Nous sommes tous astronautes ...
Texte de Geoff Manaugh
« Le plus grand défi pour le monde d’aujourd’hui est le retour à la Terre; et il nous faut le relever ensemble ».1
— Alessandro Poli
Alessandro Poli, anciennement de Superstudio, conçoit une rencontre fictive entre Buzz Aldrin, l’astronaute américain, et un agriculteur italien du nom de Zeno, du village de Riparbella. Le moment est bref; Poli le représente grâce à un photomontage réalisé en 2008, intitulé Zeno rencontre Aldrin à Riparbella. L’image montre peu de choses : Zeno à gauche, séparé de l’astronaute qui s’approche par une suite de traits au crayon servant à faire allusion à un paysage plutôt familier, mais bizarrement étranger.
Le contexte de leur rencontre, toutefois, est extraordinaire : il vise à faire ressortir le contraste entre les paysages que tous deux ont vus, et à comparer les outils et l’équipement qu’ils ont utilisés pour rendre ces paysages habitables. Il y a, d’un côté, la Terre; de l’autre, la Lune – mais ce qui permet aux humains modernes de survivre dans ces corps célestes, ce sont une série de pièces d’équipement fabriquées spécialement à cet effet. Dispositifs, mécanismes, instruments, outils : ces outils qui tiennent dans la main servent à transformer ce qui autrement serait hostile à l’être humain – ou, à tout le moins, lui rendrait la vie inconfortable. En effet, c’est grâce à de tels outils, et aux environnements architecturaux auxquels ils sont reliés, que des planètes entières deviennent disponibles à l’expérience anthropologique dans des dimensions jusqu’alors impossibles. Même l’agriculture la plus élémentaire, pourrait-on dire, est une forme de terraformation appliquée.
Pour Zeno, cela se traduit par un vaste éventail d’outils vernaculaires, pas vraiment plus complexes que du matériel de jardinage, que Poli dispose à la vue des visiteurs. Parmi eux, des crochets, tarières et équipement de récolte variés, chacun étiqueté avec précision. Et bien sûr, la grange personnelle de Zeno : sa propre capsule spatiale. Pour Aldrin, cela s’illustre par une série ésotérique, mais non moins vernaculaire, de dispositifs de haute technologie fournis par la NASA, afin qu’il puisse survivre dans l’espace et sur la surface lunaire.
Mais ce que je trouve le plus extraordinaire ici, c’est l’idée que l’expérience anthropologique de toute planète, quelle qu’elle soit, incluant la Terre, soit obligatoirement médiée par une série d’outils – un assemblage d’outils à la Heidegger qui cultivent, élaguent, transforment et domestiquent un environnement qui serait sinon impropre à la vie humaine.
Le résultat, bien sûr – même si je n’aime pas ce type de généralisation –, c’est que nous sommes déjà tous des astronautes, qui utilisent les outils qui s’offrent à eux pour chercher ou construire de nouveaux types d’habitation sur une planète sur laquelle il serait autrement impossible de survivre. Ainsi présentée, la vision vaguement suggérée par Poli à l’effet que des agriculteurs dans l’Italie rurale pourraient un jour avoir recours à des outils lunaires adaptés à la culture de produits de base ne semble ni improbable, ni relever de la science-fiction. Tout ça n’est que de l’équipement pour vivre.
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Alessandro Poli, « Zeno et Aldrin se rencontrent dans la campagne toscane, à Riparbella, au cours de l’été 2008 », dans _Autres odyssées de l’espace : Greg Lynn, Michael Maltzan, Alessandro Poli__, Montréal, Centre Canadien d’Architecture et Zurich, Lars Müller Publishers, 2010, 93. ↩
Geoff Manaugh a visité l’exposition Autres odyssées de l’espace en 2010, alors qu’il se trouvait au CCA dans le cadre du programme de chercheurs invités.