1970 : Caro Adolfo
Une lettre d’Alessandro Poli
Florence 1970
Cher Adolfo
Nous avons vu les images télévisées de la conquête de l’espace, le plus grand événement médiatique du vingtième siècle.
Au lendemain du débarquement sur la lune, le propos de l’architecture ne peut plus être celui que nous avions auparavant conçu, imaginé et construit à partir de notre vision du monde : l’image réelle surpasse désormais les utopies qui avaient présidé à nos créations.
Pas de nuages, pas de vent, pas de gravité, pas de conflits, pas de rumeurs, mais le grand malaise de se découvrir tout petits, car même les grands monuments, les solides édifices disparaissent à force de nous sembler éloignés. Il ne s’agit pas pour nous d’avoir conquis l’espace, puisque c’est l’espace qui nous a conquis, ne laissant subsister qu’une traînée de projets inachevés, de souvenirs, de projets jamais réalisés, de possibilités, de retours difficiles à la vie sur Terre;
L’architecture du vaisseau spatial, faite d’un rien revêtu de papier d’étain, est aussi frêle que l’étaient ses occupants, et pourtant fascinante à l’extrême au milieu de ce paysage poussiéreux où tout semble immobile.
L’architecture interplanétaire est une architecture du paysage; tout y est architecture : la planète [Terre], la Lune, les étoiles. Notre projet consistera à composer et à comprendre de nouveaux modes et procédés, et à nous laisser transporter et traverser par eux, puis à recréer, sans l’angoisse d’avoir à inventer de nouvelles formes architecturales et de nouveaux monuments, des milieux où de simples cabanes permettront de vivre plongés dans la vaste architecture de l’espace.
Pour élaborer un tel projet, il faut recourir à des outils différents, autres que les stylos à encre de Chine, crayons et photomontages; il faut plutôt faire appel au mouvement de caméra, tel que dans l’art cinématographique.
Nous avons publié cette lettre à l’origine dans notre livre Autres odyssées de l’espace : Greg Lynn, Michael Maltzan, Alessandro Poli paru en 2010, qui accompagnait l’exposition du même nom.