C’était le futur

Tout dessin de conception architecturale constitue en soi une projection dans l’avenir, mais certaines projections dépassent leur contexte immédiat pour révéler quelque chose de plus vaste – et de particulièrement pertinent pour leur époque. Les courants d’angoisse ou d’optimisme qui traversent les moments présentés dans ce dossier sont certes identifiables, mais il ne faudrait pas se leurrer en pensant qu’ils sont familiers : il s’agit de futurs du passé, auxquels nous ne sommes jamais parvenus. Ils restent ainsi en suspens, révélant à notre esprit des axes possibles de compréhension des problématiques contemporaines.

Article 6 de 14

1977 : « Zuma number 3 »

Texte de Richard Pare

John Divola. « Zuma number 3 » (vue de l’intérieur d’une maison de plage abandonnée, Californie), 1977, imprimé 1982. PH1985:0001:006

Cette photographie de John Divola, tirée du portfolio Zuma, date de 1977, époque à laquelle minimalisme et arts de la performance connaissent leur apogée. Divola a toujours suivi une approche indépendante de la photographie, enrichie des grands concepts du monde de l’art, au-delà de la simple représentation. Il y a souvent dans ces photographies des sous-entendus qui soulèvent de plus grandes questions. Le présent exemple traite des concepts de destruction et de création, d’intervention et d’observation, d’opacité et de transparence, de positif et de négatif, de performance et de spectateurs, de violation et de respect, et de violence et de paix.

Le site, un bungalow de plage, illustre le criant besoin de terrains à bâtir typique de cette portion de la côte ouest américaine. Des maisons étaient construites – et continuent de l’être – sur des terrains improbables, menacés par les inondations, les tremblements de terre, les coulées de boue, les feux de broussailles, et ici, de l’érosion côtière. Fasciné par les manifestations de ce type d’excès, le photographe commença l’exercice au départ avec le simple souci de documenter cette destruction. À l’époque de la prise de vue, le photographe ne disposait pas d’un studio et avait donc l’habitude d’emmener son appareil sur des propriétés à l’abandon qui, très vite, remplirent ce rôle par substitution. De là, il était logique de commencer à intervenir dans ces espaces et de transformer le « studio » en sujet. À mesure de la progression de cette série, le désir d’intervenir dans l’espace et d’avoir une plus large influence sur l’œuvre se fait plus fort et rejoint vite des concepts comme le vandalisme et la création. Ces extrêmes créent une tension dans cette photographie, exacerbée par la brutalité et l’artificialité de l’éclairage de l’intérieur au flash en contradiction avec le calme de la mer sous le soleil à l’extérieur. Les bords acérés des éclats de verre sont à la fois réfléchissants et transparents. Le bâton bleu, probablement un objet trouvé, apporte un mouvement vertical bien que peu marqué puisqu’il disparaît pratiquement devant le ciel, créant ainsi un autre genre de tension qui vient de l’ambiguïté de sa position autant que la signification du mouvement qu’il crée.

La photographie évoque plusieurs pistes de réponse. La première impression en est une de menace et elle transparaît dans la sensation de désorientation presque inquiétante induite par le contraste entre le sol en désordre et l’horizon. Ce malaise persiste et demeure la principale caractéristique de la photographie juste devant la curiosité… jamais nous ne saurons dans quelles circonstances la photographie a été prise, pas plus que nous ne connaîtrons les conséquences de l’incident. Ces questions en suspend deviennent partie intégrante de la dimension « performative » de l’œuvre. La destruction que l’on suppose causée par l’érosion du sol qui soutient le bungalow fait partie du « futur » de la photographie, même si nous savons aujourd’hui que le bâtiment a disparu depuis longtemps. A-t-il été détruit par la main de l’homme ou par la nature? Combien de temps est-il demeuré en l’état? Qu’est-ce qui a finalement causé sa perte, le feu ou l’eau?

Cet essai a été publié à l’origine chez Casabella, juin 2000.

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