Description

PROBLÉMATIQUE

« Où est le Saint-Laurent, mon fleuve? Il est là. On ne l’entend pas. Il est comme le cheval qui attend dans l’écurie. On ne le voit pas. Mais je sens qu’il est là, qu’il coule en faisant semblant de ne pas couler, qu’il embrasse la ville... »
Le nez qui voque, Réjean Ducharme, (Gallimard, 1967)

Interdépendances : Montréal et son fleuve

Tiohtiake, le nom autochtone pour le site de Montréal signifie « île au milieu des rapides ». Situées au confluent du fleuve Saint-Laurent et de la rivière des Outaouais, les îles de Montréal et de Laval créent trois chenaux de courants rapides descendants et se rejoignant à l’extrémité est de ces îles. Ville-Marie, la première colonie située à l’emplacement actuel de Montréal, fut établie à l’endroit le plus accessible pour les grands navires en amont du fleuve Saint-Laurent. Pendant trois siècles, l'économie de la ville fut largement dépendante de cet environnement hydrographique. En effet, la présence des rapides ne permettant pas le passage des grands navires de transport, des réseaux de bateaux de petite taille et de voies ferrées se développent à partir de Montréal à travers tout le continent.

Les formes de l’eau : glaces et crues

L'île de Montréal habitée par les premiers colons était une riche plaine agricole entourée par le fleuve, traversée par des ruisseaux, parsemée de marécages et dominée par le Mont-Royal. En hiver, la neige et la glace caractérisent le paysage de la ville, recouvrant l'île d’une couverture blanche pendant quatre mois. Le fleuve devient lui-même une surface de glace, créant ainsi un pont éphémère vers la rive au sud du Saint-Laurent. Au printemps, d’énormes morceaux de glaces forment des barrages et s’accumulent dans le fleuve coulant vers le nord faisant temporairement augmenter le niveau de l'eau et inondant les zones les plus basses de la ville telles que Griffintown et Pointe-St-Charles.

La disparition de l’eau en ville

Peu à peu, l'accès au fleuve fut transformé par l'infrastructure du port industriel et le fleuve fut perçu comme une sorte de « chemin de fer liquide » dissocié du vocabulaire de l'urbanisme du début de la modernité. Le fleuve servait d’égout à ciel ouvert absorbant et diluant les déchets et les effluents de la métropole alors en pleine croissance. Par ailleurs, les ruisseaux et les zones humides de l'île sont perçus de plus en plus comme des obstacles à l'urbanisation et comme risque pour la santé publique et sont drainés, canalisés dans des fossés alignés sur la grille des rues en développement et finalement enterrés dans un réseau d'égouts sous-terrain. L’eau disparait finalement de l'environnement urbain et de la conscience de ses citoyens.

Reconnecter la ville et son fleuve

Avec l'ouverture de la nouvelle Voie maritime en 1959 permettant l’accès aux Grands Lacs pour le transport maritime et contournant l'obstacle de l’île de Montréal, la raison d'être géographique et commerciale de Montréal s’affaiblit fortement. Or, à partir de la seconde moitié du 20e siècle, la connexion entre le fleuve Saint-Laurent et la ville, entre les Montréalais et de l'eau, émerge comme un thème récurrent dans la planification régionale et municipale pour devenir un enjeu public pour le développement de la ville post-industrielle. Ce changement d'attitude est illustré de façon éloquente avec l’exposition universelle, Expo 67, implantée sur une série d'îles structurée par un réseau de canaux artificiels. De même, les intentions ambitieuses et encore inexploitées du « Projet Archipel » à la fin des années 1970 sont un tournant dans la perception du bassin versant de la région de Montréal. Attendue depuis longtemps, la construction d'une installation de traitement des eaux usées au début des années 1980 contribue à l’amélioration significative de la qualité de l'eau de du fleuve. Poursuivant dans cette optique, le réaménagement des berges du canal de Lachine en parc-promenade urbain en 1978 ainsi que la réouverture du canal à la navigation en 2002, le réaménagement très populaire du Vieux-Port en espace public dans les années 1980 et 1990, et le débat en cours sur l'accès au secteur riverain et le réaménagement de la rue Notre Dame Est sont également des exemples parmi les autres de facteurs de renouvellement de la perception du fleuve par les Montréalais. L’accès au fleuve a également été considérablement amélioré avec le développement des rives du fleuve tout au long des secteurs de Verdun à Lachine ainsi que d'un réseau de « parcs nature » donnant accès aux bords du fleuve tout autour de l'île. Les rares zones humides et les ruisseaux restants sont désormais soumis à une législation très stricte.

Les enjeux actuels

L'état des infrastructures d'approvisionnement et de traitement des eaux est également un sujet préoccupant. Le système d'égout composé d’un système combiné d'égouts sanitaires et de récupération des eaux de pluie typiques des villes nord-américaines plus âgées est vieillissant et incapable d'accueillir l'augmentation des précipitations résultant du changement climatique. Partout dans le monde, les villes côtières sont confrontées aux conséquences de la hausse du niveau de la mer et en particulier lors de réaménagement des anciens ports industriels. Les défis techniques, logistiques et économiques pour la création d’une infrastructure capable de supporter ces changements dramatiques ont donné naissance à de nouvelles façons de penser les infrastructures - sous forme de paysage, d’aménagement public et en réseau.

Il semble malgré tout que l'eau soit encore un élément étranger à l'environnement urbain, car elle est encore considérée comme une ressource exceptionnellement abondante prise pour acquise ou une nuisance qui doit être éliminée aussi rapidement que possible. Entourés d'eau sur tous les côtés, entourés par la neige près de la moitié de l'année et accablée par des infrastructures vieillissantes et complexes à gérer, nous choisissons généralement d'ignorer le potentiel de l'eau pour l’enrichissement de l'expérience de la ville et de l'environnement.

LE SITE : les quartiers Sainte-Anne et Saint-Gabriel (Griffintown et Pointe-Saint-Charles)

La Charrette porte cette année son attention aux quartiers Sainte-Anne et Saint-Gabriel comme site d’expérimentation et point de départ. Ces deux quartiers sont délimités par la rue Notre-Dame au nord, la rue McGill à l'est, la sortie du canal de l'Aqueduc (aujourd’hui devenu l'autoroute 20) à l'ouest et le fleuve Saint-Laurent au sud. Le site de cette Charrette comprend donc Griffintown et Pointe-Saint-Charles, le canal de Lachine et la jetée Mackay (Cité du Havre). Ces quartiers sont situés presque entièrement sous la ligne de contour topographique des 17 mètres.

La relation entre le développement urbain et l'eau a défini le paysage de ces quartiers depuis plus de 300 ans :

  • le marais naturel, riche en espèces d’oiseaux et vie animale, a servi de terrain de chasse aux autochtones jusqu'au milieu du 19e siècle ;
  • les méandres de la Rivière Saint-Pierre s’enroulant sur la pente ouest du Mont-Royal se prolongent en dessous de la Falaise Saint-Jacques et l’un de ses bras se jette dans le fleuve Saint-Laurent au pied du pont Champlain actuel et un autre à Pointe-à-Callière ;
  • l'ouverture du canal de Lachine en 1825, offrant une voie de contournement autour des rapides et fournissant l'énergie hydraulique qui a participé au développement du coeur industriel du Canada et des quartiers environnants au 19e siècle ;
  • la construction du pont Victoria en 1859, le développement des ateliers de la Grand Trunk et du Goose Village ou Victoriatown à partir des années 1860, un village riverain de 300 maisons construites au nord du pont Victoria puis démolies pour faire place à l'entrée de l'Expo 67 un siècle plus tard ;
  • les inondations des années 1880, et en particulier la crue de 1886 qui a atteint la hauteur de 17m et s'étendant jusqu'à square Chaboillez et au pied de Beaver Hall Hill (décrit de manière si évocatrice par Jane Urquhart dans son roman « Away » ) ;
  • la construction ultérieure de la digue de St-Gabriel et la « Guard Pier » (Mackay Pier ou la Cité du Havre) en 1890.

Pendant le 20e siècle, le dépôt des déchets et des remblais dans le fleuve au pied de la Pointe-St-Charles jusqu'au moment de l'ouverture de l'Expo 67, a créé une barrière de presqu’un kilomètre de large d'enfouissement de substances toxiques entre le quartier résidentiel et le fleuve, coupant ainsi la population de tout contact avec le fleuve. L'expansion de la gare de triage du CN pendant la Seconde Guerre mondiale, la construction des jetées Bickerdike et Windmill Point ainsi que l'ouverture de l'autoroute Bonaventure au bord du fleuve ont affirmé cette séparation en faveur d’infrastructures lourdes de transport et portuaire.

Contrairement à l’accroissement de l'accessibilité et de la présence de l'eau dans d'autres quartiers de Montréal depuis quelques décennies, l'appropriation de l'eau dans Griffintown et Pointe-St-Charles est restée timide, presque exclusivement limitée à la transformation du canal de Lachine. En définitive, le canal contribue peu à l’amélioration de la qualité de vie des quartiers adjacents. Son influence, ne se prolonge pas plus de quelques mètres au-delà du corridor de la promenade. À une échelle complètement différente, la pratique du surf sur la « standing wave » (vague stationnaire) sur les rapides près de la Cité du Havre au-dessous d’Habitat 67 est une appropriation du fleuve audacieuse et exotique, bien que marginale.

Les nouveaux projets de réaménagement dans Griffintown et Pointe-St-Charles abondent. Au moins 5000 nouvelles unités de logement démontrent l'attrait que suscite la vie à proximité du canal et de l’eau :

  • la première phase du réaménagement de l’autoroute Bonaventure, dont 500 unités de logement;
  • un projet à Griffintown plus modeste, pour un minimum de 1375 appartements dans quatre bâtiments près du canal entre Wellington et le viaduc de la voie ferrée ;
  • le projet « Bassins du Nouveau Havre » sur le site de l’ancien tri postal de Postes Canada, comprenant 2000 unités ou plus;
  • le réaménagement des terrains du CN avec 800 appartements et de nouvelles installations pour l’entretien des trains de banlieue de l'AMT;
  • les rénovations de l'édifice Nordelec et les propriétés adjacentes incluant 1200 appartements;

L’eau joue un rôle structurant parmi certains de ces projets, tels que :

  • les phases à venir du projet de réaménagement de l'autoroute Bonaventure destiné à dégager le bord de fleuve;
  • le réaménagement de Griffintown crée une vocation urbaine importante qui bénéficiera à la réouverture du bassin Peel dans le canal;
  • les bassins du Nouveau Havre proposent une relation intime entre l'eau, le logement urbain et le canal de Lachine grâce à la réouverture des bassins d'origine pour gérer les eaux de ruissellement redirigées vers le canal;
  • des infrastructures de gestion de l'eau sont prévues pour le réaménagement du quartier Griffintown y compris une installation de rétention de 25 000 m3 d’eaux pluviales sur la rue William, entre les rues de la Montagne et McGill.

Pour l'instant, ces quartiers restent coupés des rives du fleuve tel un chaînon manquant pour l'accès public aux promenades des berges entre le quartier Lachine et le quartier du Vieux-Port. En dépit d’une longue et intime relation avec l'eau, les environnements urbains de Griffintown et de Pointe-St-Charles sont chauds et secs, recouverts de béton, d’asphalte et de gravier, déconnecté du fleuve et du canal - un désert urbain entouré par l'eau.

LE DÉFI

« Nous pensons souvent l’eau comme un produit. Nous oublions que c’est un milieu vivant et que nous faisons partie de cet écosystème. Nous sommes faits à 70 % d’eau et 45 % des Québécois boivent l’eau du fleuve. Il n’y a pas de frontière entre l’écosystème du Saint-Laurent et notre organisme. Son eau coule dans nos veines »

Karel Mayrand, directrice générale de la fondation David Suzuki au Québec

La Charrette 2011 sollicite votre créativité pour des propositions qui visent à établir une nouvelle relation entre l'eau et la vie en ville, incitant à penser à des façons novatrices d'imaginer et de célébrer la présence d'eau dans l'environnement urbain et la vie quotidienne de Montréal. La Charrette lance le défi aux participants de proposer des interventions architecturales, urbaines, paysagères et encore de l’ordre de l’installation publique qui nous amèneraient à reconsidérer la présence de l’eau dans la ville - en tant que responsabilité civique, service et équipement, moyen de divertissement, infrastructure publique ou encore comme oeuvre d'art, et ce à n’importe quelle échelle.

Les soumissions seront évaluées sur la base de leur originalité et de leur créativité :

  • en établissant la présence de l'eau comme un élément structurant du projet et en tant que partie intégrante de la vie en ville;
  • en répondant aux préoccupations environnementales et écologiques, en particulier à l'égard de l'eau;
  • en montrant comment l’eau peut générer des infrastructures civiques, un espace public ou un paysage urbain;
  • en interprétant les besoins et les aspirations de la vie urbaine contemporaine;
  • en reflétant le contexte spécifique physique, culturel et environnemental de Griffintown et Pointe-Saint-Charles.

Illustrations de la problématique

Documents

Cartes du secteur Griffintown et Pointe-St-Charles

1903-1904 (.jpg)
Aujourd’hui (.dwg)
Aujourd’hui (.pdf)

Topographie du site

Carte (.dwg)
Légende de la carte (.pdf)