Prendre soin, ou la santé en question

La santé elle-même est devenue une source d’angoisse et le « bien-être » une affaire pressante de responsabilité individuelle. Que l’environnement bâti puisse nous rendre malades est devenu une évidence, et il est donc tentant de croire que l’architecture ou l’urbanisme peuvent aussi nous guérir : en soignant ou apaisant notre corps, en contribuant à évacuer notre stress, ou en favorisant notre (re)mise en forme. Ce dossier explore les liens entre la santé et l’architecture, les types possibles d’intervention et les principes particuliers qui les sous-tendent. On y contemple également l’éventualité désagréable que nos meilleures intentions ne puissent en fait qu’engendrer de nouvelles complications.

Prendre soin, ou la santé en question

La santé elle-même est devenue une source d’angoisse et le « bien-être » une affaire pressante de responsabilité individuelle. Que l’environnement bâti puisse nous rendre malades est devenu une évidence, et il est donc tentant de croire que l’architecture ou l’urbanisme peuvent aussi nous guérir : en soignant ou apaisant notre corps, en contribuant à évacuer notre stress, ou en favorisant notre (re)mise en forme. Ce dossier explore les liens entre la santé et l’architecture, les types possibles d’intervention et les principes particuliers qui les sous-tendent. On y contemple également l’éventualité désagréable que nos meilleures intentions ne puissent en fait qu’engendrer de nouvelles complications.

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Le sanatorium de Paimio

Texte d’Eva Eylers

Inauguré en 1933, le sanatorium de Paimio, œuvre d’Alvar Aalto, est devenu l’un des symboles du modernisme. Maints ouvrages d’histoire de l’architecture moderne y font référence. Le CCA possède l’une des clés de la popularité du projet, témoin du rôle stratégique qu’a joué Aalto lui-même dans la création de ce bâtiment. Il s’agit d’un petit livre de poche bleu clair très particulier, intitulé Varsinais-Suomen Tuberkuloosiparantola, l’une des premières publications parues sur Paimio. Écrit en finlandais, le livre est richement illustré : les deux tiers des 75 pages comportent des images. L’ouvrage documente la construction de Paimio. On y trouve les plans et photographies des différentes étapes de la construction ainsi que des annonces publicitaires des entreprises ayant fourni les matériaux de construction et des artisans engagés dans ce projet. Le lecteur, même s’il ignore le finlandais, trouvera ce petit livre accessible et divertissant.

La publication, codirigée par le secrétaire du comité de la construction (représentant l’état finlandais fondateur du sanatorium), le médecin en chef de Paimio et Alvar Aalto, traduit les efforts conjugués émanant du secteur sociopolitique, du monde médical spécialisé et du domaine de l’architecture, efforts qui ont conduit à la création du sanatorium de Paimio. Si les articles d’introduction justifient le projet en donnant un aperçu historique des maladies pulmonaires rencontrées dans le sud de la Finlande et en expliquant l’importance sociopolitique de la maladie, l’article d’Aalto redirige le lecteur vers la raison d’être de la publication, c’est-à-dire l’architecture de Paimio.

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Bien que le sanatorium fasse partie des nombreuses institutions « nouvelles » qui, au XIXe siècle, émergent en raison du traitement médical spécialisé, et bien qu’il faille y voir une institution médicale fondée sur des bases scientifiques et non un « hôtel », l’un et l’autre établissement font appel à des mécanismes semblables pour recruter leurs « clients ». Comme l’hôpital admet – et parfois sollicite – des patients « qui paient » et d’autres « qui ne paient pas », la publicité devient une activité essentielle au fonctionnement de cette institution moderne.

Mais au contraire des précédentes brochures consacrées à des sanatoriums (dont on trouve aussi des exemplaires au CCA),1 celle de Paimio appuie une stratégie de mise en marché visant à attirer un vaste public, y inclus des architectes et des urbanistes de Finlande et d’ailleurs, plutôt que d’être uniquement axée sur des clients potentiels. Au lieu de montrer des diagrammes et des photographies d’instruments médicaux étranges, ou des patients prenant des bains de soleil ou recevant des traitements médicaux évoquant The Road to Wellville (1993) de T. C. Boyle, la publication consacrée à Paimio ne décrit aucun patient, et ne s’attache pas non plus à vanter l’ambiance détendue ou le traitement médical de pointe. De fait, le livre porte uniquement sur le bâtiment même, sur sa construction, ses équipements et ses installations intérieures.

Aalto fournit aussi une information détaillée sur les solutions structurales, l’isolation du bâtiment, les fenêtres à cadre d’acier et les lavabos, et il associe chaque détail architectural à la firme de construction ou au fournisseur concerné, partageant en toute liberté expérience et expertise, et proposant dans les faits un manuel qui permet d’imiter cette construction. Ce qui peut sembler aujourd’hui à la majorité des architectes une démarche à peine imaginable a élargi le potentiel du sanatorium et en a fait une surface de projection destinée à l’industrie locale, révélant ainsi le talent exceptionnel dont a fait preuve Aalto en établissant une stratégie de mise en marché globale réussie.2

Aalto s’est servi du potentiel du sanatorium comme vitrine des efforts économiques et sociomédicaux, « vendant » Paimio comme un forfait, faisant la promotion du concept architectural pour sa grande modernité et son hygiène, mais aussi comme réponse à la demande nationale de l’époque. La publication concernant Paimio est alors devenue un aspect important du projet – sinon un projet à part entière, engagé résolument dans la création d’un symbole moderniste.


  1. Comparez les brochures sur Sanatorium Trois Rivières (ID:87-B10106, ID:87-B10107), Galen Hall à Atlantic City (ID:87-B14915) et Grand View Sanatorium à Wernersville, en Pennsylvanie (ID:87-B9443). 

  2. Dans la mesure où Paimio a été crée par l’entremise d’un programme national implanté au cours de la crise économique (relativement limitée) du début des années 1930, cet aspect a permis d’assurer un intérêt local au projet. 

Eva Eylers a été en résidence ici en 2009, dans le cadre d’une subvention de recherche dans la collection.

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