Le chercheur en résidence Nader Vossoughian se penche sur l’urbanisme informel dans l’histoire de l’encyclopédisme, en utilisant comme étude de cas le Whole Earth Catalog :

L’histoire de l’urbanisme participatif ou informel est en général écrite du point de vue de l’histoire de la science et de la technologie. Comme le souligne Reyner Banham, ces deux inventions que sont l’automobile et le téléphone ont donné lieu à une « seconde ère des machines », c’est-à-dire à une culture d’autonomie radicale annoncée par Buckminster Fuller dans les années 1920. L’urbanisme informel doit aussi être abordé du point de vue de l’histoire de l’encyclopédisme.

Au XVIII^e siècle, Diderot et D’Alembert élaborent l’Encyclopédie afin de démocratiser l’accès à la connaissance. Tous deux ont pour but, comme le signale Diderot, « de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous ». De même, les approches participatives de planification urbaine visent à démocratiser la vie urbaine, à la rendre plus interactive, et de ce fait plus inclusive. Depuis le XVIII^e siècle, de nombreux penseurs utopistes se servent des anciennes pratiques pour atteindre cet objectif, c’est-à-dire qu’ils s’appuient sur les encyclopédies et autres outils de collecte d’information pour soutenir l’autogouvernance radicale. Dans cette présentation, je m’attacherai à une étude de cas précise, le Whole Earth Catalog, pour illustrer cette remarque.

Pierre angulaire du mouvement de contreculture américain, le Whole Earth Catalog met en relief les histoires entrecroisées de l’urbanisme et de l’encyclopédisme. S’inspirant des modèles de vente par correspondance inaugurés par L.L. Bean et d’autres, le catalogue a servi, selon le fondateur Stewart Brand, « d’outil d’évaluation et d’accès ». Il visait à autonomiser « l’individu pour que celui-ci oriente sa propre éducation, trouve sa propre inspiration, façonne son propre environnement et partage son aventure avec quiconque s’y intéresse ». Le Whole Earth Catalog permet de comprendre les aspirations qui sous-tendent la pensée de Rem Koolhaas, de l’Urban Think Tank, de Teddy Cruz et d’autres champions de l’urbanisme informel. L’ouvrage montre également comment le capitalisme moderne a transformé, au cours des cinquante dernières années, nos attitudes relatives à la vie privée et à la vie publique ainsi que celles ayant trait aux politiques et à la planification.

Nader Vossoughian est professeur agrégé d’architecture au New York Institute of Technology. Il a suivi une formation en philosophie, en études culturelles et en littérature allemande à Berkeley, au Swarthmore College, à l’Albert-Ludwigs-Universität Freiburg et à la Humboldt-Universität zu Berlin; il a obtenu une maitrise en philosophie et un doctorat en histoire et en théorie de l’architecture de la Columbia University. En 2008, il fait paraitre chez NAi un premier ouvrage intitulé Otto Neurath: The Language of the Global Polis. Il a été commissaire d’expositions au Stroom den Haag et au Museum fur Angewandte Kunst à Vienne, et de 2008 à 2010, il a été chercheur à la Jan van Eyck Academie à Maastricht. Il travaille actuellement à un projet intitulé Anarchist Utopias, dans lequel il revisite l’histoire de l’urbanisme décentralisé du point de vue de l’histoire de l’encyclopédisme.

Nader Vossoughian était chercheur en résidence au CCA en 2012.