Le projet Giudecca
Texte de Rafael Moneo
Le projet d’Álvaro Siza pour Giudecca reflète, comme toujours, une intelligence.
La profonde sensibilité de Siza pour les caractéristiques du réel se reflète dans le respect de l’architecte pour les quartiers où il intervient et pour les gens qui l’occupent; en somme : pour l’existant. C’est ce qui le fait renoncer à l’attrait habituellement offert par la nouveauté. Siza a compris qu’il ne devait pas perturber la vie des gens du lieu et que par conséquent, il devait respecter le caractère, l’esprit de l’architecture de Giudecca; et cela a signifié, avant tout, d’accepter l’ordre dimensionnel selon lequel ce tissu urbain fut élaboré.
Des plans anciens nous montrent comment les occupants de l’île de San Giorgio Maggiore ont disposé leurs habitations le long de calli perpendiculaires aux fundamenta orientés vers Venise. Giudecca fut établie au moyen de ces calli, et les besoins en logements de l’île réclamaient, selon Siza, une réponse sous la forme de barres de logements typiques du modernisme, descendantes actuelles des Siedlungen. L’ensemble de l’intervention de Siza s’appuie sur quelque chose de très simple : la découverte que les barres de logements modernes peuvent coexister avec les constructions anciennes de Giudecca. Ce qui prime donc dans le projet de Siza, c’est la prépondérance de la morphologie sur la typologie, alors que les propositions avancées par Aymonino et Rossi semblent défendre une posture opposée, la typologie y prévalant sur la forme urbaine1.
De ce principe découle la composition proposée par Siza pour le concours. Celle-ci révèle une attention particulière pour l’alignement des bâtiments et l’introduction d’un espace ouvert, tel un campo, qui devient un élément urbain déterminant et caractérise de manière ultime l’intervention — malheureusement tronquée de moitié par rapport à ce que couvrait la proposition. L’accès à ce campo n’est pas laissé au hasard, mais organisé au moyen d’une brèche produite par le décalage dans l’alignement des barres de logements, formant une ouverture dans le dièdre, où un mur aveugle délimite un espace carré, une petite place. Le campo et la place, définis respectivement par deux ordres dimensionnels distincts, génèrent ainsi une séquence d’espaces dans laquelle Siza finit par ordonnancer l’expérience architecturale. Ce faisant, il supprime subtilement toute tentation de voir le campo comme un cortile, ou un espace clos.
Une intervention minimaliste, mais extraordinairement efficace pour transformer le quartier, dans laquelle les maisons hermétiques construites par Siza sont incorporées sans prétention à être vues, en un exemple saisissant du sens particulier du réel chez Siza, et de la puissance de son intellect.
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Plusieurs des architectes qui ont participé au concours de 1983 pour le plan d’urbanisme de Campo di Marte se sont vus demander d’intégrer des bâtiments dans le contexte du plan de Siza, qui fut lauréat du concours : Carlo Aymonino, Aldo Rossi, Rafael Moneo et Siza lui-même. Les bâtiments d’Aymonino et de Rossi furent finalement réalisés en 2004; après un autre délai, celui de Siza fut construit en 2016. La contribution de Moneo n’a pas encore été réalisée. ↩
Nous avons demandé à Rafael Moneo d’ecrire ce texte pendant l’ouverture de la Biennale de Venise en mai 2016.