Un paysage en constante évolution
Une introduction à Espaces oscillants
Espaces oscillants explore le glacier du Rhône – en proie à des processus de fonte et de transformation rapides – comme étude de cas pour réfléchir aux défis environnementaux dans un site en constante oscillation. Nous publions ci-dessous des extraits adaptés du texte de l’exposition pour présenter la région, illustrés par des images tirées d’un film réalisé en 1989 par Aufdi Aufdemauer à partir de séquences filmées lors d’une visite sur le site de l’Hôtel Furkablick.
Le col de la Furka est situé haut dans les Alpes suisses, dans un paysage aride où les arbres cèdent la place à des prés alpins, composés de sols rocailleux et d’éléments caractéristiques des zones glaciaires. Les rudes conditions de haute altitude façonnent cet environnement saisissant à la beauté sauvage. En conséquence, le col de la Furka connait un double rythme. Du solstice d’été à l’équinoxe d’automne, il est animé par l’afflux de résidents et de touristes. En revanche, pendant les huit mois de la saison hivernale, il est recouvert de neige et inaccessible. Longtemps considéré comme un espace de connexion, le col montagneux, qui permet d’accéder au glacier du Rhône, trace un pont entre le savoir humain et les forces de la nature.
Au XIXe siècle, alors que les glaciers alpins commencent à reculer de manière significative, le glacier du Rhône devient le site de la première cartographie scientifique systématique de Suisse. Dans ce qui devient une vocation, les premiers cartographes ont enregistré la topographie changeante du glacier, bravant souvent des conditions extrêmes pour en garantir la précision. Les cartes ainsi obtenues ne représentent pas seulement la topographie du glacier à un moment précis, mais capturent également ses déplacements et oscillations sur un quart de siècle. Ces cartes ont servi de fondement à la science alpine moderne et ont contribué à la compréhension de la géographie de la Suisse.
Deux siècles plus tard, le glacier du Rhône continue d’être un lieu d’investigations scientifiques, bien que les priorités en matière de recherche se soient déplacées de la cartographie vers le suivi des transformations. Le recul du glacier, autrefois à peine perceptible, s’est visiblement accéléré. Les chercheurs continuent de documenter la diminution de la couverture glaciaire, l’instabilité du pergélisol et le mouvement des formations rocheuses. Ils comparent les changements locaux aux profils climatiques mondiaux. Le glacier du Rhône et le col de la Furka sont à la fois un marqueur historique de découvertes scientifiques et un site critique dans le dialogue continu entre paysage, données scientifiques et responsabilité environnementale.
En plus de stimuler la curiosité scientifique, l’infrastructure du col de la Furka lui a également permis de devenir un pôle culturel. À l’époque romaine, le col de la Furka servait de voie commerciale en été, et vers 1800–1850, il devient une destination pour les artistes romantiques attirés par ses paysages spectaculaires. En 1868, le voyage de la reine Victoria au col de la Furka et au glacier du Rhône a marqué la naissance du tourisme de masse. Les voyageurs d’autrefois arrivaient à cheval ou en diligence – des moyens de transport lents, mais pittoresques. Avec l’introduction du CarPostal au début du XXe siècle, puis de la voiture, les zones éloignées sont devenues plus accessibles, ce qui a favorisé une croissance régulière des visiteurs.
Les années 1980 et 1990 ont été une période de transformation pour le col de la Furka et son histoire culturel, lorsque le rôle de l’art et l’architecture a été influencé par la vision de Marc Hostettler, directeur de la Galerie Éditions Média de Neuchâtel, en Suisse. Conscient de l’importance historique du col et de son potentiel en tant que lieu pour un dialogue contemporain, celui-ci lance Furkart, un programme de résidences pour artistes. Il a invité des artistes internationaux à s’inscrire dans la topographie et l’histoire culturelle uniques des Alpes. Entre 1983 et 1999, soixante-trois invités se sont rendus au col de la Furka. Ils y ont créé des œuvres qui ne se limitaient pas à une expression esthétique, mais constituaient plutôt des interventions in situ remettant en question les frontières entre nature, infrastructure et pratique artistique.
En 1986, Hostettler a invité Rem Koolhaas, cofondateur d’OMA, à redessiner l’entrée, le restaurant et le terrasse de l’Hôtel Furkablick. L’intervention devait être minimale : créer un espace pour accueillir les artistes en résidence à la Furkart, ainsi que des visiteurs durant la journée. Pour présenter le site, Hostettler a organisé une visite hivernale de l’hôtel en hélicoptère, alors qu’il était recouvert d’une épaisse couche de neige. Le groupe de visiteurs dont Rem Koolhas faisait partie comptait également Marc Hostettler, Jeroen Thomas, Luc Reuse, Aufdi Aufdermauer et le pilote. Les images de cette vidéo offrent une vue rare du Furkablick couvert de neige, avant l’intervention d’OMA. Elles montrent le col de la Furka pendant la saison froide, lorsque la route de montagne est fermée à la circulation, dominée par la neige et l’absence d’humains. Après avoir atterri sur le site enneigé le matin, Hostettler et Koolhaas ont commencé à concevoir le projet et ont ensuite dîné dans l’ancienne dépendance de l’hôtel, le tout documenté par Aufermauer.
La rénovation de l’Hôtel Furkablick et projets similaires, qui combinent des expérimentations architecturales et artistiques, ont transformé le col de la Furka en un lieu d’engagement intellectuel et de vitalité artistique. La région est passée d’une destination pittoresque à un lieu où l’art et l’architecture contemporains sondent la relation entre l’intervention humaine et la nature, traitant ainsi de préoccupations culturelles et environnementales plus larges.
Espaces oscillants a été organisée par Anneke Abhelakh et se déroule du 25 avril au 26 octobre 2025.