À la chasse à la brochure sanitaire
Texte de Lee Stickells
Votre toilette est-elle à chasse d’eau? Quelle quantité d’eau utilise-t-elle? Où aboutissent vos rebuts? Dans les années 1970, repenser l’infrastructure domestique est une priorité pour les concepteurs préoccupés d’écologie. Même la technologie en apparence banale de la toilette est alors étudiée minutieusement pour ses implications environnementales, économiques, sociales et politiques. La toilette à chasse d’eau moderne, reliée à un système de traitement des eaux d’égout industriel, est alors devenue la solution pratique et conventionnelle dans les pays industrialisés. Toutefois, les problèmes liés à sa production et ses infrastructures gourmandes en capital, à l’utilisation importante de ressources (en particulier de l’eau) et aux effets des rejets d’eaux usées sur l’environnement ne vont pas tarder à se manifester.
En juillet 1973, le Groupe de conception de logements à coûts minimaux (GCLCM) de l’École d’architecture de l’Université McGill publie la brochure Stop the Five Gallon Flush! (Mettons fin à la chasse d’eau de cinq gallons). Le rapport est produit dans le cadre de la série « The Problem Is » (Voilà le problème), qui documente les recherches effectuées par le GCLCM en matière d’amélioration de la production de logements pour les familles à faible revenu. Stop the Five Gallon Flush! prend acte des défauts de la toilette à chasse d’eau (sur la couverture, on mentionne que « 70% de l’humanité n’a pas accès à l’eau courante ») et explore des systèmes alternatifs d’évacuation des eaux usées. Les rapports de la série sont vendus par le GCLCM sur commande postale.
Ce militantisme de la brochure découle en grande partie de l’accent mis sur l’efficacité et l’autonomie par le directeur du GCLCM, l’architecte Alvaro Ortega, lui-même engagé dans de nombreux projets d’habitat à prix modique des Nations Unies en Asie, Afrique et en Amérique du Sud à compter des années 1950. Dans cet esprit, au GCLCM, tout le processus de publication est fait sur place par l’équipe. Le fonds au CCA contient les photos originales, le texte composé, les épreuves montées prêtes à photographier et même les plaques d’imprimerie en aluminium de divers numéros de la série « The Problem Is ».
Cette approche emprunte aussi aux méthodes des médias de la contreculture qui prospèrent à l’époque en Amérique du Nord, en particulier sur la côte Ouest, profitant de technologies d’impression nouvelles, meilleur marché et plus accessibles. Les coûts de production sont généralement faibles, avec le recours à des polices de machine à écrire et des illustrations dessinées à la main collées et imprimées sur du papier peu coûteux. Grâce à ces efforts, une dynamique culture de l’imprimé se crée autour de la diffusion de matériel sur des sujets comme l’autosuffisance, l’écologie, l’éducation alternative, l’artisanat, le jardinage biologique, les énergies de remplacement et autres thèmes liés à des modes de vie holistiques.
Stop the Five Gallon Flush! réunit les univers de la recherche en développement international, du mouvement de la technologie appropriée, de l’édition sociétale contre-culturelle et du design écologique. Le succès est tel que l’édition originale est rapidement épuisée. En 1975, 1300 exemplaires ont déjà trouvé preneur, alors qu’une édition revue et augmentée sort des presses (on trouve dans le fonds du GCLCM au CCA un exemplaire de cette réimpression). Stop the Five Gallon Flush! va finalement se vendre à quelque 6000 exemplaires, intégralement par commandes postales, et annonce une vague de brochures et de livres qui feront la promotion de systèmes d’assainissement alternatifs. Parmi eux, Goodbye to the Flush Toilet (Au revoir, toilette à chasse d’eau) [1977], de Rodale Press, Sanitation Without Water (L’assainissement sans eau) [1978], de l’Autorité suédoise du développement international et le « classique » de Sim Van der Ryn, The Toilet Papers (Articles de toilette) [1978].
Lee Stickells était chercheur en résidence en 2014-2015.