Des conjonctions temporelles
Peter Sealy examine l'utilisation d'images pastorales dans les représentations de projets contemporains
Villa Além
Les murs en béton rouge qui enserrent la Villa Além (2014) de Valerio Olgiati définissent une zone luxuriante dans la région aride de l’Alentejo, au sud du Portugal. Inclinés vers l’extérieur ou l’intérieur, ils accueillent et protègent le visiteur au cœur du domaine privé habité par Olgiati, sa conjointe et leurs invités. Le fil Instagram d’Olgiati présente souvent des photographies du jardin contenu par ces murs, un jardin qui transforme la Villa Além en un ensemble verdoyant de métaphores : arche, oasis, refuge, etc. Les bâtiments d’Olgiati partagent une ambiguïté brillante : alors que chaque détail a été clairement pensé par ses concepteurs et constructeurs, l’effet global est archaïque, intemporel et apparemment sans auteur. Matériellement contrepoint organique de la masse des formes en béton habituelles d’Olgiati, le jardin suit la même logique ambiguë. Il est clair que ces plantes ne sont pas arrivées ici par hasard, mais comme elles croissent, tout sens de causalité est rapidement brouillé. Ont-elles prospéré grâce à l’enceinte propice de la Villa Além, ou est-ce la villa qui a été construite pour les capturer? Il est certain qu’un jour le jardin va dévorer la villa, un moment de plus en plus facile à imaginer à mesure que les plantes poussent et que notre sentiment d’urgence actuel augmente.
Alors que des photographies (professionnelles et personnelles) ont présenté l’évolution du jardin, une autre image le rend plus évocateur. Dessinée par Valerio Recchioni, l’image numérique montre deux femmes marchant dans le jardin de la Villa Além à l’ombre bienvenue d’un parasol. Ces flâneuses – et toute l’esthétique de l’image – ont été réalisées selon le lexique visuel de la peinture impressionniste. Un champ doré ponctué de coquelicots rouges remplit la moitié inférieure de l’image, équilibré au-dessus par un ciel nuageux juste un rien menaçant. Le parasol des femmes et le bassin peu profond d’une eau de couleur maïs au premier plan offrent un léger répit du soleil brûlant. Lisant l’image, le regard du spectateur identifie enfin la présence incongrue des murs en béton de la Villa Além, mais ceux-ci sont sur le point de disparaître dans le ciel. La porte massive du jardin est ouverte, fournissant un espace d’échappée visuelle au milieu de l’image.
Le dessin de Recchioni a d’abord été publié par afasia archzine le 29 octobre 2020; il a plus tard été affiché par Olgiati lui-même sur Instagram. Ici, l’illustrateur transporte la Villa Além dans le passé, à la Belle Époque, avec ses touristes des États-Unis et d’Europe du Nord qui explorent la campagne ensoleillée du sud pour échapper aux maux psychophysiologiques et esthétiques de l’industrialisation. Formellement, il identifie les murs du jardin de la Villa Além à un cadre, un contenant qui divise paysages internes et externes. Alors que la Villa Além comprend des espaces de travail d’Olgiati, le jardin est conçu comme un lieu de loisirs, et c’est ce qu’on voit dans l’image de Recchioni. Et nous, spectateurs, nous en sommes réduits à tenter de deviner le sujet de conversation des deux femmes.
La nouvelle pastorale
La représentation imaginative par Recchioni de la Villa Além fait partie d’une série récente d’images architecturales qui illustrent des projets contemporains dans des environnements picturaux. Dans le cas de la Maison solo (2012) de l’Office Kersten Geers David Van Severen, l’utilisation d’images à la David Hockney est plutôt réaliste, tant dans la forme que dans le contenu. La localisation de la maison circulaire dans une région montagneuse au sud de Barcelone est reproduite avec un niveau raisonnable d’exactitude. Le style pictural choisi (de même que les figures décontractées dans l’enceinte circulaire de la maison) communique nettement une vision du bâtiment comme un espace de loisir fauviste, teinté de l’ennui de la vie moderne. Les représentations d’un « Garden with White Walls » (2013) de Fala Atelier, une installation sportive pour l’Université de Porto, montrent une même approche picturale. Ici, des images rappelant Van Gogh mettent l’accent sur les espaces intermédiaires de l’enceinte, les reconfigurant comme des lieux de distractions bourgeoises.
L’agence Dogma a aussi adopté une approche picturale pour illustrer ses projets polémiques. Souvent, des images pastorales ont servi de décors où sont situées des tentatives imaginées de contraindre les forces du capitalisme tardif dans les limites de la forme architecturale; c’est le cas avec plusieurs illustrations pour « A Simple Heart, Architecture on the Ruins of the Post-Fordist City » (2002–2009). Le résultat (en images comme leur « Immeuble Cité » de 2004) est un contraste entre un monde préindustriel inaltéré et une intervention massive dont l’incommensurabilité est censée garantir la survie du cadre qu’elle domine maintenant1. La tour linéaire de l’Immeuble Cité remplit en partie l’arrière-plan de Prés à Greiswald (v. 1822), de Caspar David Friedrich. L’image qui en résulte est surannée dans sa suggestion (fausse dans ce cas-ci) que les relations sociales et culturelles préindustrielles de la ville natale de Friedrich existent toujours pour être préservées dans une telle opération.
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Le projet de condominium alpin d’Olgiati faisait la même chose. ↩
Dogma revendique que son projet Stop City (2007–2008) est une « architecture sans attributs… une architecture libérée de l’image », mais pourtant, dans un paradoxe commun avec la modernité, cette affirmation ne peut être faite que dans la séduction et l’imagerie1. En disposant huit tours-barres de 500 x 500 x 25 mètres autour d’une forêt de trois kilomètres de large, Dogma cherche à utiliser le gigantisme afin d’établir des limites à l’urbanisation2. Malgré l’affirmation de Dogma selon laquelle l’agence a produit une architecture sans qualités, nous savons très bien de quoi ont l’air les formes blanches délibérément indéterminées que l’on voit dans le dessin. Il s’agit d’une tentative de retrouver la tour-barre moderniste dans ses dimensions les plus grandes afin de mettre en place une condition urbaine totalisante et générique, une dans laquelle des formes immuables abritent des fonctions fluctuantes. Alors que Dogma cherche à mettre fin à la foi moderniste envers l’urbanisation, son imagerie pose un « autre » pastoral à protéger de l’empiètement, tout comme c’était le cas dans les banlieues de cités jardins et même le Plan Voisin pour Paris de Le Corbusier, qui promettait de couvrir les ruines de la cité bourgeoise avec de la végétation. Le pastoral est-il préservé ou conquis? En relation avec ses environs, la tour-barre blanche ne ressemble à rien, sinon à la première apparition du monolithe dans 2001, l’Odyssée de l’Espace (1968), de Stanley Kubrick. Cette impulsion totalisante s’exprime aussi dans les dessins pour le Monument Continu (années) de Superstudio. Ici encore, on peut se demander si la barre omniprésente, censée unifier les paysages urbains et ruraux disparates de la terre en un ordre cosmique stable et enrichissant, ne symbolise pas plutôt la mainmise technopolitique des premiers sur les derniers.
On trouve également cette juxtaposition choquante de nature et de culture dans « Porte-avion dans la campagne » (1964) de Hans Hollein. « Porte-avion dans la campagne » faisait partie de la série « Transformations » de Hollein, qui employait le photomontage pour engendrer des juxtapositions improbables entre des objets industriels et des paysages1. Dans une image emblématique, la coque imposante d’un porte-avion domine un paysage doucement vallonné, qui semble avoir été choisi pour son incongruité pour accueillir un tel mastodonte. Si Vers une architecture (1923) de Le Corbusier a présenté des confrontations visuelles entre des machines et des œuvres d’architecture classique, le but de Hollein n’était pas de soutenir une architecture particulière (moderne), mais de revendiquer que « tout est architecture ». En fait, alors que la concentration du spectateur est naturellement dirigée vers le navire de guerre – autant un artéfact urbain que tout ce qui a été produit au XXe siècle –, la vision de Hollein lui-même a évolué jusqu’à voir le paysage comme profondément architectural. Ce sont donc les collines ondoyantes et non le porte-avion qui donnent à l’image sa signification ultime.
Tout comme elles appartiennent à une lignée historique où l’on retrouve Hollein et Superstudio, ces images pastorales d’Office, Fala Atelier et Dogma s’inscrivent dans une tendance plus large au XXIe siècle de la représentation architecturale qui réfute le photoréalisme chosifié du rendu par ordinateur. Avec l’avènement du logiciel automatisé, le domaine de pointe du rendu architectural est devenu visuellement impossible à distinguer de l’imagerie actuelle des jeux vidéo et autres médias qui estompent les frontières entre représentation et réalité. Dans le domaine de l’architecture, le rendu hyperréaliste a quitté l’avant-garde pour passer au monde banal des projets de condominiums des promoteurs2. La première a donc cherché de nouveaux moyens d’expression, ce qui l’a conduite à une série de vues d’architectures aplaties, souvent colorées et ressemblant à des collages, qui ont été associées à un retour supposé de l’esthétique postmoderne et de la conscience de l’image.3
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Matilda McQuaid (dir.), Envisioning Architecture : Drawings from The Museum of Modern Art, New York, The Museum of Modern Art, 2002, p. 146–147. ↩
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Pour l’engagement de l’avant-garde avec la création d’images numériques, voir les expositions et publications conçues au CCA dans le cadre du programme Archéologie du numérique. Voir aussi les recherches menées par Peter Sealy lors de sa participation au projet L’architecture et/pour la photographie. ↩
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Au sujet du mouvement « post-numérique » dans la pratique du dessin, voir Sam Jacob, “Drawing in a Post-Digital Age,” Metropolis 36, no. 8 (2017), p. 76–91. ↩
Quelle est l’œuvre de Dieu?
Les images dans le satirique Atlas of Another America (2016) de Keith Krumweide inventent un monde, « Freedomland », dans lequel tous les manoirs tape-à-l’œil, ou McMansions, de l’ex-urbanisation américaine sont redéfinis en logement collectif. Les formes se révèlent transférables d’un régime idéologique à l’autre, alors que la dystopie engendrée par la financiarisation habite ses vestiges totémiques. Rejetant une imagerie explicitement révolutionnaire pour un projet aussi radical, les illustrations de Krumweide repositionnent l’habitat de promoteur au sein de peintures historiques. Ainsi, les maisons de Freedomland sont insérées dans Prés à Greiswald de Friedrich et M. et Mme Andrews de Thomas Gainsborough1. Dans la peinture précédente, la même que celle qui a été utilisée par Dogma pour « A Simple Heart », Greifswald a été remplacée par des groupes de McMansions derrière lesquelles se profile une pyramide verte tronquée. Si les nombreuses formes triangulaires de l’image peuvent remonter aux illustrations pour la Cité idéale de Chaux2, de Claude-Nicolas Ledoux, le résultat ressemble à une représentation des paroles de chanson emblématiques de Joni Mitchell, « They paved paradise and put up a parking lot ».
M. et Mme Andrews a été pour Gainsborough une tentative de combiner son amour des paysages et sa résignation devant le fait que ce qu’il appelait « peinture de visage » (le portrait) était plus lucratif. L’appropriation par Krumweide de ce tableau crée une nouvelle juxtaposition, cette fois-ci entre les Andrews, membres de la noblesse terrienne du XVIIIe siècle, et les maisons de leur descendance de même classe dans les États-Unis du XXIe siècle. Fait fascinant, Krumweide a maintenu l’espace inachevé sur les genoux de Mme Andrews : on ne savait pas si cet espace était réservé à un enfant à naître, un faisan ou peut-être un livre. L’écart nous rappelle la nature construite d’images et suggère que l’insertion de Krumweide appartiendrait à une tradition authentique de manipulation productive qui inclurait Gainsborough lui-même.
En tant que critiques de conditions contemporaines, les utopies ont souvent été situées dans des paysages idylliques, pré-urbains : on peut penser au phalanstère de Charles Fourier et à la New Harmony de Robert Owens. Krumweide a décrit son projet comme le rejeton bâtard de Frank Lloyd Wright et Le Corbusier, unissant des traditions urbaines et agraires en concurrence. Tout en contribuant à l’effet d’ensemble satirique, l’emploi de chefs-d’œuvre reconnaissables pour l’imagerie de Freedomland renvoie à une tradition américaine d’acculturation qui comprend (comme Manfredo Tafuri l’a souligné) les plans de Pierre l’Enfant pour Washington, la Ville blanche de Daniel Burnham lors de la World’s Columbian Exposition de Chicago, en 1893, et le mouvement City Beautiful3. Tafuri l’a bien reconnu, les Américains ont toujours été craintifs devant ce qu’ils avaient réalisé et ont souvent adopté les formes culturelles rétrogrades des sociétés autocratiques mêmes que le capitalisme démocratique a remplacées. « À Washington, l’évocation nostalgique des valeurs européennes était concentrée dans la capitale d’une société dont la volonté de développement économique et industriel a conduit à la destruction concrète et intentionnelle de ces valeurs4. » Le cœur de la satire de Krumweide peut donc être compris comme une « invocation » du péché originel du développement américain.
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Dogma a aussi utilisé la peinture de Friedrich pour l’une de ses images. ↩
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En cherchant ailleurs une référence historique pour ancrer notre compréhension de l’image, on peut se demander si le classicisme bâtardisé des supermaisons peut être relié à l’appropriation des formes du Biedermeier dans les années 1950 par des architectes d’Allemagne de l’Est voulant créer des bâtiments communaux qui seraient « nationaux dans la forme, socialistes dans le contenu »…, mais le lien est au mieux ténu. ↩
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Manfredo Tafuri, Architecture and Utopia: Design and Capitalist Development Cambridge, MIT Press, 1976, p. 30-40. ↩
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Tafuri, p. 34. ↩
« Quelle est l’œuvre de Dieu? » était une question souvent posée dans les États-Unis d’avant la guerre civile, alors que les citoyens de la jeune république poursuivaient l’avancée de l’empire vers l’ouest. L’imagerie pittoresque était cruciale pour ce processus d’auto-actualisation. Remarquez la locomotive à vapeur, les rails de chemin de fer et l’imposante rotonde dans la peinture par George Inness de la vallée de Lackawanna à l’aube de l’industrialisation vers 1855. Commandée par un président d’une compagnie ferroviaire, cette vue de Scranton en Pennsylvanie célèbre l’avancement de la technologie tout en déplorant son impact sur la nature. La jeune République américaine s’est efforcée à grands frais d’atteindre l’équilibre harmonieux entre l’industrie et l’agriculture, la campagne et la ville, l’ancien et le nouveau, tel qu’il ressort du pinceau d’Inness.
Si sa peinture présente un paysage vierge pas encore souillé, l’Atlas of Another America montre une Amérique encore aux prises avec les changements provoqués par la « destinée manifeste » révélée dans des images comme celle d’Inness.
Une conclusion atemporelle
Lues de façon restrictive, des images comme la vue impressionniste de la Villa Além, de Recchioni, peuvent ressembler à une esthétisation dangereuse de l’actuelle urgence écologique dans laquelle un nouveau paysage, un moment temporel passé et même un climat différent peuvent être évoqués à l’aide de techniques picturales. Ou peut-être renvoient-elles à un pessimisme frappant dans le discours urbain récent – motivé par des hausses vertigineuses des prix des maisons et des sentiments d’impuissance devant le « Pas dans ma cour » – qui n’a été qu’amplifié par la pandémie de Covid-19 en cours. Ce pessimisme urbain (pour infondé qu’il puisse être) trouve un pendant dans des conceptions séculaires de la campagne comme refuge contre les maux de la ville moderne. Des expositions d’architecture récentes semblent avoir identifié la campagne comme le territoire mûr pour la colonisation par leurs programmes de recherche. En reproduisant des formes de l’art européen du XIXe siècle, une attitude coloniale, telle que celle décrite par Inness, est-elle également copiée? Il est certain que les auteurs des images pastorales d’aujourd’hui reculeraient devant de telles lectures, mais celles-ci reflètent dans quelle mesure l’iconographie n’est jamais neutre.
Pour l’image de Recchioni, une telle interprétation ignorerait la trajectoire de la pratique propre à Olgiati dans sa Suisse natale. Alors que la Villa Além est sans contredit rurale, elle fait partie d’une série de projets qui négocient habilement entre apparence publique et intimité individuelle d’une façon fondamentalement urbaine. L’Atelier Bardill (2007) à Scharans constitue un bon exemple de la capacité d’Olgiati à amplifier le côté public par la création d’une enclave privée.
Au-delà de cet alibi – qui appartient aux bâtiments d’Olgiati et non pas à leurs représentations –, une compréhension beaucoup plus émancipatoire de l’image de Recchioni se fait jour, qui englobe la pleine capacité itérative de l’architecture. Plutôt que de voir cette image comme une échappatoire aux réalités actuelles, on peut la considérer comme une ouverture sur un monde de futurs alternatifs, qui rend évidente la contingence du présent. Les murs du jardin de la Villa Além enferment certes leur propre flore; dans le dessin de Recchioni, ils entourent une tranche de temps distincte. La stabilité même des formes d’Olgiati, et la prétention de celles-ci à une atemporalité archaïque renfermeraient paradoxalement une machine à voyager dans le temps.
On peut retrouver une composition semblablement asynchrone de bâtiment et d’environnement dans le collage numérique que les architectes Johnston Marklee ont utilisé pour illustrer leur Hill House à Los Angeles (2004). Le recours de Johnston Marklee à la photographie emblématique signée Julius Shulman (1960) de la maison Stahl de Pierre Kœnig comme arrière-plan de la maison Hill est fantaisiste, mais logique, compte tenu de leur situation commune à flanc de colline : leur collage ne fait que rendre évidente leur connexion typologique. Au-delà des subtiles différences dans l’architecture (la maison Stahl est un exercice de transparence, alors que les formes opaques de la Hill House encadrent des vues dans une manière beaucoup plus délibérée), nous voilà devant un casse-tête temporel. Est-ce que la maison Hill a été ramenée dans l’atmosphère domestique glamour du modernisme californien au milieu du siècle dernier, avant que les rôles sexuels dominants ne soient dépassés? Ou est-ce que les femmes qui peuplent la photographie de Shulman ont été transportées vers le futur (sans prendre une ride!) pour se retrouver une fois de plus objectifiées dans l’architecture?
Le collage de Villa Além réalisé par Recchioni fait partie d’une série plus large de caprices intitulée Genius Disloci (2017-)1. En réalisant cette série, Recchioni pose une question simple mais énigmatique : « Que se passerait-il si certaines des œuvres d’art les plus célèbres devaient cohabiter avec l’architecture de notre époque? ». Ainsi, le personnage du Le Voyageur contemplant une mer de nuages (1818) de Caspar David Friedrich contemple maintenant le Shard de Renzo Piano et l’entrée du Tombeau de Brion (1978) de Carlo Scarpa encadre la forêt sombre de l’Inferno de Dante par Gustave Doré (1857). Pour Recchioni, la réponse à la question est simple : la juxtaposition productive de bâtiments et de peintures rend visibles les points de similitude et de dissemblance entre le passé et le présent. Plutôt que de corrompre les œuvres originales, ces collages nous permettent de mieux les interroger, les comprendre et nous les approprier.
Aujourd’hui, l’architecture semble se déployer sous la forme d’un flux d’images, d’épingles visuelles offrant quelques secondes de distraction dans l’environnement numérique contemporain. Nous cliquons rapidement sur « J’aime », puis parcourons l’espace et le temps vers l’image suivante. Au lieu de considérer cet état de fait comme étant, au mieux, frivole ou, au pire, dangereux, nous devrions nous préoccuper sérieusement de la capacité des images d’architecture – qui peuvent désormais être réalisées par toute personne ayant accès à un ordinateur et diffusées dans le monde entier sur Internet – à provoquer des juxtapositions spatiales et temporelles radicales. Les environnements pastoraux impressionnistes pour l’architecture contemporaine discutés dans cet essai – quelles que soient les significations voulues par leurs auteurs – ne sont qu’un exemple du potentiel de création de monde latent dans la représentation architecturale.