Les jouets façonnent l’esprit no 2
Texte de Daria Der Kaloustian
De 1973 au milieu des années 1980, l’attention du public est constamment sollicitée par les questions énergétiques : pénurie de pétrole, rapports de force entre pays producteurs et consommateurs, recherche d’énergies de substitution. Les fabricants de jouets profitent de cette occasion pour créer et mettre sur le marché divers jeux de société qui incarnent ces problématiques et leur évolution.
Beaucoup de ces jeux présentent le pétrole comme une source de pouvoir et de fortune. Leurs titres sont d’ailleurs assez révélateurs : La conquête du pétrole, King Oil, Black Gold, Oil Power. Les joueurs s’engagent dans des opérations de prospection, d’achat et d’exploitation. Le but du jeu est toujours l’accès à la richesse : le gagnant est celui qui possède le plus grand nombre de puits de pétrole, comme dans Petropolis, ou celui qui accumule le plus de pétrodollars, comme dans North Sea Oil. Ces jeux sont généralement inspirés du Monopoly – dont les règles offrent une étroite analogie avec le fonctionnement du capitalisme –, mais leur emballage graphique adopte une imagerie compatible avec le monde du pétrole.
Une autre catégorie de jeux s’articule autour du double concept guerre/pétrole. Les joueurs sont invités à simuler des manœuvres militaires destinées à ouvrir la voie à la domination ou à la défense des pays producteurs. C’est le cas, par exemple, de Oil War.
Un troisième groupe, dont Alaska Pipeline et Energy Crisis Game, présente des stratégies de gestion d’une crise pétrolière. Ici, la fonction éducative est plus marquée dans la mesure où les besoins en pétrole et les diverses utilisations de celui-ci doivent être pris en considération par les joueurs dans le but de planifier la consommation globale de l’État.
Historiens et chercheurs considèrent souvent les jeux comme une source d’information sur les habitudes et les préoccupations majeures d’une époque. Par leurs mécanismes, leur signification, leurs objectifs, ils sont liés au contexte social qui les invente et les diffuse. Certains les voient même comme un ressort primordial de civilisation.1 Ainsi quand, vers la fin des années 1970, on met en avant la nécessité de conserver l’énergie et d’en exploiter de nouvelles sources, apparaissent sur le marché d’autres jeux qui s’inspirent de ces solutions ou offrent des manières de simuler leur mise en œuvre. Dans The Mileage Game, le joueur voyageur doit parcourir la plus longue distance possible en gaspillant un minimum d’énergie, alors qu’Energy Quest propose la recherche et l’acquisition d’une variété de nouvelles formes d’énergie.
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Roger Callois, « Préface », dans Jeux et sports, Pléaide Encyclopédie no 23, Paris, Gallimard, 1991, p. 8-9. ↩
Ce texte, ainsi que les jeux mentionnés, ont paru à l’origine dans notre publication de 2007 Désolé, plus d’essence, accompagnant l’exposition du même nom. Notre collection possède un nombre important de jeux et de jouets en lien avec l’architecture et la société.