En direct de la nature
Texte de Alla G. Vronskaya
L’Allemand Karl Blossfeldt (1865-1933) utilise dans toutes ses photographies de plantes un même procédé : il isole un élément, qu’il montre parfois séché ou sans tissus voisins, et l’agrandit démesurément (de 10 à 40 fois). Parfois, les plantes sont assemblées en groupes de deux ou trois, semblables à des éléments d’ornement architectural; ailleurs, elles sont présentées individuellement. C’est dans le début des années 1890 que Blossfeldt soumet les plantes à ces étranges manipulations, lorsqu’il devient l’assistant de Moritz Meurer, professeur au Berlin Pedagogical Institute qui lance l’étude des formes végétales comme source de motifs pour la production industrielle allemande.
Les artistes et théoriciens de l’avant-garde du milieu des années 1920 qui ont par hasard redécouvert ce projet d’artisanat désuet ont soudain remarqué que les saules de Blossfeldt cachaient d’anciennes colonnes, et ses fougères, des crosses d’évêques. En d’autres termes, au-delà des seules formes naturelles traduites par le photographe dans son œuvre, ces artistes et théoriciens ont découvert les visions fantasmagoriques d’un univers créé par l’homme. Ainsi, Walter Benjamin a loué les « formes originales » de Blossfeldt, les considérant comme sources de toutes les formes de production intervenues dans la création des choses depuis l’origine.1 Les photographes de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit) ont établi, dans le travail de Blossfeldt, un parallèle avec leur propre quête d’objectivité expressive, et les surréalistes ont été séduits par le sadisme morbide avec lequel Blossfeldt décapitait les fleurs et les déchirait.
Alors que personne ne s’y attendait et Blossfeldt moins encore, ce dernier publie son premier album en 1928, presque à la fin d’une longue vie somme toute banale. Urformen der Kunst paraît au moment où le photographe passe pour un précurseur des mouvements modernistes les plus radicaux. La publication remporte un succès immédiat. Elle est traduite en anglais l’année suivante, sous le titre Art Forms in Nature: Examples From the Plant World Photographed Direct From Nature, et en 1932 paraît un second album intitulé Wundergarten der Natur. Le CCA possède ces deux dernières publications. Cependant, une fois éteint l’engouement pour le modernisme, le caractère artisanal de l’œuvre de Blossfeldt devient flagrant dans les ouvrages de Moritz Meurer intitulés Ornamental Verwerthbare Naturstudien für Architekten, Kunsthandwerker, Musterzeichner (1896-1903) et Die Ursprungsformen des griechischen Akanthusornamentes und ihre natürlichen Vorbilder (1896), tous deux conservés dans la collection du CCA. Ces deux livres rares documentent les résultats des efforts de Meurer du temps que Blossfeldt, encore étudiant, avait participé à son projet. On peut voir dans ces ouvrages des photographies à la manière de Blossfeldt (qu’il a dû prendre très certainement) au milieu des croquis de plantes et d’ornements caractéristiques du style d’Owen Jones. La géométrie des formes végétales de Blossfeldt, cependant, apparaît comme une stylisation ornementale plutôt qu’un éloignement formaliste.
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Walter Benjamin, « A New View of Flowers », cité par Hans Christian Adam dans Karl Blossfeldt, 1865-1932, Cologne, Taschen, 1999, p. 349-350. ↩ ↩
Alla G. Vronskaya a été récipiendaire d’une subvention de recherche dans la collection du CCA en 2009.