Figurer un territoire

Comment en vient-on à déterminer un territoire, physiquement ou visuellement, et qui construit cette définition? Si le terme « territoire » est fréquemment employé pour décrire une superficie de terre, un pouvoir ou un savoir précis, circonscrits, une telle définition formelle s’avère complexe – voire occultée ou infirmée – étant donné le flot de matériels et de souvenirs qui circulent par-delà les frontières et les périodes. Ce dossier s’attache à mettre en lumière la malléabilité des territoires et les façons dont ceux-ci sont ou pourraient être représentés dans les infrastructures, les médias, les corps et les identités.

Figurer un territoire est conçu par Claire Lubell, Alexandra Pereira-Edwards et Andrew Scheinman.

Article 10 de 19

L’oblitération de Bagdad

Amin Alsaden sur la violence infligée par les représentations de la ville dans les films occidentaux

Lors d’un voyage à Bagdad dans les années 1950, seul un bâtiment impressionna quelques touristes britanniques. Ce sanctuaire éblouissant se dressait au centre d’un quartier ancien de la ville, le scintillement de ses dômes et minarets contrastaient vivement avec la modeste architecture vernaculaire qui l’entourait. Dans les observations publiées, les visiteurs mentionnent tout particulièrement cette zone, la banlieue nord « pittoresque » de Kadhimain, la reconnaissant comme « la seule partie de Bagdad [sic] qui ressemble un tant soit peu à la ville dans laquelle Marlene Dietrich a si souvent joué »1. La star de cinéma apparaît en 1944 dans le film Kismet, inspiré des Mille et Une Nuits.

L’impact des films occidentaux tels que Kismet sur la représentation de Bagdad pour le public mondial fut considérable, jusqu’à influencer les rencontres réelles avec la ville. En raison du mandat britannique qui colonisa l’Irak de 1917 à 1958, ainsi que des troubles chroniques du pays au cours des décennies qui suivirent l’indépendance, Bagdad resta largement inaccessible aux personnes étrangères pendant la majeure partie du XXe siècle. Ces Britanniques en voyage étaient donc plutôt une exception2. Beaucoup n’ont pas pu connaître de visu – et ainsi restituer fidèlement – la réalité de ce territoire. En conséquence, les perceptions globales de Bagdad ont été principalement façonnées par des récits fabriqués – des histoires qui circulaient et étaient adoptées principalement en Occident, sans guère de vérification ou de confrontation – et rarement fondées sur la forme physique de la ville ou les récits des personnes qui l’habitent.


  1. Desmond Stewart et John Haylock, New Babylon: A Portrait of Iraq, Collins, Londres, 1956, p. 33.  

  2. L’influence exercée par la Grande-Bretagne sous le règne de la monarchie hachémite a permis aux voyageurs Britanniques, plus que tout autre, de se rendre en Irak. 

Bagdad (1949), réalisé par Charles Lamont. Capture d’écran du film. ©  Universal Pictures

Pour les personnes qui parvenaient à s’y rendre, la ville de Bagdad se révélait souvent décevante : sous l’influence des représentations cinématographiques, les touristes observaient un décalage notable entre les versions fictives de la Bagdad de leurs foyers et la ville réelle. En effet, la Bagdad à l’écran, qui peut être considérée comme une étude de cas extrême, se substituant aux représentations d’autres parties de l’Asie du Sud-Ouest (ou du « Moyen-Orient », une région à l’intersection des mondes arabe et musulman), a été, pendant une grande partie de la période moderne, systématiquement fabriquée dans l’imaginaire collectif mondial à travers des récits médiatisés et inventés. Selon moi, ces représentations ont servi à réifier les perceptions coloniales et néolibérales de cette géographie au cours des fabulations qui valident et facilitent les exploits impériaux.

Aux débuts de l’histoire du cinéma, la véritable Bagdad a été enterrée sous le poids écrasant de récits alimentés par ce qui semble être un exotisme bénin, dont le regard canalisait la résidence éternellement pittoresque, opulente et décadente d’Aladin. Des représentations ouvertement excentriques ont présenté la ville comme un spectacle, une surcharge d’images hallucinatoires, nourrissant l’appétit populaire pour les excès affriolants associés aux Mille et Une Nuits dans l’imaginaire occidental. Ce phénomène s’est clairement appuyé sur des représentations antérieures, notamment dans la littérature et la presse écrite, mais l’essor du cinéma comme mode de narration le plus populaire a coïncidé avec la phase durant laquelle Bagdad était en grande partie inaccessible. En effet, peut-être plus que tout autre média, c’est le cinéma qui a contribué à ancrer l’idée de Bagdad comme lieu de l’intriguant, et tout aussi menaçant, « Orient ».

Bagdad est fréquemment utilisée comme point central (ou du moins comme référence récurrente) d’un monde parallèle, enchanteur et onirique. Dans de nombreux films du début et du milieu du XXe siècle, la ville est un lieu où les lois de la logique ne s’appliquent plus et où règne un chaos réjouissant. « Bagdad est la fabuleuse ville des Mille et Une Nuits de Shéhérazade » affirme la narration d’un film de 1949 au titre éponyme de la capitale irakienne. La caméra, quant à elle, parcourt le plateau de tournage, dévoilant la maquette d’une cité orientale archétypale amarrée à un paysage vallonné, avec ses dômes et ses minarets surplombant une forme urbaine hétéroclite. Au loin, on distingue d’énormes dunes dans le désert. Dans ce film et bien d’autres, Bagdad est présentée comme une ville de montagne du Sahara semblable à une casbah, alors qu’en réalité, elle est située au cœur d’un paysage plat et fertile. « Depuis cinq mille ans », poursuit la voix hors champ, « une forteresse dans le désert, carrefour entre l’Occident civilisé et l’Orient sauvage »1.

Certains des premiers films réalisés confirmaient ce prétendu lien entre Bagdad et l’Orient. Les intertitres informatifs des films muets déclaraient : « Bagdad [sic] le joyau de l’Orient » ou « Bagdad, ville mythique de l’Orient ancien »2. Si c’est la fascination occidentale pour l’Orient qui a donné du crédit à la ville, l’inverse est également vrai : la Bagdad fictive a donné forme à la notion changeante de l’Orient. Bagdad et l’Orient, en d’autres termes, se co-constituaient mutuellement.


  1. Bagdad, 1949, réalisé par Charles Lamont, Californie, Universal International Pictures, DVD.  

  2. Les citations sont tirées des intertitres des films : The Thief of Bagdad an Arabian Nights Fantasy [Le Voleur de Bagdad], 1924, réalisé par Raoul Walsh, New York, Kino on Video, 2004, DVD ; et Kismet an Arabian Night Fantasy [Kismet],1920, réalisé par Louis J. Gasnier, Phoenix, Arizona, Grapevine Video, 2011, DVD. 

Le voleur de Bagdad (1924), réalisé par Raoul Walsh. Capture d’écran du film. Douglas Fairbanks Pictures

Les mille et une nuits (1942), réalisé par John Rawlins. Capture d’écran du film. © Universal Pictures


Les attributs architecturaux de ces Bagdad cinématographiques varient considérablement : certains paraissent fondés sur des exemples réels de villes emblématiques du monde arabe et musulman, tandis que d’autres sont le fruit de l’imagination débridée des personnes qui les ont créés. L’une des plus étranges concoctions se trouve dans le film de 1924 Le voleur de Bagdad, dans lequel une vue aérienne dévoile une ville dotée d’une telle accumulation de dômes en forme d’oignon et de minarets assortis que l’on a clairement l’impression que cette typologie est la seule de la ville1. Ces éléments ont vraisemblablement été choisis pour souligner l’altérité musulmane de l’Orient, en accentuant ce qui était le plus différent dans la forme urbaine de cette culture. Plusieurs films, dont Les Mille et Une Nuits de 1942, situent Bagdad comme un avant-poste isolé au sein d’un vaste désert, protégé par de hautes murailles, dont les bâtiments semblent surgir d’une enclave mystique. Bagdad était perçue par le public comme une entité spatiale lointaine et curieuse, incorporée dans et définit par un paysage inhospitalier.

Au XXIe siècle, ces représentations antérieures, sans doute motivées par une curiosité orientaliste pour « l’autre », ont cédé la place à des portraits plus militants de Bagdad. La ville, toujours obscure dans les représentations actuelles, est désormais vilipendée dans les films de guerre comme le « territoire hostile », le terreau de ce que le public est amené à percevoir comme la menace ultime pour la démocratie occidentale, incarnée par de prétendus groupes insurgés et terroristes qui émergent de ses ruines urbaines postapocalyptiques. Ce changement radical est né de la guerre du Golfe de 1991 et s’est accentué de façon spectaculaire à la suite du 11 septembre, tournant décisif dans le processus généralisé de diabolisation des populations musulmanes, puis à l’invasion américaine de l’Irak en 2003.

Ainsi, dans les films récents, Bagdad est devenue le champ de bataille prototypique. La capitale contemporaine est aujourd’hui mise en scène comme n’importe quelle ville moderne générique, ravagée par le conflit ou délabrée du monde musulman et arabe. Curieusement, c’est peut-être le film d’animation populaire de Disney, Aladdin, sorti en 1992, qui marque le premier cette transition. La guerre du Golfe a incité les cinéastes à changer le décor du film d’animation de Bagdad en une ville imaginaire aux consonances orientales intitulée « Agrabah » (une anagramme quasi exacte de Bagdad), afin d’éviter toute association douteuse entre la ville qui était alors impitoyablement bombardée et le lieu de l’histoire divertissante produite dans le pays même qui menait l’attaque2.

Ensuite, le bombardement de Bagdad devient toutefois le trope le plus courant. Dans le film de guerre acclamé par la critique en 2008, The Hurt Locker, l’un des innombrables longs métrages générés par les aventures militaires sans fin de l’Amérique en Irak, les scènes de tension sont centrées sur une unité de désamorçage d’explosifs de l’armée états-unienne exécutant sa mission dans ce qui est vraisemblablement la Bagdad d’aujourd’hui. Le suspense est palpable et, bien que les méchants soient censés être des guérilleros attaquant les soldats américains, les rues terrifiantes de la ville constituent en fait les principaux adversaires. Le tout est soigneusement orchestré : les routes poussiéreuses et désolées, les voitures brûlées, les structures urbaines pauvres et délabrées, les infrastructures abandonnées, telles que les voies ferrées, qui se trouvent dans des quartiers résidentiels, les panneaux en arabe qui se ternissent sous les rayons agressifs du soleil, les chèvres qui se nourrissent de déchets éparpillés stratégiquement devant la caméra et, bien sûr, les dômes et les incontournables minarets. Dans ce film, le danger ne vient pas seulement des tireurs d’élite, des engins explosifs artisanaux ou même de ces individus impénétrables qui peuplent Bagdad, dont nous ne comprenons pas le charabia et dont les visages à la peau sombre nous échappent, mais de la ville elle-même, avec son terrain accidenté et déroutant, mi-désert, mi-ghetto, où ne pourrait habiter des êtres humains attachants, mais seulement des autochtones rustres que les forces américaines bienveillantes ont pour mission de libérer et de démocratiser. Ce paysage supposé authentique de Bagdad, adossé curieusement à des collines ondulantes, a en fait été tourné en Jordanie, bien que le Maroc et le Koweït aient également été envisagés3.

Dans le film d’action Green Zone (2010), Bagdad est pareillement tournée ailleurs, en l’occurrence dans différents lieux du Maroc4. Bien qu’elle ne soit pas aussi cohérente ou monolithique que les Bagdad vus dans d’autres films, la ville de Green Zone apparaît à travers des séquences éloquentes, toutes unifiées par un soleil doré et une poussière ocre : le terrain vague, rempli d’infrastructures délabrées; le désarroi d’une ville dense avec un enchevêtrement incompréhensible de circulation et de piétons frénétiques; et la jungle de béton criblée de balles, où de courageuses forces américaines combattent des « extrémistes » qui résistent inexplicablement à une invasion étrangère de leur territoire.


  1. The Thief of Bagdad an Arabian Nights Fantasy [Le Voleur de Bagdad], 1924, réalisé par Raoul Walsh, New York, Kino on Video, 2004, DVD.  

  2. Cela a été confirmé par les réalisateurs Ron Clements et John Musker, qui ont déclaré que l’histoire se déroulait effectivement à Bagdad à l’origine avant que Roy Disney refuse cette idée en réaction à la première guerre du Golfe. Alors, Musker « a pris des lettres et a composé un anagramme confus et est arrivé à Agrabah [la ville d’Aladin dans le film]  ». Voir : Zach Johnson, « Disney Myths Debunked by Ron Clements and John Musker, Directors of The Little Mermaid, Aladdin and Hercules », E! News, 15 octobre 2015, consulté le 26 mars 2022, http://www.eonline.com/uk/news/706239/disney-myths-debunked-by-ron-clements-and-john-musker-directors-of-the-little-mermaid-aladdin-and-hercules.  

  3. À propos du tournage du film, voir : Borys Kit, « ‘Locker’ lands 3 in Iraq story », The Hollywood Reporter, 17 juillet 2007, consulté le 26 mars 2022, https://www.hollywoodreporter.com/business/business-news/locker-lands-3-iraq-story-143373/ ; Glenn Whipp, « Kathryn Bigelow and the making of ‘The Hurt Locker’ », Los Angeles Times, 23 décembre 2009, consulté le 26 mars 2022, https://www.latimes.com/archives/la-xpm-2009-dec-23-la-en-bigelow23-2009dec23-story.html ; et Nick Dawson, « Time’s Up: Kathryn Bigelow’s The Hurt Locker », Filmmaker, 5 mars 2010, consulté le 26 mars 2022, https://filmmakermagazine.com/4686-times-up-kathryn-bigelows-the-hurt-locker-by-nick-dawson/#.Yj8045rMKWAx.  

  4. « Green Zone | 2010 », The Worldwide Guide to Movie Locations, consulté le 27 mars 2022, http://movie-locations.com/movies/g/Green-Zone.php#:~:text=Most%20of%20Green%20Zone’s,of%20the%20Bou%20Regreg%20river. 

Green Zone (2010), réalisé par Paul Greengrass. Capture d’écran du film. © Universal Pictures, StudioCanal et Relativity Media

Le Démineur / The Hurt Locker (2008), réalisé par Kathryn Bigelow. Capture d’écran du film. © Voltage Pictures, Grosvenor Park et MediaFilm Capital Europe Funds


Il ne faut pas nécessairement s’attendre à ce que les représentations de Bagdad issues de superproductions américaines relayant avec sympathie le point de vue de soldats américains soient nuancées ou empreintes de sensibilité. Toutefois, le fait que de tels films fusionnent les différents lieux d’une vaste région et les présentent comme s’ils étaient interchangeables est en soi stupéfiant. Pourtant, l’amalgame que font ces films des villes contemporaines de cette région du monde et leur utilisation comme substituts d’une Bagdad fictive est instructive et témoigne de similitudes évidentes : l’architecture précaire et l’état de délabrement omniprésent, par exemple, qui attestent des héritages dévastateurs du colonialisme, des ravages des fréquentes interventions militaires et du soutien des régimes despotiques qui ont longtemps veillé aux intérêts occidentaux dans la région. Paradoxalement, ces similitudes sont amplifiées par les films de guerre, dans lesquels l’hétérogénéité des villes de ces géographies est délaissée au profit de représentations cinématographiques stéréotypées de lieux jugés trop risqués pour être filmés, mais dont les histoires sont néanmoins trop importantes pour être ignorées.

Le film Jarhead (2005) incarne les représentations récentes de Bagdad et d’autres parties instables de cette région. L’histoire se déroule en réalité à l’époque de la guerre du Golfe, et la majeure partie du scénario se situe donc dans un paysage désertique, à la frontière entre l’Irak et le Koweït (la capitale irakienne a été bombardée en 1991, et plusieurs autres frappes aériennes ont eu lieu au cours de la décennie, mais les troupes terrestres des forces alliées ne sont pas arrivées dans la ville avant 2003). Outre la manière dont le désert est présenté comme un terrain étranger où se déroulent les guerres américaines – remplaçant le trope de la jungle tropicale que l’on retrouve dans de nombreux films sur la guerre du Vietnam – une scène vers la fin du film est remarquable par l’économie avec laquelle elle montre ce qui ressemble à Bagdad. Dans un saut dans le futur sur l’invasion de l’Irak en 2003, le personnage joué par Jamie Foxx (un sergent-chef de l’armée américaine qui proclame son amour de la guerre plus tôt dans le film) apparaît au combat, ce qui laisse penser qu’il dirige les troupes vers Bagdad. Capturée furtivement, la ville est représentée par un fragment urbain : des murs beiges, décrépis, criblés de balles, ornés de peintures murales de Saddam Hussein, des affiches flétries avec des croissants – qui curieusement, et avec une admirable efficacité hollywoodienne, épellent simplement le mot « Islam » en arabe – et un véhicule militaire calciné. En fait, ce décor a quelque chose de sinistrement familier, et pas seulement parce qu’il semble si commun aux films de guerre récents : en soustrayant les soldats américains, le véhicule et l’imagerie contemporaine, on pourrait facilement imaginer le même décor utilisé comme toile de fond pour une scène de marché typique d’un film orientaliste d’époque.

Il n’est pas surprenant que la première tendance de représentation ait été omniprésente lorsque l’Irak était sous contrôle britannique, tandis que la seconde s’est multipliée à la suite des attaques américaines et alliées contre l’Irak, pour atteindre son point culminant avec l’occupation du pays, l’une des formes les plus effrontées de néocolonialisme de l’histoire récente. Ces représentations enchevêtrées, enracinées dans l’orientalisme au cours de la période moderne et dans l’islamophobie aujourd’hui, font partie intégrante des types de récits diffusés sur cette partie du monde, contribuant à l’ingérence politique, aux projets d’« amélioration » et, en fin de compte, à la domination sur ses terres et son pétrole (cette région reste vitale pour la demande mondiale insatiable en combustibles fossiles, et l’invasion de l’Irak en 2003 ne peut être comprise sans tenir compte des besoins énergétiques américains). Ces mêmes récits qui garantissent le maintien de la suprématie et la stabilité de l’Occident sont souvent présentés aux dépens du reste du monde, qui se voit privé du droit de raconter son propre point de vue.

Edward Saïd a écrit que « le pouvoir de raconter, ou d’empêcher d’autres récits de se formuler et de naître, est essentiel à la culture et à l’impérialisme, il constitue l’un des principaux liens entre eux » et, a-t-il précisé, il détermine la façon dont le territoire est représenté, et donc contrôlé, dans le cadre de l’entreprise coloniale1. Il ne s’agit pas de suggérer que ces films ont été produits délibérément à des fins de propagande, mais qu’ils sont, comme les œuvres marquantes de fiction moderne examinées par Saïd, produits sous l’empire, et qu’ils contribuent à diffuser certains récits développés au centre sur les « autres » en marge, tout en supprimant, subrepticement et involontairement, des récits plus nuancés ou contestataires. La guerre n’est pas seulement menée par des armes meurtrières; son arsenal est également discursif, encourageant une offensive idéologique et culturelle imperceptible qui comprend des exclusions discriminatoires, des affinités sélectives et des représentations prescrites.


  1. Edward W. Said, Culture and imperialism, Knopf, New York, 1993, p.  13. [Culture et impérialisme, traduit de l’anglais par Paul Chemla, Fayard, Paris, 2000.] 

Jarhead : la fin de l’innocence (2005), réalisé par Sam Mendes. Capture d’écran du film. © Universal Pictures, Red Wagon Entertainment et Neal Street Productions

Les films dont il est question ici, produits pour la plupart aux États-Unis, ne sont certainement pas les seules représentations de Bagdad. Comme toutes les grandes villes, Bagdad a inspiré de nombreuses autres expressions du sens que revêt, pour de multiples personnes, ce centre urbain culturellement riche, historiquement important et en constante évolution, qu’elles soient locales ou étrangères. Cependant, ce sont les principales représentations de Bagdad par l’Occident, et ensemble, elles en disent plus sur l’Occident que sur la ville elle-même, ou plus largement la région. En effet, la Bagdad filmée n’a généralement rien à voir avec la ville réelle, mais est construite à partir de versions fantasmagoriques de celle-ci, profondément ancrées dans la psyché de l’imagination occidentale.

Ces quelques paragraphes n’ont pas pour ambition d’explorer ou de faire connaître les autres Bagdad – dans leurs formes plurielles, réelles ou imaginées – occultées par ces représentations (une démarche particulièrement difficile pour les personnes qui ont une expérience vécue de la ville et qui en connaissent la complexité). Ce n’est pas non plus le lieu pour démanteler ou réécrire les interprétations de ce territoire. Cet essai se veut simplement un bref aperçu de quelques exemples issus de deux tendances insidieuses de représentation – qui ne font peut-être qu’effleurer la surface – pour mettre en évidence la manière dont la ville est inexorablement oblitérée par un flux constant d’images fabriquées, diffusées dans le monde entier, souvent acceptées en raison de leur fréquence et de leur persistance comme des représentations exactes de la réalité bagdadienne.

En reconnaissant la manière dont la connaissance d’un territoire est façonnée par les récits dominants créés par les personnes dont les visions du monde sont influencées par les puissances impériales, il est possible de mieux comprendre qu’un modèle de représentations erronées est une autre forme de violence organisée – plus subtile, mais non moins brutale – infligée à cette géographie et à ses peuples. La violence exercée par ces films s’étend également aux communautés diasporiques de Bagdad dans le monde entier, dont beaucoup ont dû fuir leur ville déchirée par la guerre, les soumettant à la cruauté de représentations réductrices et trompeuses qui brouillent progressivement le sens du lieu qui subsiste essentiellement à travers des souvenirs insaisissables et précieux.

Cet article a été traduit de l’anglais par Gauthier Lesturgie.

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