La maison Kelbaugh
Texte de Pierre-Édouard Latouche
Douglas Kelbaugh admet ne pas s’y connaître en architecture solaire lorsqu’il entreprend, au début de 1974, la construction de sa résidence à Princeton, au New Jersey1. Récemment dimplômé de l’école d’architecture de l’Université de Princeton, Kelbaugh découvre le solaire en examinant la coupe schématique d’un mur Trombe dans une publication. L’étonnante simplicité du système le séduit à tel point qu’il décide de l’adopter.
Le terrain qu’il possède étant en grande partie ombragé, il se voit contraint d’édifier la maison dans la seule partie ensoleillée du lot, soit l’angle nord-est mesurant un peu plus de 92 m2. Pour distribuer les 195 m2 d’espace dont il a besoin, il doit donc construire sur deux étages et, conséquemment, superposer deux murs Trombe l’un sur l’autre, ce qui n’a encore jamais été fait. Les travaux commencent en 1974.
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Douglas Kelbaugh, entretien avec l’auteur, Ann Arbor, Michigan, avril 2007. ↩
Élévé en béton coulé et recouvert d’un revêtement sélectif noir, le mur Trombe mesure 56 m2 de superficie sur 38 cm d’épaisseur. Il est percé par six fenêtres. Une baie donne accès à une serre adossée au double vitrage recouvrant l’ensemble de la façade sud. Ce mur Trombe suit le modèle du mur capteur-accumulateur amélioré proposé par l’architecte Jacques Michel quelques années plus tôt afin de permettre la climatisation l’été. La maison, en charpenterie et très bien isolée, se déploie en appentis derrière l’épaisse paroi de béton. Admirateur de Le Corbusier, Kelbaugh ponctue la résidence de références corbuséennes : couleurs vives des volets intérieurs, revêtement en contre-plaqué de cèdre sur les côtés, niches-étagères contre-moulées dans la face intérieure du mur Trombe.
Au cours du premier hiver, en 1975-1976, le système passif permet des économies d’énergie importantes. Toutefois, plusieurs problèmes majeurs diminuent la performance d’ensemble : phénomène de convection inversée la nuit, déperdition thermique considérable causée par le vitrage simple de la serre et l’importance de la baie qui y donne accès, migration de la chaleur à l’étage par la cage d’escalier qui n’est pas fermée, comme le montre une série de relevés pris par Douglas Balcomb du laboratoire de Los Alamos en décembre 1977. Des appareils de mesure placés au rez-de-chaussée, à l’étage et dans la serre relèvent une assez grande stabilité de la température intérieure qui oscille entre 13 et 24 °C, pour une moyenne de 17 °C, alors que la température extérieure fluctue entre -13 et 14 °C1. Des ajustements successifs viendront progressivement à bout de ces problèmes.
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Douglas Kelbaugh, « Kelbaugh House: Recent Performance », dans Proceedings of the 2nd National Passive Solar Conference, Newark, Delaware, American Section of the International Solar Energy Society, 1978, p. 69-75. ↩
La conception, les avatars et les ajustements qui marquent les premières années d’occupation de la maison Kelbaugh illustrent bien la nature expérimentale des premières maisons solaires construites dans la foulée du choc pétrolier de 1973. En dépit de nombreux précédents au cours du XXe siecle, le savoir-faire solaire à l’automne 1973 reste encore un territoire neuf. Pour Douglas Kelbaugh l’expérience est profitable. En 1978, il fonde Kelbaugh & Lee. L’agence conçoit, jusqu’à sa dissolution en 1985, une vingtaine de projets et remporte 15 prix dont le National Award de l’American Institute of Architects pour le Roosevelt Solar Village, au New Jersey.
Ce texte et les illustrations qui l’accompagnent ont été publiés pour la première fois dans notre livre de 2007 Désolé, plus d’essence. La lettre et la fiche technique en haut de la page proviennent du fonds Douglas Kelbaugh, qui comprend des dessins, des photographies et d’autres documents en lien avec plus de 20 projets de Kelbaugh & Lee.