passé une commande. Nous vous contacterons sous peu.

Nous ne sommes pas en mesure de traiter votre demande pour le moment. Veuillez réessayer plus tard.

Classeur ()

Votre classeur est vide.

Adresse électronique:
Sujet:
Notes:
Veuillez remplir ce formulaire pour faire une demande de consultation. Une copie de cette liste vous sera également transmise.

Vos informations
Prénom:
Nom de famille:
Adresse électronique:
Numéro de téléphone:
Notes (optionnel):
Nous vous contacterons pour convenir d’un rendez-vous. Veuillez noter que des délais pour les rendez-vous sont à prévoir selon le type de matériel que vous souhaitez consulter, soit :"
  • — au moins 2 semaines pour les sources primaires (dessins et estampes, photographies, documents d’archives, etc.)
  • — au moins 48 heures pour les sources secondaires (livres, périodiques, dossiers documentaires, etc.)
...