1935 : Votre maison comme abri anti-aérien
Texte de David Monteyne
Deux ouvrages et quelque soixante et une publications du gouvernement britannique rejetés par la bibliothèque municipale de York (York Public Library) sont réunis dans un coffret de la collection du CCA. Les publications regorgent de conseils et de plans dessins très convaincants illustrant, avec un aplomb tout churchillien, « les caractéristiques idéales de tout bâtiment ainsi que celles à éviter en regard des effets perturbateurs des bombardements aériens. »
Une histoire de la seconde guerre mondiale sur le front britannique transparaît à travers les titres de ces publications. La collection commence en 1935 avec une publication du Home Office, le ministère de l’intérieur britannique, intitulée Air Raid Precautions [Précautions à prendre en cas d’attaque aérienne], qui commence en précisant que son existence « n’implique en rien un risque de guerre imminente ». Trois ans plus tard, le ministère confirme les craintes grandissantes en publiant Pamphlet on Garden Trenches, un manuel sur les abris anti-bombardement personnels, et The Duties of Air Raid Wardens, un survol des devoirs du préposé aux attaques aériennes. Dans cette dernière publication, des notes manuscrites donnent les noms et adresses de préposés locaux ainsi que d’autres employés du gouvernement à contacter en cas d’urgence.
Les ouvrages publiés en 1939 témoignent des intenses préparatifs à la guerre à l’échelle nationale. Le bureau du lord du Sceau privé s’adresse directement au peuple à propos de « ce que vous devez savoir au cas où la guerre éclaterait » – alertes en cas d’attaque aérienne, masques à gaz, panne majeure d’électricité, etc. Les industries et les institutions se voient donner des conseils quant au « Camouflage de bâtiments et équipement d’envergure » (y compris des échantillons de couleurs) et aux « précautions à prendre en cas d’attaque aérienne à l’attention des musées, des galeries de peinture et des bibliothèques publiques ».
Dès 1941 émerge la pertinence d’un autre mode de préparation, comme en témoigne Advising the Public in the Event of an Invasion [Aviser le public en cas d’invasion]. L’année suivante, ces simples conseils cèdent la place à Consolidated Instructions to Invasion Committees (Confidential), des instructions confidentielles à l’attention des comités spéciaux chargés des invasions, et autres considérations tels les tribunaux en zone de guerre et les pouvoirs étendus du gouvernement en cas d’urgence nationale.
L’invasion n’a jamais eu lieu, et la collection est restée la même jusqu’en 1949, avec ses dix-huit fascicules reliés au cordon bleu en un volumineux ouvrage intitulé Civil Defence Manual of Basic Training [Manuel d’entraînement de base en défense civile]. Il est plausible de penser que ces ouvrages sont représentatifs des réimpressions de documents de la Seconde Guerre mondiale, comme en témoignent les intercalaires à propos de « l’avènement de la bombe atomique » soigneusement ajoutés aux fascicules par les bibliothécaires responsables du référencement.
Ce manuel traitant de défense en période de guerre froide constitue une étape intéressante en regard des techniques actuelles en matière de sécurité intérieure, telles qu’utilisées par les architectes et autres spécialistes aux États-Unis et ailleurs. Comme l’illustre cette pièce de la collection du CCA, qui couvre deux décennies, les bases de la défense telle que l’envisageaient les Anglo-américains étaient jetées : abris (qu’ils soient publics ou privés), prévention des incendies et procédures de décontamination, sauvetage et premiers soins, plans d’urgence en approvisionnement alimentaire et renforcement des bâtiments contre les attaques, ce que les Britanniques appellent la défense structurelle (« structural defence »).
Pendant la période qui voit les États-Unis établir leurs politiques en matière de défense, aux alentours de 1951, les autorités s’inspirèrent grandement du modèle britannique pour leurs publications. Au fil de nombreuses transformations d’ordre bureaucratique, la United States civil defence (ministère de la Défense) devient FEMA, la Federal Emergency Management Agency, qui transférera ses compétences en matière d’attaques ennemies au Department of Homeland Security (ministère de l’Intérieur) après le 11 septembre 2001. La lecture des manuels traitant d’organisation de la sécurité et de planification révèle aujourd’hui encore les mêmes considérations quant aux « caractéristiques idéales de tout bâtiment et celles à éviter » en cas d’attaque aérienne ou à la voiture piégée.
David Monteyne était chercheur invité au CCA en 2008-2009. Une sélection de ces publications a été présentée dans le cadre de notre exposition Architecture en uniforme en 2011.