Que faire s’ils veulent être heureux?
Entrevues avec Reinier de Graaf, Dirk Somers, Stéphanie Bru et Alexandre Theriot et Gehl
L’exposition Nos jours heureux : Architecture et bien-être à l’ère du capitalisme émotionnel commence avec la prolifération actuelle d’indices du bonheur et de rapports mondiaux sur la qualité de vie qui intègrent des données subjectives sur le bien-être à des ensembles de données plus traditionnels. Ces documents constituent des appareils médiatiques politiques qui façonnent notre environnement bâti par l’influence qu’ils exercent sur les processus de prise de décision. Cette démarche de recherche a été instrumentalisée, naturellement, par les manuels sur le bonheur, des protocoles avec lesquels l’on peut soupeser et ébaucher des principes conceptuels, des approches à la viabilité et jusqu’aux mesures pour la sécurité, aux nouvelles conceptions du confort et à une nouvelle compréhension de l’équilibre vie-travail. La capacité à suivre les émotions est essentielle à la dynamique qui préside à l’économie néolibérale et au phénomène souvent irrésistible d’un marché des « affects » immatériel et instable structurellement.
Différents membres de l’équipe curatoriale de Nos jours heureux posent des questions sur des problématiques soulevées au cours de leurs recherches. Leur répondent quatre architectes et urbanistes. Comment revoir le rôle de l’architecte dans ce nouveau système de valeurs économiques et politiques? En quoi la pratique architecturale embrasse-t-elle la soi-disant préoccupation pour le bonheur ou y résiste-t-elle?
Reinier de Graaf, AMO, Amsterdam
Sujets abordés : son livre Four Walls and a Roof, qui a toujours été à portée de main durant les recherches pour Nos jours heureux; l’idée de 2008 comme « année zéro » de notre nouvel intérêt pour le bonheur, l’année où Facebook a été traduit en de multiples langues, l’année où le iPhone a été distribué à travers le monde, créant une montée en flèche des données; et comment l’aménagement, pris en étau entre de puissantes entités privées et des forces politiques, s’accommode (ou pas) d’indices concurrents sur la ville.
Dirk Somers, Bovenbouw, Anvers
Sujets abordés : le rôle du confort et de l’« hyper-confort » dans l’approche de Bovenbouw; la question de savoir dans quelle mesure l’agence reconnaît l’influence de l’économie comportementale, de la collecte de données ou de l’économie expérientielle dans la pratique architecturale aujourd’hui; comment son travail sur des projets publics (écoles, bâtiments municipaux, postes de police…) répond aux idées actuelles d’espace social, d’intimité et de sécurité; et le risque de reproduire dans notre quête du bonheur les erreurs des promesses exagérées du modernisme.
Stéphanie Bru et Alexandre Theriot, Bruther, Paris
Sujets abordés : en quoi le contexte politique et économique en France depuis la crise de 2008, juste après la fondation de Bruther à Paris, les a définis; leur idée de l’architecture comme « infrastructure ouverte » et sa traduction dans différents projets, par exemple les logements étudiants à Paris ou le Centre culturel et sportif Saint-Blaise; comment tout cela est lié à la notion de « friction » plutôt que de fluidité; et la conception au-delà d’un programme de construction donné.
Julia Day, Mayra Madriz, Blaine Merker, Anna Muessig et David Sim, Gehl, New York, San Francisco et Copenhague
Sujets abordés : en quoi les nouvelles méthodes de « mesure » du bonheur se comparent aux types de quantification habituellement utilisés par l’agence Gehl; la question de savoir si la concurrence entre les villes sur la base des classements est une bonne ou une mauvaise chose, du point de vue d’un acteur international de la discipline; analyser si Copenhague est pour eux plus un modèle ou une méthode, et comment ses enseignements sont transposés à d’autres contextes; et dans quelle mesure leurs clients leur parlent de bonheur.