Le Monadnock n’est pas si simple
Texte de Thomas Leslie
Le Monadnock Block de Chicago est légendaire pour ses murs porteurs en brique massive et ses élévations spartiates, sans ornementation. Peter et Shepherd Brooks, des frères de Boston qui financent plusieurs des premiers gratte-ciel de Chicago, font d’abord appel à l’agence architecturale Burnham & Root en 1885, mais les conditions du marché retardent le projet jusqu’en 1890, et le bâtiment est entre-temps entièrement redessiné .1
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Donald Hoffmann, « John Root’s Monadnock Building », The Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 26, no 4, décembre 1967, p. 269-277. ↩
Selon la tradition, le Monadnock est considéré comme étant le dernier gratte-ciel en maçonnerie porteuse, et ses murs épais au rez-de-chaussée soulignent les points faibles d’une structure aussi lourde. Le côté sud du block, conçu par Holabird & Roche entre 1891 et 1892 pendant que Burnham est occupé par la World’s Columbian Exposition, fait la preuve des avantages contrastés qu’offre la construction en acier1 – les grandes ouvertures à la base qui laissent entrer plus de lumière, et qui mettent en valeur les marchandises vendues à l’intérieur.
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Thomas Leslie, « Built Like Bridges: Iron, Steel, and the Importance of Riveted Steel to the Nineteenth Century Skyscraper », Journal of the Society of Architectural Historians, vol. 69, no 2, juin 2010, p. 234-261. ↩
Mais le Monadnock n’est pas si simple, comme le montrent ces dessins. Le parti de 1885 prévoit des colonnes en fonte sur l’intérieur du bâtiment, qui n’assurent pas de résistance aux charges latérales, ou au vent. En raison du processus de production, il est impossible de produire des raccordements serrés en fonte, et les bâtiments doivent être pourvus d’épais murs de contreventement en maçonnerie pour éviter qu’ils n’oscillent. Le parti définitif de Burnham & Root, toutefois, profite des progrès significatifs réalisés dans la production de l’acier . En plus des murs de refends en maçonnerie épaisse, ce projet comprend des barres de contreventement de portique en acier qui couvrent les murs extérieurs, leur permettant de se renforcer l’un l’autre, et des tirants diagonaux qui relient de la même façon les murs extérieurs et les colonnes intérieures1. Alors que les bâtiments de l’époque présentent des contrevents plus complexes, ces éléments démontrent qu’en 1890 et 1891, même un gratte-ciel en « maçonnerie » contient des éléments qui exploitent les propriétés de traction de l’acier et ses capacités à former des raccordements serrés.
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Carl W. Condit, « The Wind Bracing of Buildings » Scientific American, vol. 230, no 2, février 1974, p. 92-105. Voir aussi C.T. Purdy, « The Steel Construction of Buildings », Bulletin of the University of Wisconsin, Engineering Series, vol. 1, no 3, octobre 1894, p. 41-67. ↩
Ces dessins montrent également une autre des propriétés de l’acier dans les fenêtres en saillie qui dépassent du plan extérieur du bâtiment. De telles extensions sont surtout conçues pour apporter plus de lumière et d’aération aux bureaux à l’intérieur, mais elles fournissent aussi une surface utile supplémentaire et rentable. Ces fenêtres sont conçues comme des ondulations sur le mur en maçonnerie donnant sur la rue, mais le plan de charpente montre que le plancher et les murs de ces fenêtres en saillie sont supportés par des poutres en acier en porte-à-faux. Ce type de construction n’est certes pas nouveau, mais ces fenêtres en saillie montrent les tensions à l’œuvre entre les traditions des briques structurales et les capacités – et l’esthétique – de la charpente métallique, alors en plein essor.
Une dernière dimension de ces dessins particulièrement révélatrice est leur nature même. L’ensemble des détails de 1885 concernant les éléments en fonte démontre une intention du dessinateur de bien comprendre et représenter la moindre pièce. Les dessins de 1889 et 1890, à l’opposé, trahissent la pression intense à laquelle est soumis le projet, pression résultant sans aucun doute de la course contre la montre pour profiter du boom immobilier de 1889. Ils sont réalisés plus à la hâte, des détails sont ajoutés là où il y a de l’espace, et beaucoup est laissé à la discrétion du constructeur; en fait, les importantes connexions entre tirants de contreventement et maçonnerie structurale sont abordées avec une note laconique précisant « qu’ils [les tirants] doivent être arrimés à 8 pouces dans la maçonnerie ». La portion sud du concept de Burnham & Root, un immeuble connu à l’origine sous le nom de Kearsarge, est retranchée du plan alors que les frères Brooks hésitent quant à l’ampleur de leur investissement. Finalement, les deux moitiés sont construites d’un seul tenant, mais cette incision montre la vitesse à laquelle de telles décisions sont prises dans un marché en ébullition, et la capacité de Burnham & Root à réagir avec compétence et rapidité.
Thomas Leslie était au CCA en 2010 en tant que récipiendaire d’une bourse d’appui dans la collection.