L’expert en développement international
Texte de Tom Avermaete et de Maristella Casciato
« L’urbanisation a créé des problèmes d’une ampleur et d’une complexité telles qu’ils ont dépassé la capacité individuelle des experts à les régler. Le travail d’équipe est essentiel, et les équipes fonctionnent mieux si elles sont constituées de différents spécialistes mettant en commun leurs compétences au service d’un même objectif. Ce que nous espérons créer n’est pas une nouvelle profession, mais un nouveau genre de formation qui sensibilise les tenants des disciplines existantes aux problèmes de croissance urbaine et les amène à travailler en coopération au sein d’équipes efficaces1. »
C’est en ces termes qu’Otto Koenigsberger décrit l’avènement d’un nouveau type d’experts dont le nombre aura tendance à se multiplier dans les réseaux de planification transnationale de la période d’après-guerre. L’internationalisation de l’aide au développement s’accompagne de l’émergence de l’« expert en développement international », qui ne fait souvent que changer de camp; s’il travaillait jusqu’alors pour les intérêts et dans la perspective d’une seule capitale coloniale, il propose maintenant une notion sublimée d’assistance multinationale au « tiers-monde2 ». Dans d’autres cas, comme celui de l’Américain Jacob Crane, les expériences nationales en vue de mettre un terme aux problèmes de pauvreté et les réformes entreprises en ce sens dans les années 1930 aux États-Unis deviennent la principale source d’inspiration de l’approche d’organismes internationaux comme l’Administration de l’assistance technique (AAT).
La quasi-totalité des anciennes colonies connaît une croissance urbaine d’une rapidité sans précédent, qui se traduit généralement par une urbanisation informelle généralisée. Ce processus d’urbanisation, déjà souvent tendu en raison de la façon dont les frontières nationales ont été tracées, exacerbe rapidement les conflits ethniques, et mène à de graves problèmes de mouvements de réfugiés nationaux. Devant ces difficultés (et étant donné l’insuffisance d’expertise locale en matière de planification urbaine), les architectes et les urbanistes travaillent sur des plans transnationaux au sein d’équipes internationales et interdisciplinaires de spécialistes du développement.
En effet, dans de nombreux pays du Sud, le développement, passant par l’établissement d’innombrables plans et projets, met en évidence la nécessité d’une expertise qui s’appuie sur de solides connaissances en matière sociale, économique, technique et climatologique. Dans ces efforts d’élaboration de plans de développement urbain, des spécialistes en droit, en sciences sociales et en économie se joignent donc aux architectes et aux urbanistes. L’intégration de ces disciplines est normale si l’on tient compte de la nécessité intrinsèque d’exhaustivité de ces projets de planification. Tous les projets portant sur l’environnement bâti doivent en effet tenir également compte de problématiques culturelles, économiques et sociales plus vastes, mises au jour par la modernisation. De ces plans et projets disparates émerge graduellement un nouvel ensemble de connaissances architecturales et urbaines. Partout dans les pays du Sud, architectes et urbanistes élaborent cette expertise innovante en même temps qu’ils construisent en s’en inspirant.
Maristella Casciato est historienne d’architecture et conservatrice principale des collections architecturales au Getty Research Institute. Ce texte a été publié pour la première fois dans Casablanca Chandigarh : Bilans d’une modernisation, ouvrage produit au CCA en 2014.