Migrations, brièvement bloquées : revisiter l’Atelier 66
Claire Zimmerman réfléchit sur le modernisme contextuel de la Grèce
En hommage à Suzana Antonakakis (25 juin 1935–5 juillet 2020)
« [. . .] les frontières se transforment de l’intérieur; les frontières sont très complexes1. »
Les litiges frontaliers et les conflits liés à l’identité ethnique font périodiquement surface dans l’histoire de la péninsule balkanique, et de la Grèce en particulier. Pourtant, les crises actuelles les teintent d’une perspective nouvelle et critique. L’île de Chios, théâtre du massacre des Grecs perpétré en 1822 par les Ottomans, événement rendu célèbre par le peintre français Eugène Delacroix, accueille aujourd’hui l’un des camps de transit des Nations unies pour celles et ceux qui traversent l’étroit bras de mer depuis la Turquie. C’est aussi le site de l’un des nombreux musées d’archéologie construits en Grèce après la Seconde Guerre mondiale pour stimuler le développement culturel et une économie touristique naissante. Quand on approche du musée archéologique de Chios (architectes : Atelier 66, 1965), une ossature blanche en béton apparaît, comme étroitement enveloppée de murs en maçonnerie brute de pierre orange vif extraite à Thymiana, à proximité, la même pierre qui borde les longues rues étroites de Kampos, tout proche. La référence pourrait difficilement être plus directe : les murailles d’enceinte entourant les possessions des Génois ayant occupé l’île au XIVe siècle rappellent son histoire contestée, à cet endroit comme dans les Mastichochoria alentour, des villages fortifiés de production de mastic remontant à des centaines d’années. Protégeant les collections du musée, ses murs guident également les déplacements à travers le complexe jusqu’à la partie en amont du site. Au centre, une cour intérieure s’ouvre, accueillante; là, l’enveloppe de pierre du bâtiment s’efface au profit d’écrans de verre qui s’étirent entre les colonnes de béton2.
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Donna Haraway, « Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective », Feminist Studies, vol. 14 (automne 1988), p. 3, 595. ↩
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Le musée archéologique de Chios a été l’objet de rénovations importantes dans les années 1990, sans le concours des architectes. L’intérieur a été vidé et divisé, et une cour-jardin, clôturée. D’autres modifications majeures apportées à l’édifice sont toujours apparentes, mais celui-ci devrait être restauré dans son état initial à l’avenir. Mes sincères remerciements à Helen Paleodimou et Fragoula Tsairidou pour la visite complète des installations, y compris les espaces muséologiques et les réserves, à l’été 2020. ↩
Après une absence de vingt-cinq ans, je suis retournée en Grèce en 2019 pour y explorer la création de bâtiments dans une région frontalière disputée depuis des siècles. J’ai séjourné brièvement dans un studio sur les toits à Emmanuel Benaki 118 (EB 118), qui abrite également les bureaux des architectes du musée de Chios et qui est le lieu de résidence de deux des membres fondateurs de l’agence, Suzana et Dimitri Antonakakis. Lorsque l’on arrive devant le bâtiment, une entrée/une porte sur la rue donne accès à une cour ouverte qui fait office de vestibule. De là, un escalier en colimaçon s’élève le long de l’édifice à l’angle de la parcelle surplombant la rue Emmanuel Benaki, donnant alternativement sur l’intérieur et l’extérieur pendant toute la montée, le long d’une balustrade effleurant le bord de la voie publique. Le palier d’ascenseur au sixième étage est situé à l’intérieur; le dernier étage débouche aussi sur l’extérieur. Même l’intérieur du studio ne semble que partiellement clos : un pan de verre continu et un grand puits de lumière donnent à l’ensemble l’impression d’être au grand air.
L’immeuble a été conçu par Atelier 66 en 1972. Collectif architectural au fonctionnement horizontal, l’atelier s’est développé durant les années de résistance discrète, mais résolue chez les intellectuels grecs face à la junte militaire en place de 1967 à 1974. Il a gagné une renommée internationale après 1981, quand un duo d’architecte-critique a évoqué le travail de l’agence comme illustrant « comment devenir moderne tout en retournant aux sources1 ». Atelier 66 inspire les jeunes architectes et historiens grecs d’aujourd’hui, et pour de bonnes raisons2. La démarche de l’agence est fondamentalement positionnée, pour reprendre la formule de Donna Haraway : liée à l’histoire et la culture grecques, mais aussi aux techniques du modernisme architectural mises en œuvre avec sensibilité dans l’utilisation des matériaux et de l’aménagement de l’espace. Si la construction traditionnelle a largement reçu les faveurs de l’industrie du patrimoine, et le modernisme, en tant que système de modulation (selon le climat, la région, l’utilisateur), celles des analystes de la valeur et du secteur de la production en série, comment ces « réalistes utopiques » sont-ils parvenus à créer une version foncièrement grecque de l’architecture moderne, dans un débat productif avec des acteurs du milieu comme Mies van der Rohe3? Et comment une pratique architecturale à ce point ancrée dans un contexte particulier s’avère-t-elle pertinente en matière de mobilité humaine – et, partant, d’histoires architecturales féministes de migration4?
Le travail d’A66 (nouveau nom adopté par l’agence après une réorganisation en 1987) reflète des tendances en apparence conflictuelles, mais qui en réalité s’harmonisent bien, surtout si l’on considère la situation politique grecque de la fin des années 1960. Une analyse moderniste des modèles de construction régionaux a jeté les bases d’une approche convaincante pour le rejet des prétentions politiques nationalistes, et pour exprimer ce rejet dans l’architecture. Tôt dans leur carrière, deux des dirigeants fondateurs ont réalisé des études de cas détaillées des typologies du bâti régional, dans un cas le village archontiko de Makrinitsa, dans l’autre, l’architecture insulaire d’Hydra5. Le fait que de telles typologies historiques soient l’objet d’attention dans les quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale témoigne d’un épisode particulièrement fécond dans la chronologie de l’architecture moderne, dont la Grèce avait posé les premiers jalons, que ce soit avec les maisons cubiques blanches ou les temples anciens polychromes délavés par le temps6. On pourrait se demander en quoi les recherches systématiques des architectes grecs sur les traditions architecturales vernaculaires (liées à quatre siècles de domination ottomane) sont liées aux projections européennes sur la Grèce avant et après la guerre, au cours de laquelle le pays a été de nouveau occupé, cette fois par les régimes fascistes d’Italie, d’Allemagne et de Bulgarie.
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L. Lefaivre et A. Tzonis, « The Grid and the Pathway », Architecture in Greece, vol. 5 (1981), p. 164–178; K. Frampton, « Prospects for a Critical Regionalism », Perspecta, vol. 20 (1983), p. 148–162. La citation vient de Paul Ricœur. ↩
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Voir Stelios Giamarelos, « Greece, the Modern Margin in the Classical Centre: Seven Points for Critical Regionalism as Historiography », The Journal of Architecture, vol. 25, no 8 (2020), p. 1055–1088, paru une fois cet essai déjà sous presse. Voir également Nikolaos Magouliotis, « Learning from ‘Panosikoma’: Atelier 66’s Additions to Ordinary Houses », Architectural Histories, vol. 6: no 1 (2018), ION :10.5334/ah.299. ↩
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Y. Tsiomis, conférence sans titre de 2016 : http://www.blod.gr/lectures/ Pages/viewlecture.aspx?LectureID=3219 (consulté le 25 juillet 2020). ↩
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L’accent mis par Donna Haraway sur la vision incarnée, la mobilité et les zones frontalières résonne particulièrement dans les techniques conceptuelles d’A66 : « [. . .] les savoirs locaux se doivent aussi d’être en opposition avec les structurations productives qui imposent des transferts et échanges inéquitables – tant matériels que sémiotiques – dans les réseaux de la connaissance et du pouvoir. Les réseaux peuvent avoir la capacité à être méthodiques, et même à se poser en systèmes globaux à structuration centrale avec des ramifications profondes et des boucles solides dans le temps, l’espace et la conscience, qui sont la dimension de l’histoire du monde ». Haraway, « Situated Knowledges », p. 588. La publication De la migration fait partie d’un projet multi-sites : voir Anooradha Iyer Siddiqi et Rachel Lee, « On Margins: Feminist Architectural Histories of Migration », ABE Journal, vol. 16 (2019), http://journals.openedition.org.proxy.lib.umich.edu/abe/7126 (consulté le 7 janvier 2022); et des mêmes autrices, « On Collaboration », Aggregate, http://we-aggregate.org/project/on-collaborations-feminist-architectural-histories-of-migration (consulté le 7 janvier 2022). ↩
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Ici, leurs intérêts rejoignent ceux d’investigations semblables visant à documenter et analyser l’architecture domestique régionale ayant un lien direct avec les constructions migratoires des Balkans et de Turquie, mais également avec des typologies locales comme la maison cycladique. Voir A. Konstantinidis, Ta Palaia athinaika spitia, Athènes, 1950; G. Megas, The Greek House and its Relation to the Houses of other Balkan States, Athènes, 1951; P.A. Michelis, To Elliniko Laiko Spiti, Athènes, 1960. ↩
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Durant la même période, des architectes anglais ont étudié les constructions industrielles vernaculaires. Voir J.M. Richards, The Functional Tradition in Early Industrial Building, Londres, 1958. Les recherches sur l’architecture vernaculaire mondiale ont également proliféré à l’époque, certaines aux États-Unis, avec notamment les travaux de Bernard Rudofsky, Sibyl Moholy-Nagy et J.B. Jackson. ↩
L’adhésion au modernisme européen est particulièrement ironique en Grèce, pays dont les formes vernaculaires et le passé antique en ont fait un locus classicus pour des architectes européens tels que Schinkel et Soane. Après la révolution de 1821, dans un acte d’appropriation présenté comme un « retour » mythique, les urbanistes ont aménagé le centre d’Athènes avec de grands bâtiments néoclassiques réalisés par des architectes européens1. Pour autant, la mainmise allemande et britannique sur la Grèce n’a pas commencé avec la guerre d’indépendance ou les voyages de Lord Byron au début du XIXe siècle. L’« Europe » s’est longtemps autorisée à puiser dans l’Antiquité grecque, décernant au pays un statut honorifique de berceau de la pensée idéaliste2. L’un des premiers voyageurs venus d’Europe en Grèce pour y admirer ses antiquités et en faire l’éloge auprès de ses propres concitoyens a été Cyriaque d’Ancône, dont les carnets de croquis remontent au milieu du XVe siècle, bien avant que Julien-David Le Roy, James Stuart et Nicholas Revett ne remplissent leurs livres d’illustrations détaillées, prédécesseurs en cela de Frédéric Boissonnas et ses relevés photographiques du Parthénon dans Vers une architecture. Là comme ailleurs, les formes architecturales prismatiques, épurées, décolorées sont devenues des éléments centraux de l’architecture internationale moderne et de sa représentation photographique.
Les aspirations à une architecture grecque du XXe siècle semblent alors s’inscrire dans les principes du mouvement moderne européen, l’assujettissement de celle-ci à l’Empire ottoman durant des siècles suscitant des idées de résistance et de contestation3. La Grèce a été une zone frontalière, une région stratégique et un pion diplomatique entre l’Europe et l’Est depuis l’invasion de l’Empire perse au Ve siècle avant notre ère; certaines parties de la Grèce ont été turques jusqu’en 1912. Dix ans plus tard, ce qu’on appelle la « Grande Idée » (Megali Idea), de la reconquête par les Grecs de Constantinople/Istanbul, avec le soutien des puissances européennes, a tourné au désastre et entraîna un échange de populations entre la côte occidentale de l’Anatolie et les villes grecques, un épisode majeur de dépossession violente et une référence pour les politiques européennes de partition et de nettoyage ethnique qui allaient définir un siècle déchiré par la guerre mondiale4. Les architectes grecs modernes se sont positionnés en fonction de ces réalités historiques, lesquelles ont alimenté ou au contraire éteint les mythes nationalistes, selon le point de vue adopté5.
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Y. Tsiomis, Athènes à soi-même étrangère : naissance d’une capitale néoclassique, Marseille, Parenthèses, 2017; A. Mirkovic, « Who Owns Athens? Urban Planning and the Struggle for Identity in Neo-Classical Athens (1832–1843) », Cuadernos de Historia Contemporánea, vol. 34 (2012), p. 147–158; E. Bastéa, The Creation of Modern Athens: Planning the Myth, Cambridge, 2000. ↩
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Dans les études philologiques, cela allait jusqu’à ignorer littéralement les érudits islamiques qui avaient préservé, transcrit et décliné les textes anciens qui se seraient autrement évanouis dans les dédales de l’Histoire. ↩
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Voir par exemple M. Georgopoulou, K. Thanasakis, Ottoman Athens: Archaeology, Topography, History, Athènes, 2019. ↩
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Aujourd’hui, la consultation des journaux ne laisse aucun doute quant à la position périphérique qu’occupe la Grèce. Les zones frontalières sur les îles grecques et près du fleuve Evros, ouvertes aux réfugiés tout au long des nombreuses années de la crise actuelle, ont récemment vu leur accès coupé après que le gouvernement turc du président Recep Tayyip Erdoğan a autorisé de plus en plus de gens à passer à l’Ouest, mécontent des pays européens qui n’ont jamais admis la Turquie dans l’UE ni respecté leurs engagements financiers passés. La Grèce, prise de nouveau en étau entre deux entités n’ayant que peu de considération pour ses capacités du moment, se retrouve ballottée par ses puissants voisins. ↩
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R. Beaton et D. Ricks, The Making of Modern Greece: Nationalism, Romanticism & the Uses of the Past (1797–1896), Londres, 2009. ↩
Atelier 66 était un collectif dans lequel les partenaires s’entraidaient et mettaient en place les projets de manière collaborative au fur et à mesure qu’ils arrivaient à l’agence. On y explorait tout particulièrement la conception en béton armé peint ou stuqué. Parmi les modernistes grecs, l’Atelier était plus proche d’un Dimitris Pikionis que d’un Constantine Doxiadis, urbaniste et développementaliste international; ses membres avaient eu pour professeur A. James Speyer, lui-même ayant étudié auprès de Mies à Chicago1. Les bâtiments d’A66 sont divisés en zones structurelles qui délimitent la différence spatiale dans le diagramme; les passages qui les traversent forment des labyrinthes complexes, et l’organisation verticale est déterminante. EB 118 en est une illustration parfaite : la circulation verticale donne une idée juste des distinctions entre intérieur et extérieur tout en se déplaçant dans la partie transitoire à l’intérieur du bâtiment, mais à l’extérieur de l’habitation. Le bureau du rez-de-chaussée est aussi disposé en sections : une zone de réception au plafond bas mène à la pièce de dessin à double hauteur; des escaliers mènent aux espaces de travail attenants puis, plus haut, à une bibliothèque murale garnie de livres et de publications qui offre des vues vers l’avant et vers l’arrière; enfin, l’atelier principal de conception surplombe la salle de dessin d’un côté, la rue de l’autre. Les « passages », occupant une place de choix dans l’œuvre d’A66, étaient en réalité plus l’aboutissement du processus de design que des vecteurs vers une destination finale2. C’est le processus de déplacement qui compte, pas le moment de l’arrivée; les configurations ambiguës et les circulations indirectes renversent les mécanismes modernistes d’orientation vers un but (la promenade architecturale) pour en faire en quelque sorte leur exact contraire, en termes architecturaux. Jean-Louis Cohen y voit un engagement fondamentalement urbanistique, pris à l’échelle architecturale, dans ses réflexions sur le travail d’A66, qu’il appelle « brutalisme méditerranéen3 ». L’urbanisme invoqué dans les bâtiments illustre-t-il à quel point la communauté imprègne la société à tous les échelons? Voilà qui semble refléter avec exactitude la notion de communauté que l’on rencontre bien souvent à travers la Grèce.
Les maisons de Makrinitsa que Suzana Antonakakis a étudiées méticuleusement sont configurées du bas jusqu’en haut : entreposage et animaux au rez-de-chaussée; quartiers d’hiver à côté, avec murs épais, fenêtres étroites et équipements de cuisine; appartements d’été au sommet avec porches, vérandas et de nombreuses fenêtres, comme un nid d’aigle. Trois bâtiments sont disposés les uns sur les autres. Ici, l’architecture façonne des modèles d’usage temporels influencés par le climat : chaud en hiver et frais en été en bas, ventilé en haut pour la chaleur estivale, l’air circulant dans des « cheminées » qui montent dans les cages d’escalier. Cet aménagement simple est une réussite environnementale. Par contraste, un système de construction international comme l’ossature moderne en béton armé ne serait en mesure de pallier la perte d’un savoir-faire local si caractéristique dans le cas d’un pays aux ressources limitées que si le modernisme pouvait être réajusté aux besoins des connaissances contextuelles qu’une telle ingéniosité suppose. L’omniprésent schéma Dom-Ino de Le Corbusier, réification d’une telle construction, représente le système; Atelier 66 a fourni la mise à niveau.
Dans une analyse saisissante, Aristide Antonas (fils de deux des fondateurs) décrit le travail de l’agence comme motivé par l’« erreur ». Les idées architecturales qui semblaient aux concepteurs particulièrement bien adaptées à une commande donnée pouvaient néanmoins parfois difficilement s’insérer dans les paramètres architecturaux conventionnels comme le programme, le budget, le code et la disponibilité des matériaux. C’est dans les solutions de contournement qui ne manquaient pas de s’ensuivre, note Antonas, que réside le projet d’A664. Loin du ronronnement bien huilé de la machine de production architecturale, un engagement envers l’essence de la discipline elle-même résonne particulièrement dans leur approche du modernisme international après la Seconde Guerre mondiale. Tout comme Aris Konstantinidis, A66 remettait en cause les réductions et élisions exigées par la modernité. Konstantinidis remarquait, en 1987 : « La Grèce [. . .] qui est située entre l’Est et l’Ouest, possède une tradition architecturale vernaculaire débordant de qualité et de retenue artistiques5 ». L’erreur qui menace est tout simplement la modernisation elle-même, imposant à une tradition ancestrale ayant fait ses preuves les optimisations d’une économie de marché fondamentalement abstraite6.
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Voir les contributions d’Antonakakis à A. James Speyer: Architect, Curator, Exhibition Designer, Chicago, 1997. ↩
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« [. . .] c’était l’acte même de se transporter – plutôt que l’exposition tant glorifiée – qui renforçait leur sensibilité architecturale ». S. Giamarelos, « Intersecting Itineraries Beyond the Strada Novissima: The Converging Authorship of Critical Regionalism », Architectural Histories, vol. 4 (2016), p. 1, 1-18. ION : http://dx.doi.org/10.5334/ah.192. ↩
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J.-L. Cohen, « The Mediterranean Brutalism of Demetris and Susanna Antonakakis », Place and Architecture, Institut français d’Athènes, 15 avril 1994. ↩
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A. Antonas, Forum : « Error and Recovery », Nordisk Arkitekturforskning 3 (1999), p. 1-7. ↩
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A. Konstantinidis, Amartoli kai kleftes i i apoyeosi tis architektonikis, Athènes, 1987, p. 25, tel que cité dans E. Fessas-Emmanouil, Essays on Neohellenic Architecture, Athènes, 2001, p. 100. ↩
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Des critiques de gauche de l’entre-deux-guerres, comme Max Raphael, Siegfried Kracauer et Adolf Behne, ont dénoncé le modernisme international pour ses visées de profit dissimulées sous la rubrique du développement. Les intellectuels progressistes de la Grèce d’après-guerre ont eux aussi exprimé un tel point de vue. ↩
Par un moment paisible de juillet 2020, je m’assois dans la cour du musée, alors vide de visiteurs. Peu sont venus à Chios cette année. L’économie touristique vient d’être mise à mal par la pandémie de COVID-19, qui compromet son avenir. Ce jour-là, un groupe approche, allant et venant sur le chemin depuis la rue, une chorégraphie qui rappelle la voie panathénaïque ou la rue d’un village dans les Mastichochoria. J’entends parler arabe et présume que ces visiteurs peuvent venir de Vila, le camp de réfugiés près de Thymiana. Si le musée d’archéologie incarne une forme de philoxenia (l’affection pour les étrangers, ou l’hospitalité), le camp de réfugiés en suppose une autre. Le camp et le musée sont comme un pas de porte pour les personnes qui entrent en Grèce : l’un ancre le bâtiment dans la longue histoire d’un lieu, la raconte aux visiteurs; l’autre abrite temporairement des gens récemment requalifiés par les autorités internationales de « docteurs » ou « sœurs » en « réfugiés ». Les touristes et les réfugiés sont des hôtes de nature radicalement différente; en cette période, seuls les seconds semblent susceptibles de transiter par les ports de Chios, et même cela a changé dans les derniers mois1. Les visiteurs entrent au musée pour y admirer les vestiges du passé hellénique, témoins de l’histoire de la colonisation gréco-romaine qui a déployé ses forces passé Palmyre jusqu’à la Bactriane (l’Afghanistan d’aujourd’hui). Le vide accueillant du musée et la curiosité des réfugiés se rejoignent en une proximité éphémère, tout comme le modernisme contextuel de la Grèce rencontre ses derniers témoins humains.
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InfoMigrants, « Migration: Fewer people arrived on Greek Islands in 2021 », 7 janvier 2022, https://www.infomigrants.net/en/post/37717/migration-fewer-people-arrived-on-greek-islands-in-2021. ↩