PROBLÉMATIQUE
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Description
Introduction
En août 2020, la statue de John A. Macdonald, 1er premier ministre du Canada, a été renversée de son piédestal sis au sein d’une architecture élaborée de dix-huit mètres de haut érigée en 1895 au square Dominion, à Montréal (renommé depuis place du Canada). Cette statue compte parmi les nombreux monuments déboulonnés dans le monde entier à la suite du meurtre de l’Afro-Américain George Floyd, les défenseurs de la justice raciale s’élevant contre la présence dans les lieux publics de monuments dédiés à des dirigeants dont le parcours a été marqué d’actes ouvertement racistes. La statue de Macdonald repose actuellement dans un entrepôt de la Ville de Montréal, sans aucun plan quant à ce qui devrait être fait sur le site où elle se trouvait.
Dans ce contexte, le groupe Après Macdonald, composé de créateurs, de chercheurs et de professionnels montréalais intéressés par la représentation publique du passé, a été formé à la fin de 2020. Il veut encourager la réflexion sur la façon dont l’espace qu’occupait le monument à Macdonald ou ce qui l’entoure pourrait être réaffecté à la mise en place d’installations temporaires. La liste des membres du groupe se trouve à la fin du présent document.
Dans le cadre de l’édition 2021 de la Charrette du CCA, les participantes et participants sont invités à proposer des interventions artistiques temporaires touchant à l’héritage de Macdonald ou à des questions de justice raciale en général. Dans les sections qui suivent, les participants trouveront plus d’information sur la carrière de John A. Macdonald, ainsi qu’un aperçu de l’intérêt particulier de la Charrette pour la présentation d’interventions éphémères.
Macdonald
Le monument à John A. Macdonald à Montréal est l’un des nombreux monuments érigés dans des lieux incontournables partout au pays, le Canada ayant tenu à célébrer publiquement la vie des hommes de pouvoir. C’est dans le même esprit qu’ont été érigés, au tournant du xxe siècle, des monuments aux dirigeants des États confédérés du sud des États-Unis, ou encore au marchand d’esclaves Edward Colston, en Angleterre.
Dans tous ces cas, des personnages puissants du passé ont été glorifiés dans l’espace public à la suite de campagnes menées par des individus qui estimaient que leur propre place dans la société profiterait de la construction de la mémoire collective. Ce pont entre passé et présent s’est avéré d’autant plus évident dans le sud des États-Unis lorsque les dirigeants de l’ère des lois Jim Crow entravant l’exercice des droits constitutionnels des Afro-Américains (1877-1964) ont trouvé de l’intérêt à célébrer la mémoire des héros confédérés pour renforcer leur domination. L’érection du monument à Macdonald à Montréal fut quant à elle une initiative de chefs d’entreprise à qui profitait l’économie transcontinentale que Macdonald avait soutenue, notamment par la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique.
Dans l’hommage à Macdonald, rien n’est dit des politiques ouvertement racistes qu’il a fièrement introduites. En ce qui concerne les Autochtones, il préconisait l’assimilation, notamment par la création des pensionnats indiens. Lorsque cela n’était pas possible, il n’hésitait pas à utiliser la force de l’État, comme il le fit en 1885 en orchestrant l’exécution de Louis Riel, chef métis d’une rébellion sur le territoire qui est devenu la Saskatchewan. Afin de souligner cette décision de Macdonald, des manifestantes et manifestants ont décapité sa statue à Montréal en 1992, à l’occasion de l’anniversaire de la pendaison de Riel.
En ce qui concerne les autres Canadiens racisés, Macdonald n’a pas cherché à les assimiler : il a plutôt opté pour l’exclusion. Il a par exemple introduit une loi qui retirait aux Canadiens d’origine chinoise leur droit de vote, puis fait adopter d’autres lois limitant l’immigration en imposant une taxe d’entrée à chaque nouvel arrivant chinois. Si des hommes comme Macdonald sont parfois pardonnés pour leurs actions parce qu’elles étaient « normales » à l’époque, il avait une longueur d’avance sur le plan de ses politiques envers les Canadiens d’origine chinoise. L’historien Timothy Stanley a montré que « dans tous les débats sur le droit de vote et l’immigration chinoise, Macdonald a été le seul membre du Parlement à faire référence à la race aryenne au Canada et à affirmer l’incompatibilité génétique des Asiatiques de l’Est et des Anglo-Européens ». Au vu de ce bilan en matière de racisme, il n’est guère surprenant que le monument de Macdonald soit devenu un pôle d’attraction pour les défenseurs de la justice raciale au cours de l’été 2020, tout comme les monuments à la mémoire de Colston, à Bristol en Angleterre, ou du président des États confédérés d'Amérique, Jefferson Davis, à Richmond en Virginie.
L’art public éphémère
Une réponse au démantèlement des monuments aux « héros » du passé a été de proposer leur remplacement par de nouvelles structures permanentes en hommage à des modèles plus appropriés. Cependant, relancer le processus d’installation de monuments intemporels laisserait croire – comme c’est le cas des vieilles statues – que notre compréhension du passé est fixe et immuable.
En réalité, comme nous l’avons vu dans le cas de Macdonald, la perception générale d’un individu peut changer avec le temps, ce qui nous a amène, dans le cadre de cette Charrette, à inviter les participantes et participants à proposer des installations temporaires. Le mot clé ici est temporaire, terme adopté par l’historien de l’art et de l’architecture américain Kirk Savage, qui a vu dans les installations éphémères un moyen de « changer notre façon de penser le paysage mémoriel et d’encourager un dialogue ouvert plutôt que d’entretenir la quête impossible d’une identité nationale immuable [...] Plus de voix trouveraient un espace d’expression. Une sphère mémorielle plus transparente et plus démocratique pourrait ainsi s’épanouir ».
Il s’avère qu’un exemple de ce type d’installations temporaires se trouve sur la place de Trafalgar Square à Londres, où quatre socles ont été érigés au XIXe siècle à la mémoire de personnages qui ont contribué à la gloire du passé impérial. Des statues honorant un monarque et deux militaires ont été érigées sur trois des socles. En raison d’un manque de financement, le quatrième socle est resté vacant jusqu’en 1988, date à laquelle un ambitieux programme de projets artistiques temporaires a été lancé. Depuis plus de trente ans, le programme désormais connu sous le nom de Fourth Plinth Commission présente divers types de projets artistiques sur le quatrième socle, dont des œuvres performatives, ce qui fait du site une attraction touristique majeure.
Invitation
À la lumière de notre perception changeante de la vie de Macdonald et des avantages découlant du fait de créer des monuments commémoratifs éphémères, nous appelons les propositions d’interventions temporaires en lien avec le socle inoccupé du monument à Macdonald ou avec le site qui l’entoure, dans une perspective de remise en question l’idée de mémoire collective permanente. Les interventions peuvent porter sur l’héritage de Macdonald en particulier ou sur des questions de justice raciale en général, et recourir à des approches architecturales comme à des médias temporels et performatifs. Les projets soumis doivent tenir des comptes des identités personnelles des membres de chaque équipe: Comment justifiez-vous votre intervention ? Quel rapport personnel entretenez-vous avec l’histoire à laquelle vous faites référence?
Le groupe Après Macdonald
Annmarie Adams, Ph. D., professeure à l’École d’architecture et au Département de sciences sociales en médecine de l’Université McGill
Taïka Baillargeon, directrice adjointe aux politiques chez Héritage Montréal
Peter Gossage, Ph. D., professeur au Département d’histoire de l’Université Concordia
Cynthia Hammond, Ph. D., professeure au Département d’histoire de l’art de l’Université Concordia
Sandra Margolian, responsable de l’art public à l’Université Concordia
Nadia Myre, professeure adjointe et titulaire de la chaire de recherche du Canada en pratique de l’art autochtone au Département des arts plastiques de l’Université Concordia; directrice de Kìnawind Lab
Juan Ortiz-Apuy, professeur adjoint au Département des arts plastiques de l’Université Concordia
Ronald Rudin, Ph. D., professeur émérite au Département d’histoire de l’Université Concordia ; coordonnateur du groupe Après Macdonald
Ipek Türeli, Ph. D., professeure adjointe à l’École d’architecture de l’Université McGill et titulaire de la chaire de recherche du Canada en architecture de la justice spatiale
Laurent Vernet, consultant en art public, chercheur invité au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal
Suggestions de lecture
John A. Macdonald et ses monuments
Plans et photos du site Après Macdonald
Monument Macdonald vue 360 degrés
Hill, Charles C., George Wade's Monuments to Sir John A. Macdonald, Journal of Canadian Art History / Annales d'histoire de l'art Canadien , 2001, Vol. 22, No. 1/2 (2001), pp. 6-25.
"La statue de John A. Macdonald déboulonnée à Montréal," La Presse, 29 août 2020.
Rudin, Ronald, "How Montreal Should Repurpose the Monument to Macdonald," Montreal Gazette, 8 January 2021.
Russell, Emily. "This Founding Father's Legacy Is Darker than Some Canadians Care to Remember," The World, 4 December 2018.
Stanley, Timothy. "John A. Macdonald, 'the Chinese' and Racist State Formation in Canada," Journal of Critical Race Inquiry, Vol 3, No 1, 20 February 2017.
Stanley, Timothy, "John A. Macdonald' Aryan Canada: Aboriginal Genocide and Chinese Exclusion," Active History, 7 January 2015.
Déboulonnement des monuments
New York Times, 11 June 2020: Protesters Topple Statue of Jefferson Davis on Richmond’s Monument Avenue
Washington Post, 7 June 2020: British Protesters Topple Edward Colston Statue
Installations éphémères
CBC Radio, Unreserved, 2 October 2020: "Indigenous Women Stand Where Columbus Statue Once Stood in Powerful Photo" (audio file)
Gormley, Antony, One and Other (Performative Art on the Fourth Plinth)
Mayor of London, The Fourth Plinth
Phillips, Patricia. "Temporality and Public Art," in Critical Issues in Public Art," Art Journal , Winter, 1989, Vol. 48, No. 4, 331-35.
Savage, Kirk. "What Kind of Monuments Do We Want," +Art, 14 July 2020.
Young, James, "Memory and Counter-Memory," Harvard Design Magazine, No. 9.