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Taqralik Partridge s'entretient avec Rafico Ruiz et Ella den Elzen sur l'importance des maisons et du territoire pour les Inuits

ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ / Ruovttu Guvlui / Vers chez soi a été conçu conjointement par Joar Nango, Taqralik Partridge, Jocelyn Piirainen et Rafico Ruiz, avec Ella den Elzen comme assistante curatoriale. Nous avons également publié entretiens avec Nango et Piirainen. L’exposition est actuellement présentée dans nos Salles principales jusqu’au 12 février 2023.

RR
Quel sens a le mot angirramut (ᐊᖏᕐᕋᒧᑦ) pour vous? Dans le cadre du projet du CCA, nous le traduisons par « vers chez soi », mais c’est probablement une traduction imparfaite. Si nous nous attachons à sa signification en inuktitut, que signifie-t-il pour vous?
TP
Effectivement, cela signifie « vers chez soi », de la même manière que lorsqu’on se demande où on va, on va vers chez soi. On peut dire ça. Mais quel sens il a pour moi? Angirramut est un terme très chaleureux. Il représente aussi quelque chose qui préoccupe souvent les Inuits et les Autochtones : que signifie la « maison » quand on vit dans une patrie qui continue d’être marquée par la colonisation?
RR
Pourquoi est-il important pour vous que le premier espace de l’exposition soit un porche? Y a-t-il un type particulier d’odeur ou d’émotion qui se dégage du porche auquel vous pensiez?
TP
Pour moi, le porche permet aux visiteurs d’entrer dans nos mondes – les mondes des co-commissaires autochtones – et de se sentir accueillis, en ayant l’impression d’entrer dans un espace différent de celui auquel ils s’attendent dans un bâtiment qui ressemble au CCA.

Je tiens aussi à souligner que le porche est un espace important dans les maisons du Nord. Je veux que les Inuits ou les Samis se reconnaissent dans cet espace, dans les objets qui s’y trouvent. Tout ce que le porche contient est véritablement utile, mais il y a aussi des souvenirs dans ces espaces : les odeurs de peau de phoque, de peau de caribou, de chien ou même de vieilles chaussures. Il y a l’odeur du mélange de carburant pour les motoneiges. Quand quelqu’un arrive du froid et qu’il sent l’échappement d’une motoneige, c’est quelque chose de réconfortant. C’est la maison.
RR
En relation avec la notion du porche, je me demande si vous pourriez nous parler de votre propre travail de commissaire qui met l’accent sur la fabrication de lieux et d’espaces, deux moyens essentiels pour souligner le travail des artistes inuits et samis dans le projet. En quoi la dimension de fabrication est-elle déterminante pour vous?
TP
Je veux amener des artistes et des membres de communautés autochtones dans des espaces qui ne sont pas et n’ont jamais été accueillants pour nous, afin de les rendre accessibles aux Inuits et aux autres peuples autochtones. Chaque fois que j’ai l’occasion de participer à quelque chose, j’aime amener des gens avec moi et favoriser le partage des opportunités avec d’autres personnes. Et je ne suis pas la seule à le faire : beaucoup de personnes se comportent de cette manière.

Taqralik Partridge, 2022. Photographie © Taqralik Partridge

RR
Une des particularités de cette exposition est qu’elle comporte de nombreuses installations qui traitent d’espaces physiques existants situés ailleurs : l’installation de Geronimo Inutiq, une sorte de paysage-mémoire, s’inspire des lieux réels d’Iqaluit qu’il a connus dans son enfance, et l’installation d’asinnajaq est une tente nomade qui implique une relation particulière à la terre. Votre démarche curatoriale consistait-elle ici à inviter des installations qui abordent la question de ce que créer l’espace signifie?
TP
Tout d’abord, j’ai beaucoup de respect pour les artistes que sont Geronimo et asinnajaq et j’aime leur travail. Pour Geronimo, je m’identifie vraiment à ce qu’il évoque parce que j’ai aussi vécu à Iqaluit quand j’étais enfant. J’ai habité dans le même lotissement que celui qu’il présente dans certaines de ses œuvres, et j’y suis allée à l’école; c’était aussi un volet important de mon enfance. Voir ce genre de souvenirs représentés dans une grande exposition, pour moi, oui, il fallait absolument le montrer. Il faut que cette vie et cette représentation de la communauté soient suffisamment valorisée pour être présentées dans une exposition d’envergure.
RR
Vous avez aussi conçu une installation en collaboration avec Laakkuluk Williamson Bathory pour l’exposition. Pourquoi vouliez-vous montrer une conversation en direct entre avec Laakkuluk et qu’est-ce qui vous a amenée à opter pour ce type de dispositif dans l’espace de l’exposition?
TP
C’était vraiment l’idée de Laakkuluk. Nous l’avons d’abord approchée en raison d’une pièce dont elle est l’autrice – une pièce individuelle qu’elle avait écrite pour être jouée pendant le confinement, et qui portait sur les espaces intermédiaires, sur les Inuits construisant des maisons de fortune pour faire face à la pénurie de logements et aux effets du colonialisme. Lorsque nous avons parlé de ce qu’elle aimerait faire, en lui laissant carte blanche pour toutes ses idées, elle a insisté sur le fait qu’elle voulait faire quelque chose en conversation avec moi. La pratique de Laakkuluk repose fondamentalement sur la collaboration. Elle intègre systématiquement la collaboration à chaque œuvre qu’elle réalise, et elle s’assure toujours très clairement que les personnes avec qui elle collabore reçoivent aussi tout le crédit de l’œuvre. Elle est très généreuse en tant qu’individu et dans son travail aussi. C’est comme si elle considérait son travail comme un cadeau pour son public ou pour quiconque en fait l’expérience.
RR
Au-delà de votre rôle de commissaire de l’exposition et de cette installation, il y a également des photographies de vous dans la galerie. Comment décririez-vous votre travail de photographe, de manière générale et en relation avec ces œuvres?
TP
Je crois que les images attendent l’artiste ou le photographe. C’est la même chose pour n’importe quel médium. Les sculpteurs inuits ont souvent dit que lorsqu’on travaille un morceau de pierre, on ne fait que révéler ce que la pierre voulait être. On doit être à l’écoute de la pierre. Et cela s’applique à toute pratique créative, y compris pour moi. J’aime à dire que la raison pour laquelle il y a tant d’artistes inuits est que nous avons une culture qui attend de chaque personne qu’elle effectue un travail créatif. Cela fait partie de la survie dans un environnement où les ressources sont limitées : il faut tout utiliser. Mais c’est aussi une valeur que nous cultivons.

Je parlais récemment avec quelqu’un de la façon dont les artistes non autochtones essaient de s’éloigner des silos disciplinaires et – sans vouloir dire que tout ce que nous faisons en tant qu’artistes ou personnes autochtones doit s’opposer à ce que font les autres – nous n’avons jamais vraiment été dans ces silos. Nous avons toujours résisté à l’idée qu’on nous nous y enferme. Si l’on pense à Tanya Tagaq, par exemple : c’est une chanteuse de gorge célèbre et expérimentale, elle a fait une école d’art, c’est une peintre magnifique. Elle décide d’écrire un livre, devient une autrice primée, et tout cela parce qu’elle a cette force créatrice; elle se donne la permission de créer dans n’importe quel médium qui lui convient.

Lorsque je donne des ateliers d’écriture créative, je commence en général par dire : « Je vous donne la permission d’écrire quelque chose », car parfois les gens ont juste besoin d’entendre cela. Qu’ils ont la permission de créer. Vous n’avez pas besoin d’être le meilleur; vous n’avez pas besoin d’être célèbre. Il suffit de le faire.

Taqralik Partridge, 2022. Photographie © Taqralik Partridge

Taqralik Partridge, 2022. Photographie © Taqralik Partridge

RR
Cette pratique de l’écoute en tant que photographe est particulièrement intéressante et puissante. Je me demande ce que cela signifiait pour vous en particulier d’écouter ces « espaces jetables » – pour utiliser vos propres mots – et comment vous pouvez en quelque sorte les entendre.
TP
Pour moi, fabriquer des choses, c’est utiliser les matériaux que l’on a sous la main. C’est une valeur très inuk, celle d’utiliser tout ce que l’on a et de ne pas gaspiller. Et je pense que mon attitude envers la photographie est similaire. J’utilise mon téléphone portable, par exemple, et je sais que beaucoup d’autres photographes dédaigneraient ça complètement, mais pour moi, l’appareil qu’on a sous la main est le meilleur appareil. J’aime l’art que l’on peut faire sans argent. Le spoken word (mot parlé), par exemple, me plaît parce qu’il n’y a n’a pas besoin d’argent pour le faire. On n’a même pas besoin d’un ordinateur.

Quand j’ai commencé à pratiquer le spoken word, je me sentais tellement inspirée pour écrire que j’écrivais même sur des serviettes de table. Ou sous la douche, sans même un stylo. Il y a aussi le travail des perles, par exemple. J’ai fait un travail pour la Biennale de Sydney et j’ai pris soin d’énumérer tous les matériaux que j’avais utilisés, non pas parce que je me souciais vraiment de ce que le public pensait, mais parce que je voulais que d’autres Inuits voient que cet objet que j’ai fabriqué et qui est allé en Australie a été fait avec du fil dentaire. Et aussi qu’il a toujours de la valeur, qu’il a assez de valeur pour faire partie d’une exposition.

En ce qui concerne les photos, j’aime voir ce qu’il y a de beau dans les endroits moches ou dans les endroits où je me retrouve. Certaines des meilleures photos proviennent d’endroits qui ne sont pas nécessairement considérés comme beaux.
RR
Comment définissez-vous un espace jetable?
TP
C’est vraiment dommage, mais l’attitude humaine envers la terre consiste souvent à considérer celle-ci comme jetable. Elle est là pour la consommation, et c’est sa seule utilisation. Il arrive même que ce raisonnement s’applique aux espaces que nous jugeons beaux et dignes d’être préservés. C’est un point de vue de consommateur, cette façon de voir ces espaces au lieu de reconnaître que la terre est précieuse, qu’elle a besoin d’être protégée et entretenue. Selon cette vision du monde, les espaces à jeter sont des espaces qui ne sont pas assez importants pour être conservés à un certain niveau de beauté. Leur seule fonction est de relier des espaces plus importants; sinon, on les oublie. Comme le parc Atwater, juste à côté du CCA, ou quel que soit le nom du parc – comment s’appelle-t-il? Celui d’Atwater?
RR
Square Cabot, malheureusement.
TP
Square Cabot. Pas étonnant que je l’aie oublié. Pendant beaucoup, beaucoup, beaucoup d’années, ce parc n’était rien. Il était juste mort. J’ai vécu durant des années à Montréal et j’avais l’habitude d’emmener mes enfants à l’hôpital des enfants qui est situé là-bas, mon travail se trouvait à Westmount, et personne ne se souciait vraiment de ce genre d’espace étrange. Mais tout comme le rond-point Dorval dans l’Ouest de l’île, il s’agit de l’espace temporel que les Inuits occupent dans le couloir de déplacement du Nord au Sud. Et je m’intéresse à la façon dont les Inuits occupent ces espaces interstitiels.

Taqralik Partridge, 2022. Photographie © Taqralik Partridge

EdE
En regardant vers l’avenir, que voudriez-vous que les visiteurs ou le public retirent de cet univers ou de l’expérience d’entrer dans l’exposition? Quelle est la chose la plus importante à retenir?
TP:
Eh bien, pour les Inuits et les autres peuples autochtones, je veux qu’ils ressentent quelque chose comme « Oh, je suis chez moi », et je pense que cela sera le cas. Pour les autres, je reviens à ma réponse à la dernière question : j’ai l’impression de toujours regarder les choses avec un sentiment d’émerveillement. Dans tout mon travail, je veux communiquer une sorte d’émerveillement devant quelque chose. Si je prends la photo d’un gigantesque monticule de neige, pour moi, c’est tout simplement extraordinaire qu’il y ait cette énorme masse de neige qui ne serait pas là autrement.

Il n’y a aucune autre substance qu’on voit soudainement empilée dans un stationnement et qui a la taille d’un bâtiment. J’éprouve un sentiment d’émerveillement face à cela. Je veux que les gens aient aussi ce sentiment lorsqu’ils visitent cette exposition. S’ils n’ont jamais rencontré le vrai Nord auparavant, le voilà ici, du moins en partie. C’est le vrai Nord.
EdE:
Dès le début de ce projet, nous avons beaucoup développé le travail en le concentrant sur la fabrication et l’aménagement de l’espace, plutôt que sur la discipline de l’architecture en tant que telle. Comment considérez-vous cette différence d’un point de vue inuit?
TP:
Il y a un phénomène qui se produit partout – et je prends Montréal comme référence – dans lequel, lorsque les Inuits sont loin de leurs communautés d’origine, ils se rassemblent et maintiennent des liens étroits. Toutes les communautés font cela, bien sûr, mais il y a certains restaurants, certains bars, certains endroits que les Inuits ont tendance à fréquenter, qu’ils vivent dans le Sud de façon permanente ou qu’ils soient de passage. Partout où les gens finissent par se sentir suffisamment à l’aise ou en sécurité pour fortifier et exercer nos liens communautaires et familiaux. Ces endroits font partie de ce que j’entends par « espaces jetables ». Peut-être que nous ne passons pas intentionnellement beaucoup de temps dans ces endroits, mais les gens de nos communautés, et nous aussi, les traversent souvent, et cela nous maintient ensemble.

Dans le Nord aussi, la création de l’espace est pour moi vraiment déterminée par les espaces dirigés par les Inuits. Il est si important pour les Inuits de disposer d’autodétermination, pas seulement au sens politique, mais dans la vie quotidienne, dans la famille, sur le lieu de travail. Les endroits où les Inuits sont capables de déterminer ce qui se passe, à tous les niveaux, sont les endroits qui sont authentiquement inuits et qui, selon moi, sont destinés à prospérer. Il y a beaucoup d’Inuits qui ouvrent la voie dans ce domaine.
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